Actuel / France-Allemagne: couple en crise
De beaux discours sur leur amitié fondatrice, il y en eut tant et tant. Le rituel se poursuit. Mais en réalité la relation grince depuis des années. Et aujourd’hui, l’ego claironnant des deux dirigeants n’aide pas. En dépit de leurs discours, Friedrich Merz et Emmanuel Macron ne renforcent pas l’Europe.
Il y a des explications de fond à la mésentente non dite entre la France et l’Allemagne. L’abandon du nucléaire par Angela Merkel y est pour beaucoup. Comment trouver un accord énergétique entre un pays autosuffisant à cet égard, exportateur même, et un autre coupé du gaz russe et accroché à ses éoliennes? En plus rôde un vieux reproche français. L’admission massive d’immigrés syriens outre-Rhin aurait facilité l’entrée de terroristes.
L’Allemagne va-t-en-guerre veut le leadership militaire européen
Aujourd’hui, malgré les apparences formelles, Macron et Merz ne s’entendent guère. Le nouveau chancelier allemand (CDU), en position difficile chez lui, dépendant d’une coalition houleuse avec les sociaux-démocrates, se pose en va-t-en-guerre. Il a fait sauter la limite de l’endettement pour renforcer massivement l’armée. Ce qui n’enthousiasme guère la population inquiète de voir couper des crédits sociaux, les subventions à l’approvisionnement énergétique coûteux, les crédits à l’amélioration des infrastructures, notamment ferroviaires. L’opposition de l’AfD, nationaliste et réticente à l’aide massive apportée à l’Ukraine, en profite pour marquer des points électoraux. Elle est à la hauteur de la CDU, qui néanmoins la marginalise, certains allant jusqu’à demander carrément son interdiction. Merz veut que l’armée allemande soit la plus forte d’Europe. Son ministre des Affaires étrangères, Johann Wadephul, déclare que «la Russie restera toujours un ennemi». Jens Spahn, président de la fraction CDU au Parlement, souhaite une défense européenne avec l’arme nucléaire «sous le leadership de l’Allemagne». Ces propos irritent à Paris… et ailleurs aussi. L’équipe de Friedrich Merz semble faire fi des traumatismes historiques à travers l’Europe. Elle paraît souhaiter un affrontement direct avec la Russie. Celle-ci, selon le chancelier, aurait déjà commencé les hostilités à l’endroit de nos pays à travers des cyber-attaques, des assassinats, des sabotages et l’offensive de la «désinformation»… Sans autres précisions.
L’autre caractéristique de Merz qui passe mal
Entre 2009 et 2020, écarté par Angela Merkel avant de s’élancer dans la course au pouvoir, Merz était un homme d’affaires. Il a siégé à la direction du puissant groupe d’investissements américain BlackRock, profitant de ses connexions politiques. Ce qui lui a valu sa considérable fortune et des réseaux d’affaires étendus. Il est vu dès lors, pour beaucoup, comme plus tourné vers les Etats-Unis que vers les partenaires européens. Il s’en trouve pour rappeler que BlackRock investit massivement dans l’industrie de l’armement. On sourit dans le gratte-ciel de New York lorsque nos pays font valser les milliards pour renforcer leurs armées…
Face au conflit russo-ukrainien, les opinions se confrontent
La politique internationale du chancelier a tout pour fâcher Emmanuel Macron qui, quant à lui, adopte tour à tour diverses attitudes. Parfois très offensives, jouant avec l’idée d’envoyer des troupes en Ukraine – il y aurait déjà engagé des «spécialistes» – ou alors prônant la négociation, téléphonant à ce sujet avec Poutine. Le président français parle beaucoup de la nécessité d’une défense européenne mieux intégrée mais sûrement pas sous l’autorité allemande! Macron et Merz courtisent tous deux le premier ministre britannique mais celui-ci se trouve, comme eux, dans un pétrin politicien intérieur tel que son poids, dans le jeu international, s’en trouve fort réduit. En Grande-Bretagne, comme en France, comme en Allemagne, les opinions publiques, certes sensibles à la cause ukrainienne, craignent de plus en plus que l’échauffement face à la Russie coûte de plus en plus cher, creuse encore plus l’abîme des dettes, menace au bout du compte l’économie toute entière. Mais dans ces trois pays, comme dans d’autres, comme au Danemark par exemple où les femmes viennent d’être soumises à l’obligation du service militaire, la propagande antirusse massive tente de faire taire les voix plus différenciées. Paradoxalement ce sont dans les camps dits «souverainistes», plutôt à droite, que l’on ose donc appeler à des efforts de négociations et de paix. La gauche, elle, marche à fond dans le récit dominant. Quant aux Verts, en Allemagne, ils font des pieds et des mains pour que soient livrés des missiles puissants capables d’attaquer Moscou. Plus offensifs encore que le gouvernement Merz.
L’Union européenne est plus divisée que jamais
Il est beaucoup question, ces temps-ci, des dégâts, indéniables, que Donald Trump cause aux Européens qu’il méprise et accable de taxes. Ceux-ci feraient bien pourtant de regarder dans leur assiette. Jamais, depuis le début de leur rapprochement, ils n’ont été aussi divisés sur l’appréciation de la situation. Jamais les dirigeants des grands pays, l’Allemagne, la France, et même la Pologne depuis la récente élection présidentielle, n’ont été aussi vivement contestés par de larges pans de la population. Or c’est à eux qu’incombe la responsabilité de définir une position commune, forte et crédible. La Commission européenne doit leur être soumise. Même si sa présidente, avide de pouvoirs que les statuts ne lui donnent pas, se voit en figure de proue. Mais elle aussi doit constater que sa voix est moins entendue, totalement ignorée à Washington et à Moscou, qu’elle suscite toujours plus de mauvaise humeur dans les opinions publiques.
Tant que n’émergeront pas quelques personnalités de haut vol, sereines et compétentes, l’Europe continuera de patauger. Quoi que fassent Trump et Poutine.
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