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Chronique

Chronique / Aux fans de Tariq Ramadan qui se posent plein de questions


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(Le texte suivant ne cause pas des déboires judiciaires du susnommé. Je ne suis ni flic, ni juge, ni confesseur. Mais j’ai bien sûr EN PRIORITÉ une pensée affectueuse pour ses victimes présumées!)



C’était un temps déraisonnable.

Nous autres «ennemis du système» avions perdu nos repères. Le Mur de Berlin venait de tomber, mais nous éprouvions toujours le besoin de trouver (ou en tout cas de chercher) une alternative au capitalisme triomphant. Dénoncer les inégalités entre le Nord et le Sud. La petite «Main jaune» de SOS racisme était devenue notre drapeau et l’Abbé Pierre notre quasi apôtre.

Comme dans la chanson de Téléphone, nous rêvions vraiment «d’un autre monde».

C’était la fin des années quatre-vingt. La fin d’une époque. L’apartheid agonisait enfin. Yasser Arafat qualifiait de «caduc», le chapitre de la Charte nationale palestinienne réclamant la destruction d’Israël, ouvrant la voie à un chaleureux espoir de paix. Au foot, les équipes nationales nord-africaines commençaient à sérieusement rivaliser avec leurs homologues européennes et sud-américaines. La musique raï s’invitait dans les discothèques interdites d’accès aux «beurs». Et pour assurer sa réélection, mon cher «Tonton» Mitterrand réaffirmait que bientôt, les immigrés auraient le droit de vote.

Nous commencions à y croire.

NOUS COMMENCIONS A ÊTRE FIERS D’ÊTRE NOUS-MÊMES.

Autant d’espoirs si vite déçus.

Car très vite, nous avons constaté à nos dépens que l’entrée au fameux «Macumba» de Thonon était toujours difficile pour les jeunes qui avaient un teint franchement basané (certains poussaient le masochisme jusqu’à s’y présenter en tenue un chouïa débraillée). En observant ce qui se passait en Afrique du Sud et au Zimbabwe voisin, nous nous rendions compte qu’il ne suffit pas d’être indépendant pour être libre. Les fameux «Accords d’Oslo» s’enlisaient. L’Occident se lançait dans une guerre pour du pétrole au Koweït et en Iraq. Dans les banlieues de France, en Lorraine, à Londres ou en Wallonie, la misère sociale indifférait une grande partie des élus politiques qui se désintéressaient de ces gueux.

Certains de nos voisins de palier algériens ou yougoslaves nous parlaient des atrocités qui ensanglantaient leurs pays respectifs. Nous ne comprenions pas pourquoi cette barbarie était encore possible à l’approche d’un nouveau millénaire «qui sera spirituel ou ne le sera pas». Nous accusions l’Occident d’être au moins passivement complice des massacres de Srebrenica et de Bentalha, comme il avait laissé se dérouler quinze ou vingt ans plus tôt la boucherie de Sabra et Chatila. Comme il se montre aujourd’hui impuissant face aux atrocités commises par Bachar El Assad.

A cette époque-là toujours, Vincent Lagaf triomphait au Top 50 avec «La Zoubida» et ce quatrain tellement subtil:

«Sur le périph' ils se sont éclatés

Mais le scooter Mokhtar l'avait volé

Par la police ils se sont fait serrer

Au commissariat ils se sont retrouvés».


C’était le début de début de l’âge d’or du cynisme triomphant. Où l’on pouvait rire de tout avec soi-même pourvu que cela rapporte du pognon.

Contrairement à leurs parents, les enfants de la nouvelle génération de parents nés ailleurs ne voulait cependant plus se taire. Ils refusaient de baisser la tête.

D’aucuns avaient décidé de puiser en eux la force nécessaire pour voler de leurs propres ailes, assumer leur citoyenneté et surmonter leur «singularité». Sont devenus médecins, chercheurs, enseignants, journalistes, artistes, patrons ou employés. D’autres chômeurs ou sans-abri, mais ce n’est pas forcément de leur faute.

Beaucoup d’autres avaient en revanche hélas éprouvé le funeste besoin d’un suivre un guide.

En allemand, «guide» se traduit par «Führer».

Besoin de trouver quelqu’un qui, avec son éloquence, saurait trouver les mots pour incarner leur idéal incertain et combler leurs frustrations.

Ça leur faisait tellement du bien d’entendre, de voir ou parfois même de faire des selfies avec un «quasi semblable» ayant réponse à tout.

