Analyse / Comment diable s’y retrouver dans le vacarme?
Les soubresauts inouïs de l’actualité internationale ont sur nous divers effets. Les uns ferment les écoutilles, ras-le-bol de l’info. Chez d’autres, tout vient renforcer de vieilles certitudes liées aux camps du Bien ou du Mal. Et puis il y a ceux qui tentent de se faire une opinion propre, basée sur des faits établis. Quel défi! Car les propagandes se déchaînent.
Sur ce terrain, il faut bien le dire, les maîtres du jeu sont les Israéliens et les Américains. Leur efficacité médiatique est stupéfiante. Comment y faire face? Chacun a ses trucs. Osons quelques conseils.
D’abord ne pas se laisser imposer trop vite le sujet du jour. Celui-ci est cadré pour un impact fort. Exemple: depuis l’attaque israélienne contre l’Iran, il est répété sur tous les tons que la grande menace est celle de son armement nucléaire. Elle justifie toutes les violations des règles internationales. Or en mars dernier, les services de renseignement américains, CIA comprise, affirmaient que Téhéran est loin de fabriquer une bombe atomique, que sa priorité est la production d’énergie civile. Un claquement de doigt de Trump a fait revenir ces spécialistes sur leurs propos.
L’arbre qui cache la forêt
Autre précaution nécessaire: voir ce que cache le sujet mis en exergue. Ainsi le conflit récent et l’épisode inattendu du cessez-le-feu ont éclipsé la tragédie de Gaza et ses derniers développements pervers. Ces dernières semaines des centaines de personnes ont été tuées par l’armée d’occupation alors qu’elles tentaient d’obtenir de la nourriture auprès d’une fumeuse fondation contrôlée par des mercenaires américains et les forces israéliennes. Chaque jour des centaines d’enfants meurent de faim, de cette famine provoquée et revendiquée par les assassins. «Un revers pour l’humanité», comme dit pudiquement la présidente du CICR. Il n’empêche que la plupart des dirigeants européens ne bronchent guère, ne décrètent aucune sanction, continuent d’envoyer des armes aux tueurs. La lâcheté tourne à la complicité.
Eclipsée aussi la situation de la Cisjordanie occupée par des colons violents qu’appuie Tsahal. Ces derniers temps, non seulement les arrestations arbitraires et les assassinats se multiplient, les voies de communication entre les villages palestiniens sont de plus en plus compliquées et hyper contrôlées. Au point de paralyser la vie sociale.
Et plus question non plus de parler du Liban. Où les bombardements sporadiques continuent. En violation de l’accord conclu avec le gouvernement sous la houlette américaine. On n’est pas à une violation près.
Une propagande contrôlée et un récit imposé
Le plus difficile est d’apprécier les faits hors des images de propagande. Pour l’heure, il est impossible d’évaluer les dégâts réels causés par la guerre en Israël et en Iran. La censure s’impose dans les deux camps. Telles images sont admises, d’autres pas. La correspondante de la TV allemande à Tel Aviv raconte qu’elle peut filmer les bâtiments civils touchés, pas les dispositifs militaires touchés. Ses reportages sont dûment contrôlés.
Il y a d’autres clés de compréhension que les propagandes bannissent efficacement. Comme la dimension juridique. Nos médias, pris dans le vacarme, se lassent d’interroger les spécialistes du droit international. L’absence de toute sanction à l’endroit d’un Etat qui le viole systématiquement, l’incroyable politique occidentale «deux poids, deux mesures» ne sont plus guère rappelées. Les rédactions accrochées au fil des dépêches, qu’elles le veuillent ou non, suivent en gros le récit imposé par les grandes puissances.
La nécessité de trouver d’autres sources fiables
Elles sont rares mais elles existent. Ainsi, les Romands ont la chance d’avoir un journal qui fait un travail exemplaire sur le Moyen-Orient: Le Temps. Le meilleur de Suisse! Ses reportages sur le terrain, ses analyses indépendantes font honneur à la profession. Grâce notamment à une journaliste qui connaît la région en profondeur, Aline Jaccottet.
Et puis on trouve aussi des éclairages précieux dans le fouillis d’Internet. Un Pascal Boniface ici, un Emmanuel Todd là, un tour chez l’ex-chef des espions Alain Juillet ou l’ex-ambassadeur Gérard Araud… il y du grain intello à moudre de plusieurs côtés. Les défenseurs autoproclamés de la liberté d’expression qui pourfendent les réseaux sociaux feraient bien d’y aller voir de plus près. Mais non… l’eurodéputé Raphaël Glucksmann qui rêve d’une candidature socialiste en 2027 prône l’interdiction de ces plateformes aux moins de quinze ans et l’interdiction de TikTok! Il est vrai que sa compagne, Léa Salamé, va bientôt présenter le journal de 20 heures sur France 2. Ce pôle de la Sagesse publique n’a que faire des bavardages électroniques.
Une autre clé de compréhension, l’histoire
Un zoom arrière, un regard au grand angle, ça aide. On ne comprend rien au comportement des peuples sans connaître leur passé, leurs racines, leurs traumatismes. Exemple: comment l’Iran ne serait-il pas marqué par la guerre de huit ans (1980-1988) avec l’Irak, avec un Saddam Hussein alors soutenu par l’Occident, la France et la Grande-Bretagne en particulier. Pas loin d’un million de morts. Un Saddam renversé en 2023 par les Américains. Huit ans d’horreurs encore. Un million de morts en plus. Allez dans ces contrées parler des «valeurs» de l’Occident si attaché à la démocratie et au droit… Cela toussera dans la salle. Même si le passé de ce régime détestable est lourd. Il doit aussi être rappelé. Rien qu’en 2022, 536 personnes tuées dans la répression d’une protestation populaire.
Il n’a jamais été si facile de combler les trous de mémoire et d’ignorance. Une vague interrogation sur tel ou tel passé? Trois mots-clés et l’IA, Perplexity en particulier, nous sert une synthèse fondée sur des sources fiables. La «Nakba», c’était quoi au juste? L’histoire de 800 000 Palestiniens déplacés ou chassés de l’Etat d’Israël en 1948, dont la descendance est bien plus nombreuse aujourd’hui. Pour qui se doute que le drame de Gaza n’a pas commencé le 7 octobre 2023 comme martelé sans cesse, un tour dans la mémoire électronique s’impose. Là encore, rappel d’une longue oppression, d’attaques oubliées contre ce territoire bouclé.
On s’aperçoit alors que le récit trop bien ficelé qui nous est servi depuis des décennies sur les réalités de cette région meurtrie ne tient plus le coup.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire