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Actuel / L’épopée du barrage inondé

Jacques Pilet

20 juin 2018

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La Colombie s’est lancée, dès 2010, dans la construction d’un énorme barrage hydraulique sur le fleuve Cauca. Il devait satisfaire 16% des besoins d’électricité du pays dès la fin de l’année. Mais des glissements de terrain le menacent depuis début mai. Un effort inouï est fourni pour éviter que les populations en aval soient atteintes par les inondations, pour que l’installation soit sauvée. Jusqu’à 11'000 ouvriers ont travaillé jour et nuit pour canaliser les flux, abondants en cette saison de pluies, et élever le plus haut possible la barrière de béton. Fait-divers? Plus que cela: ce chantier démontre l’ambition d’un pays qui se modernise et aussi son énergie pour faire face à l’adversité. Une histoire qui n’a pas eu droit à une ligne dans la presse européenne mais qui a de quoi intéresser les Suisses, préoccupés aussi par la sécurité de leurs barrages.



C’est une des plus grandes entreprises d’Amérique latine qui est à l’ouvrage: EPM (Empreas Publicas de Medellin). Une multinationale entièrement détenue par des entités locales et nationales publiques, de Colombie, mais aussi du Chili, du Panama, du Mexique, du Salvador et du Guatemala. Son champ d’action: la production d’énergie et les transports urbains. Elle a été créée en 1955 avec l’appui de plusieurs organismes internationaux, dont la Banque mondiale et la Banque inter-américaine de développement.

Une bonne part de son budget a été consacré à ce barrage, situé à une centaine de kilomètres de Medellin. Il doit créer un lac long de 70 km à 220 m. d’altitude. Le mur a été surélevé en toute hâte jusqu’à 430 m. Pour affronter un terrible défi technique. Il avait été prévu trois tubes souterrains d’évacuation de l’eau du fleuve pendant les travaux de construction de l’usine. Deux ont été bouchés pour commencer le remplissage. Mais le troisième a été obstrué par de soudains mouvements géologiques. Alerte rouge! Il fallait empêcher que les flots se déversent hors de tout contrôle dans la vallée et mette la population en danger. Un plan d’évacuation a été organisé: environ 1500 familles ont dû quitter leurs demeures et trouver refuge dans la commune de Valdivia où une nouvelle auberge a été construite en toute hâte. Elles reçoivent une aide financière et divers soutiens sociaux. On ne compte pas de victimes, mais quelques maisons et trois ponts ont été détruits.

Quand la montagne bouge

Pour éviter la catastrophe, les ingénieurs ont décidé de faire passer l’eau par la salle des machines en construction. Les dégâts sont considérables et provoqueront au moins trois ans de retard dans la mise en service. Une noria d’experts internationaux défilent sur les lieux pour trouver le meilleur moyen de rétablir la situation et de se prémunir contre les risques futurs. Quand la montagne bouge, tous se trouvent démunis. Certains spécialistes nord-américains se sont montrés très critiques sur la manière de faire et la qualité des matériaux utilisés. Ce qui suscite d’ores et déjà la polémique.

Cette installation est essentielle pour l’économie d’un pays qui, pour l’instant, a renoncé au nucléaire. Les 2400 mégawatts prévus (Grande-Dixence: 2000) satisferont les besoins d’une vaste région. Le pire serait qu’il s’ensable dans les procédures et les griefs. La gauche colombienne a tendance à accuser les grands projets de tous les maux, qu’ils soient publics, comme dans ce cas, ou privés, notamment dans le domaine des mines. Or si les montagnes présentent des risques, elles offrent aussi des chances qu’un pays en plein développement ne peut négliger. Ce sera le sujet de notre prochain article.




A suivre

Série 4/4  Mines d'or: l'enfer ou l'espoir- Jacques Pilet


Précédemment dans Bon pour la tête

Série 1/4 Leçon de démocratie d’un pays qui court après la paix - Jacques Pilet

Série 2/4 Plus compliqué d’acheter des cigarettes à Medellin que de la coke à Lausanne - Jacques Pilet

Les indigènes à la marge du processus de paix - Yves Magat

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Visite du Pape François en Colombie: une ferveur sans réflexion - Johanna Castellanos

Nounou Magdalena: 100 ans de sollicitude - Doménica Canchano Warthon

La Colombie, muy caliente- Luc Debraine

«Mariage à trois» en Colombie» - Anna Lietti

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Aliki 24.06.2018 | 22h32

«Monsieur Pillet, ce barrage a été construit sans aucun égard aux nombreuses populations autochtones qui habitent le long de la rivière, une des plus longues de la Colombie jusqu’à ce que ce barrage vienne la couper en deux. Aucune mesure écologique n’a jamais été entreprise ni même étudiée lors de la planification de ce projet: par exemple, les poissons qui remontaient le cours pour la reproduction et dont la progéniture (si j’ose parler ainsi) nourrissait des milliers de gens en aval lors de leur trajet de retour à la mer a été brutalement stoppée d’un jour à l’autre. Aucun droit de parole n’est donnée à ces peuplades qui subissent le joug de la croissance économique (sauvage). Ce qui me désole le plus c’est l’inconsidérarion totale pour l’environdement. Je ne pense pa qu’on puisse considérer la situation des barrages en Suisse comme étant comparable, sinon simplement par la transparence quant à leur « état clinique ». Je me réjouis de lire un article de votre part sur la façon dont se déroule la politique de développement énergétique dans ce contexte. Sincèrement, Aliki Buhayer »


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