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Actuel / Paix au Moyen-Orient? Pas sûr!

Jacques Pilet

4 janvier 2021

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L’histoire retiendra, en 2020, l’accord entre Israël et plusieurs pays arabes, encore impensable il y a quelques années. Les Européens, Suisses compris, l’ont salué sans excès d’enthousiasme. A la différence de Trump qui a annoncé au clairon «une ère nouvelle de paix». Distraits par l’obsession covidienne, nous n’avons guère mesuré les conséquences de ce tournant, amorcé depuis un certain temps déjà.



La clé de ce rapprochement est évidemment le rapport à l’Iran, craint à la fois dans le Golfe et en Israël. L’évènement décisif remonte au 14 septembre 2019. Lorsque des drones armés de construction iranienne, envoyés par les rebelles yéménites houtis, ont détruit en quelques heures plusieurs centres pétroliers en Arabie saoudite. La fragilité des monarchies de la région éclatait au grand jour. Leur surarmement — avec des centaines d’avions modernes — n’avait servi à rien. C’est dans l’espoir de se protéger, peut-être d’attaquer un jour, que ces pays se sont en fait adossés aux forces de sécurité israéliennes, infiniment mieux préparées, à la pointe de la technologie.

Va-t-on à terme vers une guerre frontale? C’est peu probable. Elle serait dévastatrice de part et d’autre, jusqu’en Israël. Ses raids, comme celui qui a réussi à assassiner le chef du nucléaire iranien en plein Téhéran, sont des actes belliqueux mais finalement de peu d’effets. Les Etats-Unis qui détiennent bien des clés de la situation militaire ne seront pas favorables à un conflit généralisé. Mais la montée des tensions est programmée. Celles-ci servent le pouvoir des durs dans tous les camps. Elles causent déjà des ravages au-delà du Golfe persique. Où? Dans les territoires occupés de Palestine qui échappent certes pour le moment à l’annexion prévue par Netanyahou mais se trouvent de plus en plus morcelés par la colonisation juive qui se poursuit. Les incidents, souvent meurtriers, se multiplient. Tensions sans fin aussi autour de Gaza qui reste une prison à ciel ouvert, livrée à un pouvoir autoritaire… et au désespoir. En Syrie, où les sanctions internationales contre Bachar el Assad affament la population, où de périodiques bombardements israéliens ciblés contre la présence iranienne affaiblissent le fragile Etat. Au Liban voisin qui subit les contre-coups, notamment économiques, de cette guerre larvée en plus de sa tragédie intérieure. En Irak où l’affrontement des forces chiites pro-iraniennes et de ce qui reste des forces sunnites appuyées par les Américains casse et épuise le pays, ses populations aspirant enfin à la paix. Non, le Moyen-Orient en est encore très loin.

L’accord avec l’Iran sur le nucléaire, tant souhaité par les Européens, détruit part Trump, réapparaîtra-t-il avec l’administration Biden? C’est fort incertain. Les mollahs ultras de Téhéran s’y opposeront. Les va-t-en-guerre israéliens et arabes aussi. Et il n’y a pas que des grands pacifistes au sein du nouveau pouvoir de Washington.

L’Europe, là comme dans d’autres parties du monde, est hors-jeu. Les Américains qui arment Israël et les pays du Golfe sont au premier plan. La Russie joue en coulisses, pas forcément d’ailleurs en faveur de l’Iran, mais déterminée à défendre un Etat syrien préservé de l’islamisme. La Turquie, plutôt tournée vers l’Azerbaïdjan conquérant et la Méditerranée, n’est guère active sur ce front. Quant à la Chine, elle se moque de ce conflit tant qu’elle peut poser ses pions économiques auprès de toutes les parties.

Pourtant les Européens subissent bien plus que les Américains les éclaboussures de cet immense abcès. On a peu dit, on a peu vu que le nombre des réfugiés arrivés en Italie a fortement augmenté en 2020. Une part considérable en provenance de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, de Somalie, du Soudan. Et à ceux-ci s’ajoutent, surtout vers l’Espagne, les migrants de Libye, de Tunisie, du Maroc, beaucoup d’Afrique noire mais aussi nord-africains. Ce n’est pas l’accord entre Israël et le roi marocain qui allègera la détresse de ses sujets au chômage, plus que jamais privés de perspectives.

La myopie et l’indifférence de l’Europe face au Moyen-Orient et à l’Afrique lui vaudront bien des déboires. Certes la France se bat au Sahel mais elle se retrouve là fort seule. Nous en parlerons. A suivre.


Lire aussi: Le premier épisode de la rétrospective 2020 par Jacques Pilet, Arménie, les pièges de l'indifférence

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