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Opinion / Acculée, la SSR nous enfume et enterre sa radio en douce


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La SSR va entamer «la plus grande réorganisation de son histoire» avec 270 millions d’économies prévues d’ici 2029. Alors qu’elle vient de faire construire à Ecublens un bâtiment hors de prix qui n’apporte aucune plus-value à son organisation ni à ses programmes. Faut-il y voir une tentative désespérée de contrer l’initiative sur la redevance radio/TV à 200 francs?



Grosse actualité audiovisuelle en ce début d’été caniculaire! En France, les radios publiques étaient en grève pour protester contre le projet de holding/fusion de l’audiovisuel public voulu par Rachida Dati. Dans la foulée, on apprenait que Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, était mise en examen pour détournement de fonds publics en compagnie du maire de Nice Christian Estrosi. En Suisse, on n’en est pas – encore? – aux grèves et aux procès mais on nous annonce que la SSR entamerait «la plus grande réorganisation de son histoire» avec 270 millions d’économies prévues d’ici 2029 tandis qu’à Genève, la tour de la télévision, immeuble emblématique rénové à grands frais il y a une dizaine d’années, serait vendue à la Fondation Hans-Wilsdorf pour y aménager un «centre médias» destiné, entre autres, à accueillir le journal Le Temps.

Je ne porte pas les journalistes français, ni les grèves, en haute estime. Mais il faut laisser aux Français cette qualité: quand ils ne sont pas d’accord sur une question importante, ils n’hésitent pas à le dire haut et fort. Quitte à perdre la guerre, ils auront au moins gagné une bataille et sauvé l’honneur.

En Suisse, il n’y a aucune chance pour qu’un tel événement se produise. Les collaborateurs genevois, tout en maugréant et en freinant des quatre fers, prendront le train d’Ecublens et installeront leurs pénates dans cette cathédrale, que dis-je, dans cette basilique surdimensionnée et hors de prix qui, coupée de tout lien avec la cité, est appelée à devenir une sorte de Yamoussoukro audiovisuel.

 Il est vrai que les enjeux y sont infiniment moins vitaux qu’en France, tellement les poches de la SSR sont profondes et peuvent amortir les chocs. Et le sujet divise d’autant moins que le coupable idéal est déjà tout désigné: l’UDC et sa manie de couper les budgets.

Comment la SSR s’est sabordée

Soyons sérieux un instant et voyons plutôt comment la SSR s’est sabordée elle-même à force de calculs stratégiques douteux et d’erreurs de gestion pratique.

C’est à leur lumière qu’il faut juger l’opération de comm des barons du service public qui viennent de saturer les médias avec leur «réorganisation historique». Impossible de ne pas voir dans cette manœuvre une tentative désespérée 1) de solder l’ère Gilles Marchand et ses projets immobiliers somptuaires mais sans aucune valeur ajoutée sur le plan des contenus et de la gestion d’entreprise et 2) de contrer l’initiative sur la redevance radio/TV à 200 francs en faisant mine de s’attaquer enfin au dégraissage du mammouth.

Examinée avec un tant soit peu de distance critique, on s’aperçoit en effet que la vente de la tour genevoise tombe à pic pour boucher le trou (150? 180 millions?) du nouveau bâtiment d’Ecublens censé accueillir les rédactions radio et une partie des effectifs genevois dès 2026. On a misé sur ce bâtiment dans un geste de mégalomanie alors que la mesure d’économie la plus rationnelle aurait consisté à déménager la radio de La Sallaz/Lausanne à Genève et à investir les gains dans les programmes. Au lieu de quoi, la RTS se trouvera, comme par le passé, étalée sur deux sites, dont l’un qu’il faudra louer et l’autre qui a coûté bonbon, avec toutes les difficultés que cet éclatement suppose.

Enfumage et explications embrouillées

On constate ensuite que l’exercice relève plus de l’enfumage que de l’information. La presse a parlé de « 270 millions d’économies d’ici 2029 » et de «17 % d’économies sur le budget 2024» sans préciser ni le chiffre d’affaires, ni le nombre d’années pris en compte, ni le nombre de postes concernés. Si l’on rapporte les 270 millions sur le chiffre d’affaires cumulé de 6,4 milliards, l’économie réelle est d’environ 4 % par an. Des peanuts!

L’allusion aux «mille postes» (sur les milliers que compte la SSR) qui seraient sacrifiés sur l’autel des économies n’est pas plus crédible. Elle tient du chiffon rouge que l’on agite pour réduire les troupes à quia à l’intérieur et montrer au bon peuple des votants que le service public audiovisuel, s’étant déjà saigné aux quatre veines, ne peut faire davantage.

