Média indocile – nouvelle formule

A vif

A vif / Anne Nivat, Marc Levy: la rencontre improbable

Daria Mihaesco

3 septembre 2017

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L’écrivain populaire qui a vendu près de 40 millions de livres et la grande journaliste de guerre se retrouvaient dans un face-à-face inattendu mais finalement très consensuel.



Un public fourni et principalement féminin attendait le romancier et la journaliste mais après un sondage très sommaire, il semblerait que c’était plutôt les groupies de Marc Levy qui étaient venues assister au débat. A priori, pas de journalistes, ou alors embusqués. Car Marc Levy fait froncer le nez des intellectuels dans un mouvement de léger dégout mâtiné d’un sourire supérieur. C’est un écrivain populaire! Dans cette simple petite phrase résonne toute la méfiance des critiques qui adorent dénigrer ses formules un peu convenues et ses histoires qui finissent bien. Pour résumer, c’est l’auteur vivant français le plus vendu au monde mais dont aucun journaliste littéraire ne parle jamais. D’ailleurs personne n’avoue vraiment lire Marc Levy même si avec 40 millions de livres vendus, il est plus que probable que chacun de nous ait lu au moins un de ses livres. D’accord pas vous qui nous lisez! alors votre voisin…

Anne Nivat est une journaliste de guerre célèbre pour avoir bravé les bombardements en Tchétchénie, en Irak ou en Afghanistan. Notamment connue pour avoir interrogé des djihadistes sous une burqa en Irak, elle cherche à comprendre les motivations de ses interlocuteurs, souvent sans caméra pour garder un maximum de naturel. Ce samedi à Morges, en talons aiguilles mais le regard dur, elle force le respect et personne ne pourrait se permettre de remettre en question son professionnalisme ou sa rigueur. Très présente au Livre sur les quais, elle est en promotion de son dernier livre «Dans quelle France on vit » qui raconte le malaise de certaines périphéries françaises oubliées.

Que doit être un journaliste?

Ce n’est pas un débat mais bien une rencontre à laquelle on assiste, les deux protagonistes cherchant à tout prix à se trouver des points communs. Ils se sont beaucoup interrogé sur ce que devait être et surtout sur ce que ne devait pas être un journaliste: respect d’une charte journalistique, éviction de la profession en cas de mensonge avéré et peut-être même un ordre des journalistes comparable à un ordre des médecins qui pourrait contrôler le sérieux de ses membres et éviter ainsi les infamantes fake news. Anne Nivat a ajouté que son métier c’était de l’observation. Cette affirmation sonnait peut-être bien, mais ça ressemblait trop à du Marc Levy, finalement, un peu cousu de fil blanc. Car, si on y pense, l’observation est une représentation de la réalité, la représentation qu’on s’en fait. N’importe quel commentateur ou journaliste un tant soit peu honnête sait qu’il a une vision  partiale des choses, influencé qu’il est par son éducation, sa formation, les autres métiers qu’il a pu exercer, son conjoint ou ses opinions politiques. Quelle réalité montre-t-il alors? La sienne, bien entendu, même s’il est totalement intègre. Et en digressant, on pourrait alors se poser la question, si, au contraire, dans une époque où les nouvelles de presse sont reprises sans autre commentaire par la plupart des journaux et que les journalistes ont moins l'occasion d'exprimer leur opinion personnelle, le public ne commence pas à se désintéresser de la presse écrite professionnelle pour se tourner vers les blogs et autres sources d'information non formatées. C’est d’ailleurs ce qui ressort des brillantes interrogations d’Anne Nivat dans les zones défavorisées en France où l’on dit ne plus faire confiance ni aux politiques ni à la presse!

Le comble de l'indocilité

La question qu’ils n’ont pas osé se poser est: «Mais qu’est-ce qu’un bon écrivain?» Celui qui vend des millions de livres? Celui qui par un seul aphorisme nous fait réfléchir pendant des jours  peut-être des années? Celui qui nous apporte une émotion, une information ou qui pousse le langage plus loin que le nôtre? Celui qui nous transporte et nous fait rêver? Celui qui est étudié à l’école? Celui qui ne sera publié qu’à un tirage confidentiel car il écrit de la poésie lyrique contre vents et marées? Celui que personne ne lit vraiment mais dont on parle parce qu’il a couché avec un politique? L’adolescent qui tient un journal intime qui restera à jamais secret?

La conclusion pourrait être laissée à Marc Levy qui en souriant chaleureusement à son public conquis d’avance a conclu: «Le bonheur, c’est de partager une question, pas d’avoir une réponse». Plutôt bien tourné pour un écrivain populaire…

Allez, je vous avoue, j’ai déjà lu du Marc Levy en tachant les pages avec de la crème solaire. J'apprécie son imagination et sa sincérité, même si sa prose sonne parfois creux. Mais je ne suis pas une critique littéraire et un journaliste bienveillant lors d’une séance de rédaction, m’observant avec curiosité m’a lancé: «Toi, tu n’as pas une dégaine de journaliste littéraire!».

C’est peut-être devenu le comble de l’indocilité pour un journal de laisser s’exprimer des opinions venant d’horizons différents ou en brisant une certaine dégaine devenue trop uniforme.


Daria Mihaesco est active dans la finance, spécialiste des pays de l’Est. Journaliste par passion plutôt que par métier.


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