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Culture / «Keep Sweet»: plongée glaçante dans la secte d’un pervers


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«Restez gentils: priez et obéissez», disait le prétendu prophète. Cela donne le ton. Pas de place pour l’individu, pas de place pour la liberté de conscience: nous sommes bien dans une secte. Il s’agit de la FLDS, à laquelle Rachel Dretzin consacre un documentaire en laissant la parole à d’anciens membres qui racontent les violences subies. Quelle est cette secte, au juste? Comment a-t-elle brisé la vie de ceux qui la lui avaient consacrée? Réponse en nuances avec la nouvelle mini-série Netflix «Keep Sweet», aussi affreuse que poignante.



L’introduction à chacun des quatre épisodes vous plonge dans l’ambiance. Après une citation biblique et quelques images annonçant les faits principaux qui seront traités dans l’épisode, le générique de début se lance en douceur, sous un grattement de guitare, avec la chanson sadcore de Michelle Gurevich «Feel More». Dans un genre country mais lent et mélancolique, ce générique est une préfiguration du sentiment qui lie les quatre épisodes. En montrant des images vieillies de larges paysages texans et des photos des jeunes filles en robes toutes pareilles, on goûte déjà à l’angoisse et, avec le rythme qui accélère, à la nécessité de libération qui habitent l’œuvre.

Ce générique, bien que court, est fondamental, parce qu’il met le spectateur dans un certain état émotionnel mais également parce qu’il est le seul porteur de la charge artistique de la série. Quasiment aucun élément dans le contenu des épisodes ne soigne l’art et la photographie. C’est sans doute le plus gros défaut de Keep Sweet, hormis pour l’usage des images et vidéos des archives de la FLDS qui est tout de même bien aménagé et assez intéressant à observer, également d’un point de vue artistique. Après tout, ce qu’on demande en priorité à un documentaire, c’est sa force dans le témoignage et dans le récit de faits marquants. Là, c’est totalement réussi. 

Le scénario est guidé par les déclarations, et parfois les larmes, d’anciens membre de la FLDS. Ce sont notamment des femmes à qui la parole est donnée: d’aucunes ont été mariées de force et violées dès l’âge de douze ans, d’autres se sont vu arracher leurs enfants, d’autres ont été de simples témoins de ces crimes, toutes ont été d’une manière ou d’une autre abusées. Il y a également des journalistes, policiers, hommes de loi et politiques qui racontent comment ils ont travaillé à en savoir davantage sur ce qui se passait dans cette secte et comment ils s’y sont pris pour mettre la main sur le gourou et mettre un terme à ces viols en série, au mariage de mineures et à la polygamie impunément pratiqués par toute une communauté.  

La FLDS : le contexte et l’histoire

Avant d’entrer plus en profondeur par les faits relatés dans les témoignages, regardons à quelle secte nous avons affaire. La FLDS («Fundamentalist Church of Jesus Christ of Latter-Day Saints», et «Eglise fondamentaliste des saints des derniers jours» en français) n’est pas simplement la branche fondamentaliste de l’Eglise souvent appelée des Mormons, dont le nom officiel est: «Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours». 

La FLDS n’est qu’une branche minoritaire du mormonisme fondé par Joseph Smith en 1830 aux Etats-Unis, qui a connu de nombreux courants et divisions, dès l’assassinat du fondateur en 1844. Sans entrer dans les détails, l’Eglise de Jésus-Christ des saints des derniers jours se dit chrétienne, mais elle n’est en réalité pas considérée comme telle par l’instance compétente, à savoir le Conseil Œcuménique des Eglises, qui compte pourtant 352 Eglises chrétiennes aux croyances aussi diverses que variées. Lesdits Mormons ont la Bible comme livre de référence, mais leur foi se base également sur Le Livre de Mormon, révélé par Dieu au fondateur, qui est indissociable de la Bible. Ils sont environ 16 millions dans le monde, et constituent la communauté majoritaire de l’Etat de l’Utah (62% de la population).

Selon le regard historique, on peut considérer que la FLDS existe soit depuis 1929, 1954 ou 1987. Ce sont en tout cas trois dates majeures qui ont marqué un schisme chez les fondamentalistes Mormons. Entre autres discordes, si les fondamentalistes se sont détachés progressivement du courant majoritaire des Mormons (Saints des Derniers Jours) que nous voyons aujourd’hui prêcher dans les rues, c’est à cause du refus d’abandonner la pratique du mariage plural (polygamie), tel que cela a été ordonné par les Saints des Derniers Jours dès 1890. 

En 1987, une partie majoritaire des fondamentalistes établis dans les deux villes voisines Colorado City (Arizona) et Hildale (Utah), qui forment ensemble la communauté de Short Creek, se soumettent à Rulon Jeffs qui, ayant accédé à la présidence du conseil des fondamentalistes, s’est arrogé les pleins pouvoirs en une année. C’est une dérive sectaire au sein d’un mouvement lui-même sectaire qui fait de Rulon Jeffs le prophète, seul représentant de Dieu sur Terre aux yeux de sa communauté d’environ dix mille personnes. 

La FLDS: les faits et les crimes

Selon les témoignages du documentaire, les membres de la FLDS se trouvaient d’une certaine manière plus libres sous Rulon que sous son fils et successeur Warren Jeffs. Il n’empêche que Rulon était le seul maître des mariages, en donnant déjà des épouses mineures à des hommes plus âgés, et que son autorité ne souffrait pas la moindre remise en question. Bien qu’il n’ait jamais été jugé pour cela, Rulon était autant complice de crimes, tels que le viol et l’inceste, que son fils Warren. 

