Média indocile – nouvelle formule

Reportage

Reportage / «La Capricieuse», histoire d'une reconversion agricole


PARTAGER

Confrontés à la concurrence implacable des grandes surfaces, aux nombreuses contraintes ainsi qu’aux investissements de plus en plus lourds à assumer, les agriculteurs doivent relever bien des défis pour se projeter dans l’avenir. Pour en savoir plus, nous sommes allés rencontrer sur le terrain Nicolas Crottaz, éleveur de chèvres et fromager à Prévonloup.



C’est sur les hauteurs du village, dans la Broye vaudoise, que se situe son exploitation, «La Capricieuse». L’imposante ferme a été spécialement construite pour l’élevage des chèvres avec une partie du bâtiment dédiée à la fromagerie artisanale. Dans la famille depuis plusieurs générations, elle était jusqu’en 2010 une ferme de grandes cultures et à vocation laitière. Mais l’intérêt de Nicolas Crottaz était ailleurs. «Il y une trentaine d’années, quand j’avais 5 ou 6 ans, j’ai voulu une chèvre. La première qui s’appelait Fleurette était un peu comme un animal de compagnie. Vers 12 ans je faisais déjà des tests avec mes premiers fromages», raconte-t-il.

Parcours et reconversion de la ferme

Une fois sa formation d’agriculteur avec maîtrise fédérale terminée, Nicolas Crottaz travaille pendant plus de 6 ans dans un grand groupe pharmaceutique. «Cela m’a beaucoup aidé, cela ouvre l’esprit et permet de découvrir d’autres secteurs mais aussi de comprendre les processus. Mon expérience dans la recherche animale en parasitologie m’a permis d’agir avant l’apparition des parasites concernant les chèvres. C’est un grand avantage de pouvoir agir en amont».

 Les chèvres en quête d’herbe fraîche. © S.E.

La décision de la reconversion des vaches aux caprins a été prise pour plusieurs raisons. La ferme était un peu vétuste, il fallait construire un nouveau bâtiment, ce qui coûte cher. Et surtout, Nicolas voulait faire de sa passion son métier. D'autres facteurs entraient dans l'équation, comme le prix du lait industriel qui permettait difficilement d’en vivre, d'autant que l’exploitation est petite en surface.

Le but du jeune agriculteur était de s’investir complètement dans cette nouvelle ferme, de dégager de la valeur ajoutée, créer de l’emploi et contribuer à l’économie locale. La création de la fromagerie artisanale permet de vendre des produits finis sur place et de s’en sortir financièrement. Le changement a été opéré sans grandes difficultés. «Je connaissais déjà très bien les chèvres qui sont des animaux très délicats. C’est surtout au niveau de l’alimentation qu’elles sont très exigeantes, autant pour leur santé que pour la production de lait. Et avoir de l’ambition et le culot d’avancer dans des domaines parfois difficiles pour arriver à un but est stimulant» explique-t-il. 

Un changement de culture

Aujourd’hui l’exploitation, qui a reçu la certification Bio Suisse en 2019, compte 200 chèvres, des Chamoisées pour la plupart, et quelques-unes de Saanen. Ce label est certes garant de grande qualité, mais les règles sont très strictes, peut-être trop. «Chez Bio Suisse depuis 2022 nous avons dû baisser la quantité d’aliments concentrés composés de céréales, de soja et de maïs autorisés. Le rapport est passé de 10 à 5% de l'alimentation totale des animaux. Il faut savoir que certaines années, la qualité du fourrage est moins bonne; la chèvre aura donc besoin peut-être de 11% de céréales, et l’année suivante 5% suffiront... Je pense que ce n’est pas du bien-être animal que d'imposer des chiffres fixes. Il faudrait un pourcentage de fourrage de base et ensuite compléter selon ce qui manque», suggère l'éleveur. «Par exemple, 2022 était une année de faible production en lait et il n’était pas possible de donner aux chèvres plus de concentré, j’ai donc dû augmenter l’effectif, mais du coup cela fait une immense population due aux naissances. Il serait beaucoup plus judicieux de pouvoir augmenter un peu, en fonction des besoins, le pourcentage des aliments concentrés, cela ferait davantage sens».

La fromagerie avec la production des fromages frais. © S.E.

Une autre spécialité de l'exploitation, les flans maison. © S.E.

Nouveaux défis

Le premier défi sur sa liste est l’augmentation de l’autonomie énergétique de l'exploitation, avec des panneaux solaires ainsi que la diminution de la consommation d’eau. «Le bio j’en suis convaincu, et de pouvoir économiser le plus de ressources possibles. Pour les panneaux solaires, au départ je n’étais pas pour car ce ne sont pas des éléments biodégradables, mais cela a du sens. Je suis pour le côté écologique avec à la clef des schémas qui préservent la nature, du moment qu’on peut produire pour nourrir les gens, car c’est cela mon but, non pas de toucher des subventions».   

Autre défi: augmenter la production laitière tout en ayant moins d'effectif. C’est un point très important, mais cela peut uniquement se faire sur du long terme. Le soir, après son travail épaulé par deux employés à plein temps, Nicolas réfléchit à de nouveaux produits pour son assortiment de fromages. Ses journées sont longues car il doit jongler avec ses nombreux postes qui comprennent la traite, l’alimentation des chèvres, la fromagerie et l’élevage, la livraison et la vente sur les marchés. «Il faut prendre son temps pour ne pas faire les choses à moitié. J’ai toujours aimé l’innovation, j’adore développer, cela me stimule» précise-t-il. 

Après le défi réussi de la reconversion et tous ceux assumés au quotidien, ce passionné parviendra sans doute encore à surprendre. Sa persévérance et la qualité de ses produits lui ont apporté un succès mérité loin à la ronde, que ce soit sur les marchés, dans les magasins spécialisés ou auprès de restaurateurs de renom.

© S.E.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@LEFV024 30.08.2024 | 14h29

«Est-ce que ce sont des chèvres sans cornes?»


@paulpell 02.09.2024 | 05h50

«C'est un chouette article, inspirant, merci!»


@willoft 02.09.2024 | 21h35

«"les chèvres sont des animaux très délicats"...
Pour qui connait les chèvres, c'est le cochon encorné, sauf la viande.
Sympathiques pour vos fleurs et autres rosiers.
Mais c'est bien de les défendre.
Le contribuable aura sans doute à payer l'investissement de ce Monsieur, mais c'est toujours mieux que la finance.»


@willoft 02.09.2024 | 21h40

«P.S.
Après, imposer aux chèvres ce que l'on impose aux vaches n'est pas une grande preuve de créativité pérenne...!»


À lire aussi