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Analyse / Droits de douane américains: une diplomatie de carnotzet et de youtse


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Le déplacement de Karin Keller-Sutter et de Guy Parmelin aux Etats-Unis, pour tenter d’infléchir la décision d’une taxe supplémentaire de 39 % pour les exportations suisses, a été un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe. L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds et bafouillants, fixe définitivement l’expression «la Suisse est un nain politique».



Il est des mauvaises nouvelles, ici économiques, qui sont comme une anesthésie sur un bloc opératoire. On attend l’effet, rien ne se passe, on regarde le plafond, et puis soudainement les feux s’éteignent.

Si les droits de douanes annoncés perdurent aux jérémiades de nos politiciens, des secteurs exportateurs et de sous-traitance mettront des plombes à s’en remettre, malgré leur formidable résilience qui ne doit rien aux politiciens.

Larousse définit la diplomatie comme une science, et la pratique des relations internationales devient l'action de représenter son pays à l'étranger, et de négocier. Ou encore l'habileté et le tact dans la conduite d'affaires délicates.

Or nous n’avons vu ni science, ni capacité à nous représenter, ni habileté et encore moins de tact chez nos politiciens. A l’inverse, nous avons assisté à des impaires, des incartades et des expressions malheureuses, voire assez graves chez nos deux Marco Polo au pays de l’oncle Sam (le tact vénitien en moins).

Les images déplorables de nos deux ministres aux USA

D’aucuns ont vu les images déplorables de ces deux ministres traversant frénétiquement l’Atlantique dans leur ULM fédéral, avec une boîte de Lindt et un chasselas dans leur valise, la naïveté dans du papier glacé. Un aller-retour aussi furtif qu’inutile, la honte en rabe.

Ainsi nous avons une ministre interloquée et outrée par la sentence de l’oncle Sam. Une incompréhension sur son visage qui ne peut être expliquée que par l’appartenance des deux interlocuteurs à des planètes étrangères l’une à l’autre. «Mais, je l’ai écouté…». Je lui ai pourtant dit «bonjour Monsieur Trump», devrait-on ajouter. Notre ministre, dont la colère peine à se cacher, ne pourrait-elle pas au moins se taire, à défaut de pouvoir fournir une analyse de la situation à ses citoyens inquiets? «Je ne suis ni voyante ni psychologue», ose-t-elle annoncer.

Madame la conseillère fédérale Keller-Sutter, je n’ai jamais voté pour être représenté par une voyante ou une psychologue. La diplomatie, c’est l’art des formes. Un art des grandes cours, qu’il faut éviter lorsqu’on n’y est pas à l’aise ou lorsqu’on n’en a pas l’étoffe.

Notre ministre vaudois, qui ne manque pas de doigté, remet une couche: «Il est facile de faire des reproches à la présidente, n'importe qui d'autre serait arrivé au même résultat.» Monsieur le conseiller fédéral Parmelin, c’est justement parce que nous n’élisons pas n’importe qui que vous êtes aux affaires!

«Où est-ce que la chatte a eu mal aux pieds?»

La diplomatie est une science, avec des exigences. C’est l’art de la retenue, de la pesée de chaque mot, de la capacité à avoir une préscience des conséquences de ses actes et paroles. Monsieur le Ministre, vous n’avez pas pu résister à l’envie de déclarer: «Comme on dit en bon vaudois, où est-ce que la chatte a eu mal aux pieds?» Si cette malheureuse expression, surréaliste dans le contexte explosif actuel, vous a procuré un jet de dopamine, accessoirement quelques ricanements imbéciles dans l’assistance, elle risque d’entraîner des conséquences que vous n’imaginez pas.

Le pays de l’oncle Sam est grand, mais plus grandes encore sont ses oreilles. Son président n’aime ni les feuilles de vigne ni surtout celles des livres. Il est biberonné à la télévision et est entouré d’une cour de malotrus qui «foutimassent» et s’empresseront de «redzipéter» au grand blond votre phrase. Lorsqu’on n’a pas été shampouiné, lavé, nourri à la vaudoise, le malentendu guette, le tragique du quiproquo rôde et l’incident diplomatique n’est pas loin.

«Trump n’est pas une chatte, c’est un tigre»

J’ai fait l’expérience de répéter votre phrase (dans le contexte actuel des droits de douane) à un Américain résident en Suisse (qui parle français mais pas vaudois), et sa compréhension tragique était sans équivoque. Offusqué, il a répliqué: «Trump n’est pas une chatte qui a mal aux pieds! Votre ministre confond une chatte et un tigre, et il devrait tenir sa langue, surtout avec ce président impulsif». Sic «he should hold his tongue». La diplomatie n’aime pas le grivois, Monsieur notre Ministre. Moi, j’entends vos expressions bien de chez nous et leur sens, mais pas le simplisme de Trump.

L’image de nos représentants à Washington, l’air perdu, penauds, ne sachant où mettre leurs menottes, bafouillant devant les journalistes, fixe définitivement l’expression «la Suisse est un nain politique». Cette expression est d’autant plus tragique que son fondement est faux. La puissance politique est consubstantielle de l’économie d’un Etat, et notre pays n’est pas un nain économique.

A réviser par les conseillers fédéraux

Petites questions assassines à nos conseillers fédéraux avant d’aller négocier la prochaine fois avec le grand blond mal coiffé:

Quel est le rang mondial de la Suisse dans l’innovation? Quel est notre rang d’investisseurs aux Etats-Unis?

Par le biais des achats par la BNS des obligations d’Etat, de combien la Suisse finance les déficits et dettes souveraines des autres pays?

Par le biais de la densité des holdings en Suisse, quel est le plus gros employeur in fine d’Europe, par exemple?

Message aux dirigeants économiques et entrepreneurs de mon pays, dont je suis: vu le désastre qui se dessine probablement, on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même. Il est temps de mettre la main à la pâte diplomatique, fût-elle parallèle. Elle ne pourra être que plus féconde et efficace.


Jamal Reddani est économiste et fiscaliste

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Christode 15.08.2025 | 22h06

«Ah comme tout cela est bien dit. Merci.»


@fortdecafé 15.08.2025 | 23h21

«Les politiciens veulent faire de la diplomatie. Ce n'est pas leur job, le leur est de se faire élire puis d'écouter de vrai professionnels, ce qu'il ne font évidemment pas. Trop occupés par leurs avantages et leur bien-être personnels.»