Actuel / Trouver le juste cap dans la tempête
La tornade qui, en Europe, s’est concentrée sur la Suisse nous laisse ébaubis. Le gros temps durera. Ou s’éclaircira, ou empirera, selon les caprices du grand manitou américain. Les plaies seront douloureuses, la solidarité nécessaire. Il s’agira surtout de définir le cap à suivre à long terme, à dix, à vingt ans. Sur un échiquier mondial chamboulé en profondeur. La tempête actuelle a ceci de bon qu’elle nous oblige à y réfléchir.
Il est vrai que le récit théâtral de ces derniers jours est stupéfiant. Si les historiens ont un jour accès à l’enregistrement du fameux appel téléphonique entre la présidente de la Confédération et Donald Trump, ils auront de quoi gamberger sur le rôle de la psychologie en politique. Sur la raideur d’une dame professorale et sur l’usage de la colère chez un personnage furibard de nature. Il y aura de quoi aussi analyser les forces et faiblesses d’un Conseil fédéral peu préparé à un tel maelström. Peu habitué à jouer entre provocation et séduction.
Mais voyons au-delà. Quel cap donner à ce petit pays neutre, ouvert aux échanges depuis toujours? Avec une part des exportations de 40 % du PIB. On entend ceux qui plaident pour un repli sur soi, une fière riposte avec nos propres taxes et diverses tracasseries anti-américaines. Irréaliste et contraire à la tradition d’ouverture. Songeons à ces horlogers qui vendaient des montres en Chine dès le 18e siècle! D’autres voix au contraire en rajoutent des couches dans la soumission, avec cadeaux et promesses, tenues ou pas, pour apaiser le courroux du prétendu patron du monde.
Annuler la commande des F-35 et rapatrier les fonds de l’AVS!
Ce tireur de ficelles n’est pas éternel. Nul ne sait dans quel état se trouveront les Etats-Unis dans quelques années. Ils garderont quoi qu’il en soit une grande importance et leur traditionnelle ambition impérialiste. Mais il serait sage d’en finir avec la fascination qu’ils exercent sur nous depuis si longtemps. En commençant par prendre quelques distances dans les mois qui suivront l’épisode surchauffé. Exemples concrets? Annuler la commande des F-35: la hausse incessante de leur prix, les pépins qui s’accumulent, le retard de leur livraison sont autant de raisons défendables. Autre mesure urgente, rapatrier le fonds de réserve de l’AVS (40 milliards) confié autrefois à l’UBS, aujourd’hui à une banque américaine, la State Street Bank International, à Boston et Munich. Un dépôt devenu à haut risque. En cas de graves bisbilles, le gel ou la saisie de ces sommes est possible, prévue par la loi.
En outre, la Confédération devrait se montrer plus prudente avec la gestion de ses données, des nôtres. Elle en confie de toutes sortes, en masses, à des serveurs américains, outre-Atlantique ou ailleurs, accessibles aux autorités US et aux géants futés du digital. Malgré des précautions formelles et peu crédibles.
Enfin, l’attachement aux institutions et règles internationales doit rester inébranlable en dépit des coups de boutoir. Nous n’avons pas à acter la démolition. Deux pays, non des moindres, ont déposé une plainte contre les USA à l’OMC, à Genève: la Chine et le Canada. Sans espoir de succès, mais pour marquer l’importance de cette régulation. La Suisse pourrait faire de même.
Le monde ne se limite pas aux Etats-Unis
Politiquement, c’est plus clair que jamais, nous avons besoin du rapprochement avec l’Union européenne. Les exportations suisses vers ses membres s’élevaient à 135 milliards, vers les USA 74 milliards. Notre libre accès aux marchés voisins est vital. Le soutien de leurs travailleurs chez nous l’est aussi. L’accord bilatéral en cours satisfait ces exigences et ne menace en rien notre neutralité, permet une diplomatie propre. Il suffit de voir les divergences d’un pays comme la Hongrie avec la doxa de Bruxelles, où la Commission tend à outrepasser ses pouvoirs.
