Actuel / Surveillance, censure: le plan «Going Dark» de l'UE est en marche
Ce vaste programme conçu par l’Union européenne en 2023 a été relancé ce 25 juin. Il s’agit d’inciter les Etats membres à accélérer les mesures de surveillance des réseaux sociaux et même des mails. Pour lutter contre la «désinformation». Autrement dit: ce qui contrarie les discours officiels. Pourquoi cette offensive maintenant?
Trois Etats d’Europe, France, Allemagne, Grande-Bretagne, en graves difficultés économiques, annoncent de fortes augmentations de leur budget militaire. Plusieurs autres pays suivent, plus ou moins, le mouvement. Cela au nom de la «menace russe» que le président Macron et le chef de l’armée française ont nommément citée. Comme si la Russie qui peine depuis des mois, à ses portes, à conquérir quelques villages ukrainiens allait envahir l’Europe occidentale. Comment cette hypothèse folle peut-elle ainsi s’étendre? Emmanuel Todd en appelle à la «géopsychiatrie»! On peut avancer d’autres explications rationnelles.
La fortune des riches a doublé en dix ans. Chut!
Cette mobilisation des esprits permet de détourner l’attention de certains sujets embarrassants pour les pouvoirs. A commencer par une tendance lourde: la concentration de la richesse entre les mains des mieux nantis et l’appauvrissement de la classe moyenne en particulier. La fortune des milliardaires en Suisse a plus que doublé ces dix dernières années. Cette inquiétude d’une grande part des peuples européens face à l’avenir justifie plus que jamais la surveillance des communications privées. Afin qu’elle n’éclate pas trop bruyamment au grand jour. Macron, qui malgré ce contexte, entend dépenser toujours plus pour l’armée a été assez explicite dans son discours du 13 juillet, parlant de la «sécurité cognitive». Appel à faire face aux manipulations, aux fausses informations, aux ingérences extérieures «dans tous les domaines». Que de telles manœuvres se produisent, on le sait depuis longtemps. Il n’a pas fallu cette prétendue «menace russe» pour nous ouvrir les yeux. Nous avons appris à décoder les propagandes. Celles aussi des puissances occidentales?
Museler la colère populaire tant que faire se peut
Depuis les mensonges devant justifier les guerres en Irak et ailleurs, on sait que les Américains sont maîtres en la matière. Qu’ils disent vrai ou pas, ils dominent le «récit occidental», relayés par leurs agences de presse et tant d’autres canaux, docilement repris par la plupart des médias (pas tous!) d’Europe occidentale. Une fois posé que le camp du Bien affronte ceux du Mal, les journalistes évitent d’aller à contre-courant. Il en va souvent de leur carrière. Un certain unanimisme s’installe dans les opinions publiques sur plusieurs sujets. Même les partis d’opposition hésitent à contrecarrer le discours dominant. A l’exception peut-être de l’Allemagne où l’AfD et le BSW s’en prennent vivement, avec nombre d’autres voix, au bellicisme ambiant et à une censure active des réseaux. En France, les réactions critiques aux discours enflammés du chef de guerre Macron ont été bien timides. A gauche comme à droite. Dans plusieurs parlements nationaux, les sièges confortables. Salaires convenables, forfaits de frais généreux, primes diverses, indexations régulières sur le coût de la vie. A cet égard, l’assemblée de l’UE est caricaturale. Ces députés vivent dans une bulle de confort coupée des réalités du bas peuple. Plutôt que de s’en faire les porte-paroles, ils songent plus à tout faire en vue de leur réélection. Prêts à des compromis douteux, aux prises de bec partisanes certes, mais veillant à ne pas contrarier sur le fond la vision dominante.
Dès lors, seuls les réseaux sociaux, les médias indépendants, sans pub ni redevance, sur le Net, relaient les coups de colères populaires, dégagent des perspectives tranchant face au monde politique, si souvent embourbé dans les convenances. D’où la nécessité de les museler tant que faire se peut.
Nous sommes et serons toujours davantage sous surveillance
Paradoxe: le président français prétend défendre nos libertés… en commençant par limiter celle de la parole. Les Américains font très fort dans cet exercice. Selon Emily Tucker, de l'université de Georgetown, le département américain de la Sécurité intérieure (Department of Homeland Security, DHS) serait en train de mettre en place une «everything database», une base de données sur tous les citoyens américains, sur les étrangers aussi. Par exemple, cet organe achète déjà aux compagnies aériennes les données de vol des passagers. Selon d’insistantes rumeurs, l’administration française souhaite aussi répertorier les voyageurs fréquents. Au nom de la lutte contre les trafiquants. Ou pour mesurer le train de vie des contribuables?
S’il y a un terrain sur lequel l’œil scrutateur de l’Etat bien-pensant est particulièrement attentif, c’est Israël et les guerres que mène son gouvernement. Toute critique jugée trop vive peut être taxée d’antisémitisme. En France et ailleurs on ne compte plus les comptes Facebook et Instagram bloqués, les interpellations judiciaires à ce sujet. Voilà encore un avantage du tamtam antirusse, on éclipse quelque peu la tragédie qui n’en finit pas à Gaza et en Cisjordanie, la lâcheté des Européens qui ne frappent pas de réelles sanction Netanyahou et les siens.