Ça peut marcher. Mais ce n’est pas sûr. L’histoire de la SSR a toujours montré que la forteresse RSI était inexpugnable, les Tessinois ayant toujours réussi à conserver leurs effectifs pléthoriques, et que, comme par enchantement, les programmes de la SRF, avec une modeste contrainte de 12 millions d’économies, ne seront pas affectés par les mesures. Il en ira de même pour les effectifs redondants du siège bernois, qui regorgent pourtant de placards dorés. On peut gager qu’ils échapperont aux coupes: le plan de réorganisation prévoit une centralisation des sports, de la fiction et de la production, ce qui aura pour effet d’y faire exploser les effectifs de coordination...

En ce qui concerne la Suisse romande, les explications du directeur de la RTS, Pascal Crittin, sont tout aussi embrouillées. On a vu que l’opération «Ecublens» était censée réduire les coûts en centralisant l’info et les sports dans le canton de Vaud. Mais ce dernier assure que la RTS va néanmoins augmenter «nombre de productions» dans la tour genevoise… dont elle sera locataire! En fin de compte, la RTS Genève ne décentraliserait qu’un quart de ses collaborateurs, dans une manœuvre dont personne ne comprend la nécessité puisque l’ensemble continuera à fonctionner sur deux sites séparés. Allez comprendre!

Le plus navrant, c’est le sort réservé à la radio

On voit qu’elle sera la grande sacrifiée de ce coup de poker menteur. Signe qui ne trompe pas: sur les quatre rédacteurs en chef de l’actualité qui ont été nommés pour diriger la rédaction romande, aucun ne provient de la radio. Les candidats radio ont tous été recalés, trois des élus provenant de la TV et le quatrième de Blick Romandie.  

Les chaines radio de la RTS seront entièrement repensées, transformées, refondues en profondeur, affirme le communiqué de presse. Plusieurs émissions seront supprimées ou fusionnées. Grace au génie qui avait imposé le DAB en sacrifiant 30% des audiences radio en début d’année 2025, le bradage peut donc continuer.

J’avoue éprouver une affection particulière pour la radio, dont j’écoute religieusement depuis cinquante ans les tranches horaires de 6h à 7h, matin et soir. La radio est le média le plus intime qui soit. Elle nous accompagne dans nos chambres à coucher, à la cuisine, en voiture (avant le DAB du moins). Bref, on vit avec elle.

J’admets que l’écouter relève de plus en plus du masochisme. Le matin, il faut subir le babillage insignifiant qui suit les nouvelles et les phrasés indistincts prononcés à toute vitesse, se passionner pour le 112e reportage non-binaire sur la souffrance des pasteures queers dans le Nord vaudois et le malaise des bambins et bambines qui doivent aller aux toilettes dans les crèches, suivre la tournée des gentils Uygurs, Tibétains et opposants iraniens «persécutés par les méchants Chinois et les affreux mollahs».

Le soir, il faut assister à la ritournelle des experts stipendiés par les think tanks de l’OTAN et du DDPS, qui pensent tous la même chose. En trois ans, pas un qui n’ait divergé de la propagande officielle: Zelensky est bien et Poutine est mal. Tout cela alors qu’ils n’ont la plupart du temps jamais mis les pieds en Russie, ou si peu. On dira avec raison que je suis jaloux. Après avoir commenté l’actualité et voyagé cent fois en Russie et en Ukraine pendant trente ans, je mesure encore l’étendue de mon ignorance concernant ces deux grands pays.

Le fait que les journaux radio soient filmés ajoute à l’insignifiance: la forme l’emporte sur le fond, le paraître sur le savoir, comme à la TV, tout en coûtant cher puisque désormais on ne se contente plus de diffuser le journal parlé avec une simple webcam mais que l’on produit des vidéos à grands renforts de techniciens qui viennent doubler les journalistes avec zéro plus-value.

Bref, on l’aura compris, la liste de mes griefs est interminable. Mais peu importe. Envers et contre tout, je tiens à notre radio, parce que j’ai toujours le secret espoir qu’un jour elle saura casser le mur de conformisme et de banalités hérité de la télévision, qu’elle osera nous surprendre, mener de vrais débats contradictoires, donner la parole aux réprouvés des antennes, bref qu’elle saura nous refaire penser et vivre.

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