Un «quasi semblable» d’allure si exemplaire qu’il était un peu leur confesseur et n’hésitait pas lors de conférences publiques à leur donner des leçons de morale et leur indiquer si leur conduite était conforme ou pas à SA conception de la vie et du monde.

Ses réponses étaient à géométrie variable. Modulables en fonction de l’interlocuteur auquel il faisait face. Un «quasi semblable» capable de citer Cornelius Castoriadis quand il buvait un thé à la menthe au magnifique Institut du monde arabe de Paris avec Edgar Morin, puis de psalmodier quelques heures plus tard des extraits d’un morceau d’un rappeur inconnu de tous quand il s’adressait à un public juvénile de Villeurbanne acquis à sa cause.

Beaucoup se sentent aujourd’hui bernés. Je comprends aujourd’hui leur désarroi et me réjouis de leurs doutes.

Puissent ces doutes les délivrer.

Puissent ces doutes contribuer à leur faire ouvrir les yeux.

Puissent ces doutes les inciter à prendre conscience que nous sommes des individus libres et non des membres de communautés.

Puissent ces doutes les engager à s’impliquer dans la vie de leur Cité (au sens athénien) non pas en fonction de leur couleur de peau ou leur religion, mais parce qu’ils sont uniques.

Puissent ces doutes leur faire comprendre que les pratiques religieuses sont trop intimes pour vouloir s’immiscer dans la sphère publique ou le champ politique.

Puissent ces doutes leur faire prendre conscience que ce n’est pas en se prenant à un pauvre gosse qui porte la kippa que la cause palestinienne progressera.

Puissent ces doutes leur rappeler que bien sûr, nous acceptons de serrer la main des personnes d’un autre sexe (ou mieux encore de leur faire la bise), que les gamines n’ont pas besoin de porter un foulard ou un voile pour être dignes ou qu’il est permis de servir du vin à table même si l’on n’en consomme pas soi-même.

Puissent ces doutes leur faire admettre que ces saloperies comme la lapidation ne doivent pas «seulement» être soumises à un moratoire, mais être mondialement, immédiatement et définitivement éradiquées.

Puissent ces doutes leur faire enfin comprendre que si Tariq Ramadan est en prison, ce n’est pas parce qu’il est musulman, mais parce qu’il est fortement soupçonné d’avoir commis des actes inqualifiables.

Puissent ces doutes les amener à enfin donner un coup de main aux femmes et aux hommes de bonne volonté qui essaient au quotidien de se battre pour que chacun puisse librement pratiquer sa religion au lieu de les insulter ou de les menacer de mort.

Et pour que nous puissions continuer de «rêver d’un autre monde».

Merci d’avance.


Précédemment dans Bon pour la tête

«Reset!», par Mohamed Hamdaoui

«Monsieur Ramadan,» par Mohamed Hamdaoui

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

11 Commentaires

@Paps 01.03.2018 | 06h37

«Merci M. HamdaOUI ! »


@Bamahave 01.03.2018 | 10h26

«Un grand plaisir de vous lire, à chaque fois . »


@Pepe 01.03.2018 | 13h48

«
Monsieur Hamdaoui, vous êtes une personne exceptionnelle, votre article (comme la plupart des précédents) m’a beaucoup ému, moi Suisse, blanc, « coq en pâte » adolescent vernis d fin du 20eme siècle. Puisse votre message être aussi reçu par mes compatriotes populistes !
Bien à vous, Patrick Perritaz Vevey»


@mu_et_jo 03.03.2018 | 19h20

«Toujours un grand plaisir de vous lire, bravo et merci.»


@Angara 04.03.2018 | 09h38

«Merci pour votre article très intéressant et qui porte à réflexion. Je souhaiterais tellement un autre monde dans beaucoup de domaines..»


@Dri 04.03.2018 | 14h51

«Je suis accro à vos chroniques M. Hamdaoui. A vous seul vous justifiez mon abonnement à Bon pour la tête. Continuez ainsi!»


@pa.nemitz 04.03.2018 | 16h30

«c'est enlevé et très clair. Merci pour ce message auquel je ne peux que m'associer.

PA Némitz, Bévilard»


@Roger 04.03.2018 | 22h02

«Merci! Lucide et porteur d'espoir.»


@Reno 11.03.2018 | 14h19

«Magistral, comme d'habitude.»


@stef 11.03.2018 | 20h06

«»


@Her Bex 05.11.2018 | 05h05

«Extraordinaire article !»