Analyse / Ukraine: le silence des armes n’est plus impossible
Bien qu’elles soient niées un peu partout en Occident, des avancées considérables vers une résolution du conflit russo-ukrainien ont eu lieu en Alaska et à Washington ces derniers jours. Le sort de la paix dépend désormais de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes. Mais ceci leur prendra encore un peu de temps.
Les Russes négocient la paix comme ils font la guerre: avec patience, méthode et sans états d’âme. Dans un cas comme dans l’autre, ils ne transigeront pas sur ce qu’ils considèrent comme leurs intérêts vitaux, quelles que soient les pressions militaires, économiques ou politiques exercées sur eux. Or l’Ukraine, depuis le sommet de l’OTAN de 2008 et surtout depuis le coup d’Etat antirusse organisé en février 2014 par les démocrates américains, est considérée comme existentielle pour leur sécurité. Il n’y aura donc pas d’arrêt des combats ni d’accord tant que Kiev et les Européens n’auront pas reconnu ce fait. Ce n’est plus le cas des Etats-Unis qui, à l’occasion du sommet Trump-Poutine en Alaska et de la rencontre avec Zelensky et les Européens à Washington le 18 août, en ont pris acte en renonçant à exiger un cessez-le-feu préalable (qui aurait signifié une capitulation de la Russie) et en acceptant de fournir des garanties de sécurité (et donc d’indépendance et de survie) à l’Ukraine.
En ce sens, un grand pas en avant a été fait ces dernières semaines, qui permet désormais d’entrer dans le vif des négociations. C’est ce que Poutine a confirmé en déclarant qu’un «terrain d’entente» avait été trouvé. Un autre progrès, passé complètement inaperçu mais rassurant, est qu’avec la reprise des contacts réguliers entre Russes et Américains, le spectre d’un conflit nucléaire s’est éloigné.
Les illusions européennes empêchent la fin des hostilités
Comme on pouvait s’y attendre, ces avancées sont niées un peu partout en Occident. Aux Etats-Unis, l’establishment des experts et des médias proches des Démocrates, qui vomit sur Trump depuis 2016, ne peut admettre que le président républicain ait fait preuve d’un réalisme et d’un activisme diplomatique salutaires. Quant aux Européens, fourvoyés dans une russophobie aveugle, une hystérie anti-Poutine et une adoration sans nuance de Zelensky, ils refusent encore tout ce qui pourrait passer pour une concession à la Russie et comptent toujours, contre tout bon sens, sur une victoire militaire de l’Ukraine ou un renversement du régime de «l’ogre» Poutine (dixit Macron).
Ils se bercent d’illusions, car cela n’arrivera pas. Même l’Administration Biden l’avait compris quand Kamala Harris avait proposé d’entamer des négociations si elle était élue.
Le fardeau de conclure la paix repose donc sur les Ukrainiens et les Européens. Ces derniers doivent désormais non seulement s’accorder sur les garanties à offrir à Kiev mais aussi sur l’ampleur des concessions à faire à la Russie, victorieuse, ou à-demi victorieuse sur le terrain. Ce second point sera le plus difficile à admettre dans la mesure où, après avoir fait échouer les négociations d’Istanbul en mars-avril 2022, ils se sont lancés dans une telle surenchère guerrière qu’il leur sera difficile de revenir en arrière. C’est pourquoi il est probable que la guerre dure encore quelques mois, jusqu’à ce que la Russie ait conquis la totalité du territoire de la république de Donetsk.
Le Donbass, enjeu crucial
La maitrise de cette portion du Donbass est en effet d’une importance militaire et stratégique cruciale pour toutes les parties. Pour la Russie, qui a lancé son opération militaire pour protéger la population russophone du Donbass et a désormais incorporé ces provinces dans sa constitution, leur «libération» ou leur retour dans la mère-patrie comme on voudra, n’est pas négociable. Elle en fait une condition sine qua non.
Par ailleurs, cette région a été transformée en forteresse par l’armée ukrainienne et sa perte rendrait toute l’Ukraine orientale très vulnérable. Du coup, si la Russie s’empare de cette place-forte, ce qu’elle fera d’une manière ou d’une autre, ce sera un drame pour l’Ukraine mais cela résoudrait le problème de la «démilitarisation» de l’Ukraine exigée par Moscou, qui se trouverait ainsi largement réglé. Pour Kiev comme pour les Européens, ce troisième grand revers depuis 2014 devrait les convaincre d’arrêter les frais. Après la perte de la Crimée à la suite du coup d’Etat de février 2014, la perte des quatre oblasts de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson après le sabotage des négociations d’Istanbul en mars 2022, la perte définitive du Donbass en 2025 ou 2026 devrait les amener à négocier sérieusement la fin des hostilités et l’établissement d’un paix durable. A défaut, ils prendraient le risque de perdre Odessa et de condamner l’Ukraine à la déroute.
Des dizaines de milliers de vies supplémentaires seraient épargnées si les dirigeants de Kiev et Bruxelles faisaient preuve de réalisme et d’humanité dès aujourd’hui. Mais leurs déclarations et leur comportement montrent qu’ils n’y sont pas encore prêts. Zelensky, prisonnier des ultranationalistes bandéristes qui peuplent son gouvernement, sait qu’il joue sa tête s’il acceptait cette concession maintenant. Quant aux dirigeants européens, imbus d’eux-mêmes et sachant qu’ils n’ont rien à craindre de leurs opinions publiques gavées de propagande antirusse, ils ne souhaitent pas conclure une paix qui les amènerait à se déjuger. Pour eux, la poursuite du carnage se résume à quelques dizaines de milliards d’euros d’endettement supplémentaires laissés à leurs successeurs.
