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Reportage / Sri Lanka: une autre approche de l'agriculture


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En Europe ainsi qu’en Suisse les agriculteurs font part de leurs difficultés et de leurs mécontentements. Mais qu’en est-il ailleurs dans d’autres pays? Reportage au Sri Lanka, pour un autre regard.



Au Sri Lanka, 82% de la population réside en milieu rural et 28% des insulaires sont actifs dans l’agriculture. C’est bien plus qu’en Suisse ou le pourcentage est de 3,1%. Sur cette île de 65'610 km2 soit 1,5 fois la Suisse le secteur primaire reste un des piliers de l’économie du pays, qui permet de nourrir les 23 millions d’habitants. Le climat tropical humide est bénéfique pour les cultures, il permet de réaliser deux récoltes annuelles.

Les légumes à l'honneur

Pour ce qui est des productions agricoles, les plus importantes sont le riz, le thé, les fruits et les légumes. Traditionnellement et culturellement la consommation des légumes est très importante au Sri Lanka. La viande (principalement du poulet) et le poisson sont peu consommés en raison de leur coût élevé. Expérience faite, si vous commandez dans un restaurant local un plat classique tel que le chicken fried rice, vous allez recevoir une grande quantité de riz, avec des légumes et une toute petite quantité de poulet. Tout le contraire des habitudes culinaires occidentales. De plus, de nombreux plats traditionnels srilankais sont végétariens.

Un vendeur de poisson séché, cher mais excellent. © S.E.

Au bord de la route, un vendeur de Roti, une collation végétarienne sri-lankaise. © S.E.

Des différences notables

La culture et la vente des produits agricoles dans ce pays diffèrent des systèmes de fonctionnement occidentaux. Constatation faites sur place, il y a peu de grandes surfaces et beaucoup de marchés. Ceux-ci sont de toutes les tailles. Cela va des grands marchés hebdomadaires au centre-ville, aux petites échoppes disséminés dans tout le pays. Cela permet à la population d’acheter des produits frais de saison aux meilleurs prix et à proximité de leur lieu de résidence.

Au centre de l’île, des maisons locales avec leurs plantations. © S.E.

Concernant les plantations, les grandes fermes se trouvent surtout dans le nord, dans le reste du pays la surface des exploitations est moins importantes. Mais, les Sri Lankais pour la plupart cultivent aussi dans leur jardin ou devant leur maison quelques légumes et piments. Quand l’espace est suffisant il n’est pas rare de découvrir derrière le mur d’une maison un manguier, des cocotiers ou un arbre à pain. Cette habitude a été considérablement accentuée durant la sombre période du Covid, via l’appel du gouvernement à l'autosuffisance en raison de la pénurie alimentaire et la crise économique actuelle. Cette possibilité s’offre aux insulaires car la plupart vivent dans de petites maisons plutôt qu’en appartements locatifs. A l'exception de la région de Colombo, la capitale économique du Sri Lanka, qui compte à elle seule 648'000 habitants et où la terre se paie au prix fort. A Colombo, une initiative agricole helvétique n’est pas passée inaperçue. Répondant à la l'appel du gouvernement pour l'autosuffisance alimentaire en 2022, l’ambassade de Suisse a transformé sa pelouse en jardin potager.

Sur le terrain

Afin d’avoir des renseignements précis sur la situation, entretien avec Wije co-directeur d’un hôtel, chef cuisinier et fin connaisseur de son pays.

Stephan EnglerComment l’agriculteur vend-il sa marchandise?

Wije: Il peut la vendre partout, aux marchés, aux magasins et en direct. Par exemple, le magasin Arpico (grande distribution) de Matara dans le sud du pays achète ses produits frais chez des petits fermiers. Pour cette société, il n’y a pas de fournisseurs exclusifs. Bien entendu, les supermarchés prennent des marges hautes, mais le consommateur peut acheter les mêmes légumes bien moins chers au marché local.

Existe-t-il de grandes exploitations?

Oui, principalement dans le nord du pays. Cela dépend de la configuration du terrain, dans le sud et le centre se sont plutôt de petites exploitations agricoles.  

Une rizière au sud de l’île. © S.E.

Et des coopératives agricoles?

Oui, dans tout le pays, ces regroupements permettent d’optimiser les ressources des fermiers. 

Est-ce que les cultures bio sont développées dans le pays?

Avant de répondre à cette question il faut savoir que fin avril 2021, Gotabaya Rajapaksa, alors Président a décidé d’opérer un virage radical: faire du Sri Lanka le premier pays au monde à pratiquer une agriculture 100% biologique. L’objectif derrière cette fausse décision écologique était d’économiser des devises étrangères en n’important plus d’engrais et de pesticides chimiques. Ces produits augmentaient la dette du pays, ils ont donc été définitivement interdits. Bien sûr, la transition n’a pas fonctionné car il n’y a eu aucune préparation, ni de délai raisonnable pour ce changement radical. D’une année à l’autre la production a chuté de 50% et de nombreux travailleurs agricoles ont perdu leur emploi. Actuellement, il est à nouveau possible d’utiliser des produits phytosanitaires, mais ceux-ci sont vendus à des prix prohibitifs, seules les grandes exploitations peuvent en acheter. 

Les prix d’achats sont-ils corrects pour l’agriculteur?

