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Analyse


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L’épiphanie est passée, les fèves dénichées et les têtes couronnées. Regard sur le sens de cette fête à travers une analyse de ces fameux mages et de l’étoile qui les a conduits à la crèche. Qui sont-ils? Quels sont les fondements historiques et religieux de cette histoire? Comment leur message peut-il nous toucher aujourd’hui?



Comme le chantait si bien Sheila en 71, d’un air entraînant, les rois mages «suivaient des yeux l’étoile du Berger» pour arriver à destination. Qui sont ces personnages dont la culture populaire s’est emparés? Le folklore nous dit depuis le 8e siècle que les trois rois mages, se nommant Gaspard, Melchior et Balthasar, vinrent respectivement d’Inde, de Perse et d’Arabie pour rendre hommage à l’Enfant Jésus. L’un était jeune, un autre déjà vieux et le troisième d’un âge moyen. Selon une autre tradition, les rois mages vinrent des trois continents connus de l’époque: Afrique, Europe et Asie.

Guidés par une étoile, ils apportèrent trois cadeaux à l’Enfant reconnu comme roi: de l’or, de la myrrhe et de l’encens. Symboliquement, le récit est riche. Il comporte en outre un haut potentiel narratif. Nombre de variations au récit sont possibles pour faire rêver les enfants ou selon les valeurs de chaque époque afin de créer un contenu plein de sens. Aujourd’hui, on ne compte plus les films, romans, tableaux inspirés de cette histoire.

Les rois mages, une légende?

On parle de l’histoire des rois mages. Ne devrait-on pas parler de légende? Cela serait sans doute plus approprié, car l’histoire des rois mages n’a rien d’historiquement fondé, rien de réel, si ce n’est dans l’imaginaire populaire. En fait, ces trois personnages, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne sont pas bibliques.

Si l’on s’en tient à ce que racontent les saintes écritures, on ne trouve trace de ces personnages que dans un seul des quatre évangiles. Matthieu écrit simplement que des mages sont venus d’Orient à Jérusalem, un astre leur ayant indiqué que le roi des Juifs venait de naître. Ils s’adressèrent au roi du moment, Hérode, pour le questionner à ce sujet. Celui-là les envoya s’enquérir de la naissance de l’enfant pour venir ensuite lui en faire part. Ils suivirent donc l’astre et arrivèrent jusqu’à la crèche où, éprouvant une grande joie, ils se prosternèrent devant l’Enfant et sa mère, offrirent leurs cadeaux et repartirent sans passer chez Hérode, avertis en songe de ne pas le faire.

Sorciers, prêtres et astrologues

C’est tout ce qu’en dit la Bible, ou presque. S’il n’est pas question de mages dans l’ancien testament, il est bien prophétisé à maintes reprises qu’un sauveur serait envoyé, le roi des Juifs face auquel se prosterneront les rois de toutes les nations, qu’il naîtrait à Bethléem et qu’un astre annoncerait sa naissance.

Faudrait-il donc reléguer au rang de fable cette histoire de mages? Point du tout. Si l’historicité de Jésus est amplement attestée, que l’on reconnaisse ou non son caractère divin, il semblerait plausible que des mages, sans doute plus nombreux que trois, soient venus d’Orient rendre visite à cet enfant, comme le raconte Matthieu.

Les fondements du récit des mages est même facilement débarrassé de tout fondement surnaturel. Qu’est-ce qu’un «mage»? En grec, «magoï» signifie tout autant sorcier, prêtre zoroastrien ou astrologue. Ces deux dernières significations sont intéressantes. Dans la religion officielle de l’empire perse, le zoroastrisme, les mages prophétisaient et étaient les références intellectuelles. Grands savants, ils fondaient leur science sur l’étude des astres. De tels mages connaissaient aussi avec certitude les textes sacrés des autres religions. Ils étaient donc au courant que les Juifs attendaient un roi spécial, dont la naissance serait annoncée par une étoile ou une constellation particulière.

Il se peut même que les mages fussent d’origine juive, par l’exil du peuple d’Israël à Babylone au 6e siècle avant notre ère. Juifs, Perses ou alors Nabatéens. Le royaume de Nabathée, de culture perse, se trouvant au cœur du monde de l’époque, entre les empires romain et perse; sa capitale était Petra, en actuelle Jordanie. Ce qui rendrait plus plausible le voyage de mages à proximité de Judée. Les mages jouaient aussi un rôle politique et étaient également chargés de représentation à l’étranger.

Un phénomène astrologique hors du commun

Mais quel astre a-t-il bien pu guider ces mages? Et pourquoi, si ce phénomène astral était si particulier, n’a-t-il pas laissé de traces dans les écrits des autres sociétés de l’époque? En l’an -6, année où serait historiquement né Jésus, il y a bien eu un phénomène astral très particulier, qui n’a lieu qu’une fois par millénaire. Ce fut néanmoins un phénomène invisible aux non-initiés en astrologie.