Le monde ne s’arrête pas à l’Europe (9 % de la population mondiale, Russie comprise) et aux Etats-Unis (4,2 %). Nos entreprises, notre gouvernement s’activent depuis des années pour trouver de nouveaux partenaires en Asie et en Amérique latine. Il y a dans ces régions des potentialités considérables, elles se connectent entre elles et la Suisse peut s’immiscer dans le jeu. Elle a conclu plus d’accords de libre-échange en Asie qu’aucun autre pays européen. Bientôt l’Inde après la Chine et plusieurs autres pays. Au passage, bravo à Guy Parmelin, infatigable à cet égard.
Grâce à l’AELE, la Suisse signera le traité du Mercosur sud-américain, malheureusement sans le Mexique, puissance industrielle non négligeable, où les investissements helvétiques sont considérables. Cette ouverture, accompagnée maintenant de protections écologiques, est très prometteuse, en dépit des réticences de nos paysans heureusement fort protégés. Le Brésil est notre premier partenaire en Amérique latine. Il tend à composer un front anti-américain avec ses relations, toujours plus nombreuses et intenses, avec l’Asie, particulièrement en Chine.
Changer de perspective et de perception
Reste l’Afrique, qui retient moins l’attention. On voit l’Italie nouer toujours plus de relations commerciales avec l’Algérie. Rien n’empêcherait la Suisse de faire de même et mieux. Les échanges actuels (283 millions de francs), dans une balance favorable pour nous, sont néanmoins en forte baisse. Plusieurs pays africains connaissent des taux de croissance impressionnants autour de 6 et 8 %: Sénégal, Côte d’Ivoire, Rwanda, Ethiopie, Tanzanie… Ils reçoivent des investissements d’origines diverses, plusieurs tentant d’éviter une présence américaine trop forte. Une chance pour nous?
Et comment ne pas toucher au sujet tabou, les sanctions antirusses ? Elles nous privent de débouchés, de perspectives économiques intéressantes. Si elles sont levées un jour, ce serait une bouffée d’air bienvenue. Mais chut, rien qu’en parler paraît suspect chez les vassaux de qui l’on sait.
Pour diminuer l’importance des Etats-Unis, le travail commence par un changement de perspective, de perception. Leur «soft power» massif nous fait croire qu’ils constituent le centre du monde et qu’ils le dominent. D’année en année, c’est de moins en moins vrai. Cessons donc de croire que notre salut dépend des sautes d’humeur du gourou américain.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
10 Commentaires
@Elibabar 08.08.2025 | 06h46
«Merci ! Que nos sept « sages » vous entendent !»
@mjo 08.08.2025 | 08h09
«merci pour la tentative courageuse: des idées, des suggestions motivées. Du grain à moudre pour ma petite tête préoccupée et peu informée. mjo»
@jjacot 08.08.2025 | 09h01
«Merci pour ce très bon résumé de la situation
En toute modestie, j’avais relevé les mêmes actions à mener par la Suisse. Nous agir sans faire des annonces tonitruantes.
L’industrie va souffrir: les machines et les appareils qui sont sur des marchés concurrentiels auront de la peine, mais nous trouverons des solutions. L’horlogerie n’aura pas de problèmes, c’est même une occasion de faire briller davantage la croix suisse pour les acheteurs américains qui seront convaincus de son exclusivité»
@aloula 08.08.2025 | 10h01
«L'adaptabilité est la condition sine qua non à la survie. Il est plus que temps d'abandonner cette monomanie atlantiste, particulièrement si l'on considère que les Américains nous dansent sur le ventre depuis des décennies.
Quant aux sanctions contre la Russie, la Suisse n'avait pas à les suivre. Seul le Conseil de Sécurité peut imposer des sanctions en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les Etats-Unis n'ont donc aucune autorité hormis celle que, hélas, on a jugé utile de leur concéder. A notre détriment!
L'Union Européenne, dans l'état actuel des choses, est totalement soumise aux USA. Donc on risque bien de tomber de Charybde en Scylla. Mais comme le dit M. Pilet, le monde est vaste. Allons vers lui!!
Peut-être que nos édiles devaient lire "Discours de la servitude volontaire" Etienne de la Boétie.
»
@Giangros 08.08.2025 | 10h47
«Merci Monsieur Pilet ! BPLT porte bien son nom.»
@von 08.08.2025 | 13h27
«Vous avez tout dit!
