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En marchant en ville dans la rue ou dans certains lieux un peu à l’écart nous avons tous déjà croisé un SDF. Leurs quotidiens sont l’opposé de notre mode de vie sédentaire. Nous qui sommes guidés par une multitude de repères tout au long de la journée. Et que dire de ces garanties qui nous semblent acquises pour toujours, comme un chez-soi sécurisé et l’assurance de bénéficier d’une aide dans toutes sortes de situations? Cela suscite bien des interrogations. Comment en est-il arrivé là? Quel est son parcours? Depuis combien de temps vit-il comme cela?



Sur le chemin pour la gare de Vevey, il y a quelques jours déjà, ma compagne a remarqué une personne qui dormait là. Le lendemain matin préoccupée par cette situation, elle prend quelques barres de céréales pour le SDF, je l’accompagne. 

Arrivé à l’esplanade de St Martin, les couleurs du matin sont magnifiques et la vue panoramique sur les montagnes est splendide. Pourtant la personne que nous cherchons n’a pas sa place sur ce cliché de carte postale. Assis sur un banc, un peu à l’écart, nous allons à sa rencontre. Après quelques mots échangés, ma compagne lui donne son petit-déjeuner et part prendre son train. Cela le touche beaucoup, son premier problème du matin est résolu.

Je m’assieds à côté de lui pour en savoir plus. Mohamed a 58 ans et cela fait 6 ans qu’il est sans domicile fixe. Il est très calme et parle parfaitement le français. Pendant la conversation je remarque sa main toujours posée par sécurité sur ses modestes affaires à côté de lui. 

Son regard ne trompe pas, bien sûr il est cabossé par la vie, mais il paraît honnête et sobre. Mis à part quelques indices comme ses mauvaises dents, personne ne pourrait croire qu’il vit dans la rue depuis tant d’années. Après une timide présentation et quelques propositions pour trouver des solutions afin d’améliorer son quotidien, il me raconte son histoire.

De la stabilité au chaos

Mohamed est marocain et a vécu une enfance sans histoire. A la fin de sa scolarité il obtient son bac français, puis il part à l’armée. Après avoir effectué son service militaire obligatoire de deux ans, il décide de partir pour l’Italie. Le Maroc offre trop peu d’opportunités pour construire son avenir.

Grâce à son travail il y parvient. La journée, il travaille dans les caves d’une exploitation viticole et le soir, il assure le service en gants blancs à la table du propriétaire. Celui-ci est issu de la noblesse italienne et vit dans un château au milieu de son vaste domaine. Mohamed, lui, habite comme les autres employés dans une maison individuelle sur la propriété. Celle-ci est mise à disposition par son employeur. A cette époque il est marié, a un garçon et possède sa propre voiture. Du jour au lendemain tout s’écroule, lors de son divorce, il part seul avec seulement quelques affaires dans son sac à dos.

Sur les routes d'Europe

Depuis ce jour-là, ses amis lui ont tourné le dos comme c’est trop souvent le cas, et cela juste au moment où il avait le plus besoin d’eux. Avec d’autres connaissances, il a tout simplement perdu le contact, car il n’habite plus la même région.

Durant les six années suivantes il parcourt l’Italie, la France, la Belgique, l’Allemagne et la Suisse. Pour lui c’est en Italie que les conditions de vie sont les plus dures, en raison de la situation économique, défavorable pour toute la population.   

Il m’apprend que partout pour un SDF, même dans les petites villes, existent des structures. Souvent ce sont des associations qui mettent à disposition des personnes dans le besoin des douches, une machine à laver ainsi que d’autres services. Le grand problème insoluble reste l’argent, car il faut se nourrir et se déplacer pour aller dans ces structures. Mais pour Mohamed, le plus dur est le stress de ne pas savoir s’il pourra manger à midi et le soir. Pendant ses déplacements, parfois, il trouve de petits boulots, mais tout au plus pour quelques semaines. Pas de quoi retrouver une stabilité.

En Suisse, à plusieurs reprises, il a dormi à St Martin, le pasteur le connait bien et l’aide de différentes manières. Il apprécie beaucoup cette région car c’est un lieu calme et serein.

Enfin un toit

Aujourd’hui Mohamed est en attente d’une place chez Emmaüs, c’est prévu pour le 12 juin ou peut-être quelques jours avant car il est possible qu’un lit se libère. Cela lui donne de l’espoir car ce qu’il redoute en dormant dehors, ce sont les personnes mal attentionnées. 

Il y croit d’autant plus qu’il y a peu, il a visité les lieux avec le responsable. Cette communauté peut lui mettre à disposition une chambre et lui apporter cette stabilité et la sécurité qu’il recherche depuis si longtemps. Il me dit en souriant qu’il aura même droit à un petit salaire en travaillant chez Emmaüs.

Un souhait et un message

Il n’aime pas être isolé, il apprécie quand les gens s’arrêtent et discutent avec lui, parfois certains lui donnent quelque chose à manger, quelquefois un peu d’argent, mais surtout il se sent moins seul. Le contact est très important pour lui.

«Les gens ont les yeux ouverts mais trop souvent leur cœur est fermé», me dit Mohamed.

© S.E.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Stephan 17.06.2023 | 00h11

«Nouvelles : Suite à cet article. Merci à Stephan, car il l'a accompagné, lui a redonné le courage de se battre. Et ils ont réussi. BRAVO.»


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