Il peut survivre, mais sans plus. Comme partout, si l’agriculteur vend ses produits en direct, les marges sont plus importantes pour lui et il s’en sort mieux. Par contre s’il passe par des intermédiaires celles-ci diminuent. Les achats se font à des prix très bas, car en tant que businessmen les distributeurs veulent gagner le plus possible lors de la revente. C’est un problème. L’idéal est le contact direct entre les fermiers et le client. 

A quelles difficultés les agriculteurs sont-ils confrontés?

Le prix de l’essence, le change avec le dollar, (la roupie srilankaise est faible), les engrais sont très chers, le prix de l’énergie etc. tout a augmenté d’une manière incroyable. Mais depuis le début de l’année, la situation a tendance à s’améliorer.

Une plantation de thé en culture naturelle, 100% bio! © S.E.

Quels sont les changements marquants depuis 10 ans?

Il y a eu de grands changements principalement dans la recherche agricole. Le Sri Lanka possède plusieurs centres afin d’acclimater les plantes aux conditions spécifiques du pays, ainsi elles produisent plus et ont une résistance accrue. Par exemple les brocolis, le paprika, le chou-fleur et les courgettes étaient importées auparavant, maintenant nous pouvons les cultiver ici. 

Dans l’agriculture y a-t-il beaucoup de concurrence?

Oui beaucoup.

Est-ce le fait des importations de produits agricoles depuis l’étranger? 

Certains produits sont importés car ils ne peuvent pas être produits au Sri Lanka, ou alors la production locale ne suffit pas à la demande comme pour les oignons, les pommes de terre, les lentilles (indispensables pour le dhal, plat emblématique de la cuisine srilankaise) l’ail, les pommes et les oranges. Mais la grande majorité des fruits et légumes consommés sur place proviennent de la culture indigène. Il y a de grandes différences de climat entre les provinces, cela permet en fonction des saisons de faire venir des produits d’autres régions. 

Est-ce que les changements climatiques touchent aussi le Sri Lanka?

Oui assurément, nous sommes très affectés dans toute l’île, nous avons de grands changements avec une irrégularité du climat. Il n’y a plus vraiment de saison des pluies. 

Qu’est-ce que le Sri Lanka exporte et où?

La star des produits agricoles pour l’exportation est bien sûr l’emblématique thé, suivi par les épices tels que l’excellent poivre noir ou la cannelle, ensuite viennent les légumes et fruits tels que les mangues, la papaye, la banane, l’ananas, les fameux King coconut, etc. Les principaux pays d’exportations sont Singapour, la Malaisie, le Moyen Orient et l’Europe. 

Comment expliquer la différence de prix pendant l’année?

Les prix des légumes peuvent varier de manière significative en fonction de la saison, de la demande et en cas de pénurie. Ils sont liés aux récoltes locales, s’il n’y a plus assez de produits ils arrivent d’autres parties du pays. Mais il faut compter les frais de transport plus importants ainsi que des intermédiaires, cela augmente le prix de manière importante pour le client. 

Est-il difficile de trouver des graines?

Non, les graines sont importées ou de provenance srilankaise.

Quels sont les prix de quelques fruits et légumes aujourd’hui et à d’autres moments de l’année?

Avant de mentionner les prix il faut savoir que le salaire moyen d’un employé dans l’hôtellerie est d’environ CHF 170.- mensuel, et que le cours actuel est de roupie srilankaise est de 330 LKR pour environ 1 CHF.

Voici deux comparaisons de prix: l’aubergine actuellement est à 200 LKR pour 1 kg, il y a 5 mois elle était à 500 LKR car c’était la saison des pluies; l’ananas est aujourd’hui à 650 - 700 LKR pour 1 kg, mais le mois dernier il était à 1'200 LKR.

Une culture naturelle

Concernant les jardin de particuliers il est rarement ornemental, souvent, il fait office de garde-manger pour la famille. De plus les engrais étant hors de portée de la majorité des bourses les apports éventuels sont d’origine naturelle et locale. Il est aussi intéressant de constater que certaines plantations de thé ou de cannelle par exemple fonctionnent depuis toujours en culture naturelle 100% bio. La nature ayant repris ses droits, les théiers ou les canneliers poussent au milieu de plantes diverses. Pour certains agriculteurs, ce choix a été délibéré, pour d’autres une obligation. Car comme mentionné précédemment, les engrais sont tellement chers qu’ils sont souvent inaccessibles. Donc, certaines exploitations ont toujours été et restent bio. Aujourd’hui, les produits de ces exploitations respectueuses de l’environnement se vendent bien plus cher que ceux issus des cultures conventionnelles. Cela compense, en tout cas partiellement, leur rendement moins important.

Nelson dans son jardin de Mirissa avec son arbre à curry, les feuilles assaisonnent un grand nombre de plats typiques. © S.E.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Mboldrums 07.05.2024 | 22h45

«Jolies photos !»


@Chan clear 08.05.2024 | 08h46

«A lire on pourrait imaginer une sorte de Paradis terrestre , toute cette végétation, cette goutte tombée du continent indien qui a formé le Sri Lanka selon l’histoire….Il y a 30 ans , il y avait ces guerres incessantes entre les Tigres et Tamouls et un couvre feu. Nous gardons un souvenir étrange de cette arrivée par bâteau au Sri Lanka , et suis heureuse de lire que ça va mieux depuis le début de l’année car c’est à la force du poignet qu’il faut travailler dans les champs lorsque la technologie et les produits coûteux manquent,
On espère que à chf 170.- le salaire moyen mensuel, ils en ont encore des forces vives.»


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