Alors d'accord pour en finir avec l'achat des F-35 (achetés pour "faire plaisir" aux Américains) et avec le placement de nos fonds AVS aux USA (franchement, il faut être complètement à la masse pour envisager ce genre de soumission). Nous pourrons consacrer les milliards ainsi économisés à aider notre économie d'exportation à passer le cap du coup bas de Trump. "Désolé mon cher Donald, nous devons renoncer à nos F-35 car vous mettez notre économie à plat avec vos 39%. Nous n'avons plus assez d'argent!"
Nous pourrions aussi laisser les Américains se débrouiller avec les Iraniens et ne plus faire l'intermédiaire. Qu'avons-nous à y gagner? Même pas un minimum de reconnaissance! "Désolé mon cher Donald, mais avec vos 39%, nous n'avons plus assez de temps à vous consacrer."
A noter que ce que nous vendons aux USA ne représente que le 16% du total de nos exportations. S'en passer sera certes douloureux mais pas catastrophique. Nous pourrons compenser cette perte en trouvant de nouveaux débouchés à nos produits. Comme à la bourse, dont la règle d'or est la diversification des risques.
Le calcul de Trump pour justifier un soi disant déséquilibre de nos exportations est d'ailleurs erroné puisqu'il ne tient pas compte des services. Les milliards que nous payons à Microsoft, Google, Amazon, Netflix ou autres, c'est du pipeau? Avec eux, nous sommes à égalité.
La Suisse ressortira renforcée de ce mauvais pas parce qu'elle réalise maintenant qu'il ne faut compter que sur soi-même pour prospérer. S'insérer dans de grands "machins" (Otan, Europe, etc.) en espérant devenir plus forts est une illusion. Etre petits, c'est être minoritaires, quel que soit le système.
"Quand les types de 130 kilos disent certaines choses, ceux de 60 kilos les écoutent" (Michel Audiard)
Par contre, rester politiquement indépendants et neutres, tout en commerçant avec tous, reste le meilleur moyen de tirer notre épingle du jeu. Suivons la loi de Darwin: "Ce n'est pas le plus fort qui survit, c'est celui qui s'adapte"!
Et à la fin du fin, si nous voulons vraiment faire comprendre au président Trump que de nous taxer ainsi est humiliant et injuste puisque nous pensions faire partie de la "famille" américaine, de ses amis en tous cas, alors nous pourrions aussi taxer les produits US à leur entrée en Suisse. Car pour le moment ils arrivent chez nous avec un droit de douane égal à zéro. C'est en principe le cadeau qu'on fait à ses amis.
Les manoeuvres de Trump ne mettront pas la Suisse à genou. Par contre, elle lui font maintenant prendre conscience d'une réalité: quel est le pays qui trahit notre amitié? La Russie ou les USA? Quel est le pays qui fomente le plus de guerres dans le monde? La Russie ou les USA? Finalement, quel est le pays qui nous veut du mal en ce moment? La Russie ou les USA? Tolstoï ou Al Capone?
Nous sommes un peu comme celui qui voit sa femme partir avec son meilleur ami: le cocu, le dindon de la farce... Pas sûr que Trump rende service à son pays en agissant de la sorte à notre égard!...
»
@Chriscriss 08.08.2025 | 16h26
«Il me prend à rêver parfois que Jacque Pilet se lance en politique... Tant de dossiers attendraient sa lucidité!»
@rogeroge 08.08.2025 | 21h56
«Vous auriez du être Conseiller fédéral, M. Pilet»
@Julia04 09.08.2025 | 10h46
«Tiens donc. Jacques Pilet pour l’adhésion de la Suisse à l’UE. Comme c’est original. »
@Dr. Jus 09.08.2025 | 10h51
«Merci Mr Pilet, je suis tout à fait de votre avis, mais comment le faire comprendre à nos 7 sages?
De plus, comme les services ne sont pas compris dans la balance, pourquoi ne pas vendre nos produits comme un service: les clients loueraient les produits.
Pour les montres, en tous cas pour les montres de luxe, pourquoi ne pas proposer aux Américains de venir les acheter ici et de leur faire une fleur, p.ex pour chaque montre de plus de 3000.-, une nuit d'hôtel gratuite !
Il faut être créatif et pas jouer à Calimero.»