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Il est fait grand bruit autour d’une fable alarmiste, d’un incident minuscule lors du vol de la présidente de la Commission européenne entre la Pologne et la Bulgarie: la perturbation du GPS attribuée à la Russie et facilement surmontée comme cela est possible sur tous les avions. Quasiment rien en revanche sur les manifestations qui ont marqué son passage et en disent long sur le malaise qui s’étend à l’est de l’Europe. Un peu d’histoire aide à comprendre.



Le périple coïncidait avec l’annonce de la présidente de la Commission européenne. Elle souhaite mettre sur pied une armée de «plusieurs dizaines d’hommes» sous la bannière européenne afin de «garantir la sécurité» de l’Ukraine après un éventuel accord de paix. Avec l’appui de la France et de la Grande-Bretagne, d’autres peut-être. Suscitant l’opposition résolue de l’Allemagne, de la Pologne et de plusieurs autres. Ursula von der Leyen cheffe de guerre? Pas de si tôt. 

Elle s’en donnait néanmoins l’allure lors de sa virée à l’est, «sur la ligne de front», comme elle dit. En Bulgarie et en Roumanie, elle n’a parlé que de défense, elle n’a visité que des usines d’armement et des bases militaires. L’accueil à Sofia a été houleux, sa voiture agressée. Ce pays instable, divisé, fort corrompu, oppose deux camps quasi égaux. L’un plus ou moins chaud pour l’UE, l’autre dit d’extrême droite, hypernationaliste et plutôt pro-russe. Le passage à l’euro prévu pour 2026 est vivement controversé. Héritage du passé. Les Bulgares restent reconnaissants à la Russie de les avoir libérés de la domination ottomane et furent les meilleurs amis de l’URSS dont ils ne faisaient pas partie.

«Ursula, la Roumanie ne t’appartient pas!»

En Roumanie cette visite a fait des vagues aussi. D’imposantes manifestations au cri de «Ursula, n’oublie pas, ce pays ne t’appartient pas!» Tableau différent de la Bulgarie. Les Roumains espèrent aussi la paix en Ukraine mais ils détestent les Russes. Même au temps de la dictature communiste, ils se brouillèrent avec eux. A part les élites politiques et économiques qui vivent fort bien, la plupart d’entre eux ont un premier souci, la pauvreté. Sans argent, en dollars ou euros si possible, il est difficile d’accéder à une éducation et des soins convenables. Les multinationales mènent le bal dans la distribution, dans l’agro-industrie. Un fragile président soutenu par les vieux partis enrichis dit oui-amen à tout ce qui vient de Bruxelles. Les Roumains ont donc quelque raison de froncer les sourcils quand Madame von der Leyen vient plaider chez eux pour le plan des 800 milliards européens pour l’armement, quand elle va sur la base de l’OTAN de Constanta, sur la mer Noire, exalter l’effort de guerre. Bientôt y voleront les trente F-35 commandés au prix que l’on sait, cela sur un budget national âprement controversé. 

La Roumanie, comme ses voisins du pan est de l’Europe, a été bousculée maintes fois au fil de l’histoire par des puissances étrangères. Les dominations ottomane, autrichienne, soviétique, les diverses amputations du territoire roumanophone ont laissé des traces. D’où un vif attachement à la nation, exacerbé dans les années 30, plus démocratique aujourd’hui. Une part de l’opinion voit sa souveraineté fragilisée par certaines exigences d’une Union européenne, jugée par ailleurs indispensable dans tous les partis, même dans l’opposition dite «populiste».

La Moldavie écartelée

Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, Friedrich Merz et Donald Tusk se sont rendus cet été en Moldavie, ce petit pays faisant autrefois partie de la Roumanie, au cœur des tensions est-ouest. Ces visites avaient pour but d’appuyer la présidente Maia Sandu, très occidentale, diplômée de Harvard, élue de justesse dans des conditions controversées l’an passé. Or le 28 septembre aura lieu l’élection législative. Plusieurs partis jugés pro-russes en ont été simplement écartés. Mais est-ce si manichéen? Parmi la population d’environ trois millions d’habitants, la moitié est familière de la langue russe. Les liens sont nombreux avec l’Ukraine et la Russie. A l’Est, les membres de la diaspora moldave sont nombreux, autour de 800 000. En Europe de l’Ouest, environ 300 000 résidents de cette origine.

A cela s’ajoute le fait que la province de Transnistrie (500 000 habitants), en totale sécession, s’aligne sur le Kremlin, et que celle de Gagaouzie (150 000 habitants), qui a sa propre langue, en bisbille avec le pouvoir central, regarde aussi de ce côté. Mais nombre de Moldaves plus ou moins russophones n’ont aucune sympathie pour Poutine. D’autres rêvent de faire à nouveau partie de la Roumanie dont ils parlent la langue dans un dialecte à eux. La plupart paraissent soucieux de rester le plus proche possible de l’Union européenne en attendant une éventuelle adhésion. Dans l’espoir d’échapper à la pauvreté extrême du pays plutôt que de se trouver embarqués dans une guerre avec la puissante voisine. 

Péché d’orgueil

La présidente de la Commission européenne ne s’embarrasse pas de ces nuances et des relents du passé. Obnubilée par son rêve d’affronter la Russie les armes à la main, engagée dans son combat contre la «désinformation», agitée par son hubris autoritaire habituel, elle enfle toutes les mauvaises humeurs contre l’UE, dont elle bafoue les règles pour sa gloriole. Jusqu’aux Allemands qui s’en indignent. Elle divise l’Europe. A l’heure même où celle-ci devrait se montrer unie face aux défis des Etats-Unis et du bloc Russie-Chine-Inde qui, lui, resserre ses rangs. 

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