Ce phénomène a été expliqué en 1999 par l’astrophysicien Michael Molnar (1945-2023). Dans son essai scientifique The star of Bethlehem: The Legacy of the Magi, l’universitaire a analysé le mouvement des étoiles à rebrousse-temps et a expliqué le phénomène astrologique s’étant produit en l’an -6. Sans entrer dans les détails, tant par incompétence en la matière que par souci de brièveté, Jupiter s’est trouvé en phase de lever héliaque dans la constellation du Bélier, cependant que le Soleil, Saturne et Jupiter se trouvaient en configuration d’aspect trine.

Ce phénomène extrêmement rare a pu être interprété selon les connaissances en astrologie de l’époque comme l’annonce de la naissance d’un roi en terre du Judée, ce qui concordait avec les prophéties également considérées par les mages. Pour l’astrologie zoroastrienne, Jupiter représente en effet la royauté; la constellation du bélier est quant à elle affiliée à la région géographique de Judée. Le phénomène se levant à l’est, il se serait mû jusqu’à l’emplacement de Bethléem où seraient arrivés les mages la nuit du 16 au 17 avril de l’an -6.

Des cadeaux riches de sens

Symboliquement, que signifient ces trois cadeaux que sont l’or, la myrrhe et l’encens? Historiquement, et bien qu’ils paraissent probables puisque ces trois éléments proviennent d’Orient, il n’en existe aucune preuve. Si les mages sont Nabatéens, ces trois cadeaux prennent tout leur sens pour deux raisons: premièrement, parce qu’ils montrent que Nabatée est le maillon central des grands échanges commerciaux de l’époque; deuxièmement, parce que ces produits constituent le présent typique que l’on offrait alors au roi d’une nation alliée.

Spirituellement, selon la foi judéo-chrétienne, ces cadeaux sont aussi riches de sens. L’or représente la royauté. L’enfant est donc reconnu comme «le roi des Juifs». La myrrhe, utilisée pour embaumer les morts, représente l’holocauste, autrement dit le sacrifice offert par le prêtre. Jésus est donc d’ores et déjà annoncé comme le prêtre qui donnera sa vie en sacrifice. L’encens représente, par sa fumée parfumée, le lien entre l’homme et Dieu. Jésus est donc reconnu comme de nature divine, médiateur entre le Père céleste et les hommes.

Un message pour aujourd’hui

Outre la curiosité intellectuelle et le rétablissement d’une culture du religieux propice à unir l’Occident, cette histoire de mages et d’Enfant Jésus a bien un message à nous livrer au cœur du 21e siècle, que ces faits aient eu lieu ou non, que l’on soit croyant ou non.

Que trois grands savants se déplacent pour venir se prosterner face à un bébé, cela en dit long sur la valeur de la vie, au-delà de l’utilité de productivité. Un enfant, un vieillard, un malade, à quoi servent-ils? Pour certains, à rien encore ou plus à rien; la valeur de leur vie n’en est pas pour autant affectée, car l’être est supérieur au faire.

Aussi, l’enfant incarne l’espérance d’un monde qui continue. Il est la promesse d’une vie qui est appelée à se déployer. L’enfant confère aussi aux parents un attribut divin qui est celui de créer. En somme, l’enfant est le fruit de la fécondité; œuvre à laquelle chacun est appelé, que ce soit biologiquement ou spirituellement. La clef d’une vie réussie, disait mon maître de philosophie, c’est la fécondité. Pas seulement faire quelque chose, mais donner à être, et faire grandir l’être.

Cette épiphanie nous permet aussi de réfléchir à la vraie richesse, à la vraie grandeur et à la vraie force. La richesse n’est-elle que matérielle? La grandeur n’est-elle que l’apanage des puissants de nos sociétés? La force n’est-elle que l’attribut des violents et des tyrans? Ces mages à genoux devant l’Enfant nous racontent qu’il n’y a pas de plus grande richesse que de se voir confier un petit être fragile. Que la grandeur peut être contenue dans l’exiguïté d’une mangeoire; ce bébé ne changera-t-il pas le monde? Que la force réside dans l’application à prendre soin d’un petit être, à construire une œuvre bonne et non dans la pulsion destructive et dominatrice.

Et ces cadeaux, si nous les recevions aujourd’hui à notre tour? Je reçois l’or qui me rappelle ma dignité royale à gouverner ma vie, à bâtir le beau royaume de mon existence. Je reçois l’encens qui me rappelle ma verticalité: je suis fait pour m’élever par ma liberté et mon intelligence vers ce qui me dépasse, vers Dieu. Je reçois la myrrhe me rappelant ma condition de mortel, passage vers une vie qui s’étend au-delà des limites du corps embaumé.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@simone 17.01.2025 | 17h20

«Merci de cet éclairage du texte biblique et de cette réflexion très enrichissante.»


@Foenix 18.01.2025 | 12h02

«Magnifique et émouvant ! Merci !»