Ce dernier, voyant son père diminué, a commencé dès 1998 à prendre du pouvoir, dont certaines «libertés» d’ordres sexuels avec ses propres sœurs. En 2002, lorsque Rulon meurt alors même qu’il s’était toujours déclaré immortel, Warren reprend la présidence et convainc la communauté par la manipulation qu’il est la réincarnation de son père et qu’il est donc désormais seul prophète à tous les effets. Il durcit considérablement les règles de la communauté (interdiction de fréquenter une école publique, interdiction du port d’arme, interdiction d’avoir un chien, interdiction pour les femmes de porter des habits actuels, interdiction d’internet, cinéma, télévision, presse et musique, etc.) et rassemble presque tous ses membres sur le territoire de Short Creek pour avoir une emprise absolue sur eux. Il exclut de la secte ceux qui mettent en doute sa parole et tous ceux qui pourraient le faire. Par là, il brise des familles, les membres exclus n’ayant plus droit à aucun contact avec leur famille.

Quant au point qui fâche, il multiplie et favorise les mariages de mineures, qui restaient apparemment limités sous Rulon, il reprend des épouses de son père, et épouse lui-même 78 femmes dont 24 mineures. Il ordonne la construction d’un temple au Texas, qui est le paradis sur Terre, et arrache des enfants à leurs familles pour les faire vivre avec ses élus et lui. Des garçons, mêmes mineurs, sont forcés à travailler jour et nuit comme des esclaves, et beaucoup d’entre eux ont été ensuite abandonnés et exclus pour éviter qu’ils ne séduisent les jeunes filles. 

Le chantier de ce temple qui est en fait tout un site, le YFZ Ranch (Yearning for Zio Ranch),  et qui n’avait pas été déclaré comme tel, s’agrandit et augmente les soupçons des autorités. Dès 2005, celles-ci cherchent à arrêter Warren. Il doit donc se cacher jusqu’à son arrestation en 2006: il a même figuré sur la liste des dix criminels les plus recherchés par le FBI. Suite aux accusations dont il a fait l’objet et aux preuves, il a été condamné à la réclusion à vie. En 2008, les autorités pénètrent dans le Ranch d’où ils délogent 473 enfants. Warren continue de diriger la secte depuis sa cellule par les visites, même si son emprise a forcément diminué et si une grande partie des membres a quitté la secte après la révélation de ces scandales. 

Warren Jeffs, l’homme aux 78 épouses et aux 468 enfants, est accusé de mariage de mineurs et complicité, de viols sur mineurs et de complicité. Il est en somme un pervers, manipulateur qui plus est pédophile. A la fin du quatrième épisode, quelques extraits d’enregistrements sont retransmis – à glacer le sang! Warren y ordonne à des jeunes filles, dont une a douze ans, de se masturber entre elles pour l’exciter et se préparer à coucher avec lui, tout cela dans une pièce sacrée et cachée de son temple dans l’YFZ Ranch. Deux de ses propres enfants, Roy et Becky Jeffs, ont même déclaré en 2016 avoir été violés par leur père dès leur enfance. Roy s’est suicidé en 2019, alors qu’il n’avait que vingt-six ans. Bien que derrière les barreaux, Warren Jeffs continue de hanter les esprits de beaucoup de ceux dont il a abusé d’une manière ou d’une autre. A l’instar des témoins dans Keep Sweet, beaucoup parviennent à guérir et à se reconstruire, mais les blessures restent à vie. 

L'aliénation

Si le viol de jeunes et même d’adultes a été monnaie courante dans la FLDS, et l’est peut-être toujours, il faut considérer que pour que ces viols soient généralisés et tacitement admis, il faut au préalable un viol mental, en d’autres termes de la manipulation à haut niveau. Comment des femmes ont-elles accepté de partager leur époux avec une, deux, trois voire plus de femmes? Comment des jeunes filles de quatorze ans ont-elles pu accepter d’épouser des vieillards? Comment, plus encore, leurs propres pères ont-ils pu accepter de donner leurs filles en mariage alors que certaines n’avaient que douze ans? Comment accepter une telle soumission? L’aliénation. 

Cela semble évident, mais comment une telle aliénation, qui a permis tant d’atrocités, a-t-elle pu se mettre en place? Nous ne sommes pas là pour répondre à la question, mais pour la regarder, pour se l’approprier et pour la méditer à l’aune de notre existence. Ce qui s’est passé au sein de la FLDS reste de l’ordre de l’exception, ce qui ne nous empêche pas de rester attentifs et prudents face à tout ce qui entrave réellement notre conscience. 

Qu’il s’agisse de courants politiques ou religieux, de modes ou d’idéologies puissantes, gare aux figures qu’on idolâtre, gare aux gourous cachés dont on boit les paroles, gare aux prêcheurs de haine animés par leur seules propres frustrations, gare au manichéisme politique, gare aux menaces apocalyptiques, gare aux promesses illusoires, gare au mépris de la raison et de la réflexion, gare aux mensonges face à l’Histoire, gare à l’effacement d’un réel qui nous déplaît. Gare à la négligence de soi, de son corps, de son intelligence et de sa liberté. Gare à toutes les fois où nous n’écoutons pas notre cœur au profit de la facilité, d’idées sans pensées, d’instincts bestiaux ou de sentiments passagers. 

Que personne ne s’avise de nous ordonner: keep sweet, prie et tais-toi! Je resterai gentil quand ce sera nécessaire, je prierai selon ma foi et ma conscience, et je me tairai quand j’aurai fini de parler.


«Keep sweet: prie et tais-toi», Rachel Dretzin, 4 épisodes de 50 minutes, sur Netflix.

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