Les solutions équilibrées existent pourtant
Elles pourraient prendre la forme d’un arrêt des combats sur la ligne de front actuelle, d’un échange des territoires conquis par la Russie près de Soumy et de Dnipro contre ceux de Donetsk, d’une incorporation de la Crimée et des oblasts de l’est ukrainien dans la Russie sous une forme à discuter et d’une finlandisation de l’Ukraine assortie de garanties de sécurité assurées par les grands pays européens et les Etats-Unis ainsi que par la Chine, l’Afrique du Sud ou le Brésil. Il est en effet exclu que ces garanties soient uniquement fournies par des membres de l’OTAN comme le voudraient les Européens. Quant à la finlandisation, ou l’austrianisation, elle a fait ses preuves après 1945. La Finlande a vécu en paix avec l’Union soviétique après la guerre mondiale alors qu’elle était elle aussi, comme l’Ukraine, une ancienne province russe et qu’elle avait livré deux guerres héroïques contre la Russie soviétique entre 1939 et 1945. Idem pour l’Autriche, occupée jusqu’en 1955, puis indépendante en échange de son statut de neutralité. A l’époque, Staline avait parfaitement respecté les accords signés et il en ira de même avec Poutine aujourd’hui. C’est ce qui pourrait arriver de mieux à l’Ukraine, la Finlande comme l’Autriche ayant grandement prospéré et profité de ce statut sans se sentir aucunement amoindries par leur neutralité.
Le sort de la paix dépend donc de la capacité de l’Ukraine et des Européens à abandonner leurs illusions jusqu’au-boutistes.
Qu’en est-il des Etats-Unis?
L’accélération et le maintien du processus de négociation repose sur eux. D’un côté, Trump, qui avait promis de faire la paix en 24 heures, a un intérêt personnel à aller vite. Il veut aussi éviter de renouveler l’humiliation de la défaite afghane de 2021. Mais en a-t-il la capacité et la volonté? Rien n’est moins sûr. A moyen terme, les Américains jouent d’ores et déjà gagnants dans ce conflit qui finira bien par s’arrêter un jour. Ils pourront dire qu’ils auront joué un rôle important dans sa résolution – ce qu’on ne pourra leur contester – tout en faisant porter la charge de la poursuite des hostilités sur l’obstination des Ukrainiens et des Européens à snober les Russes et en encaissant les dividendes de la guerre sous forme de ventes de gaz liquéfié et d’armes aux belligérants à prix d’or. Autre avantage, plus la guerre durera, plus les Européens, les Ukrainiens – et les Russes ! – en ressortiront affaiblis. Tout bien considéré, les Américains auraient tort de se priver de ces menus plaisirs trop tôt…
Le silence des armes n’est plus impossible mais il y a fort à craindre qu’il se fasse attendre encore un peu.
Post-scriptum
Pendant toute la semaine, on a beaucoup parlé d'une rencontre Poutine-Zelenski qui pourrait avoir lieu à Genève, Budapest ou au Moyen-Orient. Du point de vue russe, une telle rencontre dépend de deux facteurs essentiels: un accord préalable sur le contenu et la neutralité du pays hôte. Pour Moscou, il n'est pas question d'organiser un sommet sans contenu entre Poutine et Zelenski, dont le seul but serait de lustrer la présidence de Zelenski en lui redonnant la légitimité nationale et internationale qu'il a perdue depuis que son mandat constitutionnel de président est arrivé à échéance en mai 2024. L'objectif de Zelenski n'est pas de négocier mais de faire la photo avec Poutine sans entrer en matière sur quoi que ce soit, afin de reconsolider son statut de président et de se maintenir au pouvoir sans élections, tout en rejetant la responsabilité de l'échec du sommet sur la Russie. La manœuvre est trop grossière pour avoir échappé aux Russes.
Quant à la possibilité qu'un tel sommet se tienne à Genève, elle est hélas quasi nulle pour le moment. L'espace aérien européen étant interdit de survol aux Russes, il n'y a aucune garantie que l'avion de Poutine ne soit pas victime d'un attentat ou d'une interception en vol sous prétexte d'exécuter le mandat de la CPI contre lui, comme ce fut le cas avec l'avion d'Evo Morales lorsqu'il avait été soupçonné de transporter Julian Assange. Enfin, la Suisse est toujours considérée comme inamicale et partisane, Berne n'ayant fait aucun geste important pour rétablir sa neutralité aux yeux de Moscou (levée partielle de certaines sanctions ou suspension provisoire du traité de la CPI par exemple). Les relations entre Berne et Moscou se sont en revanche nettement réchauffées depuis que la Suisse s'est activée pour recevoir la délégation parlementaire russe de haut niveau à Genève fin juillet. A Moscou, on a beaucoup apprécié la diligence et la créativité suisses pour assurer le transit de l'avion, le plein de carburant et le paiement des frais malgré les sanctions en vigueur. En Alaska, les Russes ont dû venir avec des valises de dollars pour payer leurs frais de bouche et de kérosène. A Genève, ce ne fut pas le cas, mais presque... Un premier pas encourageant en faveur d'un réchauffement diplomatique, mais qui devra être suivi par d'autres si la Suisse et Genève veulent retrouver leur rôle de médiation...
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Latombe 22.08.2025 | 08h51
«Un point que j'accorde à cette prose marquée comme d'habitude du sceau de la propagande poutinienne: comparer l'Ukraine à la Finlande admettons. Ainsi donc la Finlande après une période de neutralité forcée entrera dans l'OTAN pour se protéger des visées impérialistes d'une Russie retournée au XIXe siècle, à moins que ... l'époque des prédateurs ne survive pas au tandem vieillissant Trump-Poutine!»