Nous sommes et serons toujours davantage sous surveillance. D’une façon ou d’une autre. En Suisse aussi. Même si elle ne s’associe pas au plan du «Going Dark» de l’UE. Une réflexion est menée au niveau parlementaire pour définir «une stratégie nationale contre la désinformation, tenant compte des nouveaux défis numériques et des particularités du contexte suisse». Les députés expriment ainsi leur inquiétude devant les chahuts croisés de l’information à mille faces. Mais bien peu se montrent sensibles au risque inverse: que la liberté d’opinion finisse par s’étioler.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
11 Commentaires
@RAS 18.07.2025 | 19h04
«Le niveau parlementaire Suisse ferait bien de définir (une stratégie nationale contre la corruption par les lobbys).
»
@Chuck50 18.07.2025 | 20h37
«Les méchants Russes ... même discours comme à l'école de recrues en 1970 …. seul les dépenses ont flambé ….»
@JFLeroux 19.07.2025 | 07h24
«Il faut aller bien plus loin dans la réflexion et l'approche de synthèse. Nous vivons, depuis quelques décennies, dans un monde réellement totalitaire, gouvernés (muselés) par une oligarchie "collectiviste" détruisant sciemment libertés, cohésion économique et sociale et développement éducatif et culturel des peuples.
Meilleurs sentiments. JF Leroux»
@GeorgesJ 19.07.2025 | 08h19
«@RAS Merci d'amener le thème des lobbys à Berne. À lire sur ce thème l'excellent décodage de Madame Odile Ammann "Qui dirige la Suisse ? Une perspective de droit constitutionnel...
https://www.sagw.ch/sagw/aktuell/blog/details/news/la-necessaire-reconnaissance-des-langues-des-signes-en-suisse-1
Merci Monsieur Pilet de soulever le thème de la désinformation. Si les gouvernements étaient les garrants de la vérité, cela se saurait depuis longtemps. Aujourd'hui, les vérités se révèlent très lentement grâce aux médias altérnatifs et très souvent non subventionnés par des taxes.»
@Tardygrade 19.07.2025 | 13h47
«une image humoristique: https://www.facebook.com/photo/?fbid=30430003509980143&set=a.387610021312888&__cft__[0]=AZVOF1YT-EB5--Ayi3c76VmtaHmW-dBylkv5J8iY46xXHf65WyjxKpmpT_zMG2vYCqbLUuCqbEqoSBNsI8voFFtUdY8qf9Mgyuo3QL5IwgWu4yT8kt0Ib8Uyxcr47Z2ZHMk&__tn__=EH-R»
@rogeroge 19.07.2025 | 16h06
«BPLT quatrième pouvoir...
En observant la scène politique, sociale et économique, en posant les bonnes questions (sans y répondre), en promouvant la transparence, en relevant et en signalant les failles, en recherchant et en faisant surgir la vérité, BPLT agit comme un contre (ou quatrième) pouvoir. Merci.»
@von 21.07.2025 | 12h23
«"... Une réflexion est menée au niveau parlementaire pour définir «une stratégie nationale contre la désinformation... "
Une "réflexion" c'est bien gentil, mais il faudrait plutôt "agir" de façon à diminuer l'influence des lobbies car c'est elle qui tue notre démocratie et, en fin de compte, qui sape la confiance du peuple en ses édiles.
Reste à en trouver le moyen car les partis sont vent debout contre tout ce qui pourrait leur conférer quelque transparence. Financement des partis: niet, contrôle démocratique des lobbies: niet, pas touche avec vos transpirantes mains!
Ca se comprend car, si on savait tout sur le trajet du pognon, la classe moyenne saurait enfin qui élire pour représenter ses intérêts.
On a l'exemple américain pour démontrer la nuisance que constitue le financement des partis et des élections par l'argent. Dans ce pays, une campagne électorale consiste surtout à rechercher des donateurs. Avec leur argent, on arrivera à se payer des pages de pub dans les médias et à influencer l'opinion publique.
Et on voit ce qui arrive lorsque c'est l'argent de la désinformation qui prime sur tout: on élit des gens anti-démocratiques pour diriger la démocratie. C'est comme nommer un prédateur sexuel à la direction d'un club de jeunes filles...
»
@von 21.07.2025 | 18h26
«"... il y a lieu de considérer le lobbying non pas comme une pratique taboue, mais plutôt comme une forme de participation démocratique – à condition toutefois que cette pratique ne crée pas une distorsion du lien entre le peuple et ses représentant·e·s politiques."
(Odile Ammann)
Magnifique le rapport de cette dame, merci à @GeorgesJ d'en avoir donné le lien !
"lien entre le peuple et ses représentant·e·s politiques"
Problème à régler sans tarder car il est dommageable de mettre tous les élus dans le même panier. Ils ne sont pas "tous pourris", il y en a qui ne se laissent pas corrompre, heureusement. Mais qu'une majorité d'entre eux (puisqu'ils l'ont lors des votes) le soient, d'une façon ou une autre, décrédibilise l'entier du monde politique. Et quand le peuple n'a plus confiance en ses élus, attention, gross malheur !...
»
@NTNP02 21.07.2025 | 21h12
«"Going dark"? Cela fait froid dans le dos... Pour rappel: extrait de la Genèse 1:4
"Dieu vit que la lumière était bonne; et Dieu sépara la lumière d'avec les ténèbres."»
@NTNP02 21.07.2025 | 21h36
«La gestion de la pandémie a ébranlé la confiance que l'on pouvait avoir envers les dirigeants - notamment en Europe.»
@MV 22.07.2025 | 09h54
«Je partage l'avis de monsieur Pilet concernant la guerre en Ukraine. Il me semble toutefois qu'il n'est pas assez nuancé au sujet d'Israël, même si ce qu'il se passe à Gaza est tragique.»