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Chronique

Chronique / Le journaliste le plus suivi et le plus controversé


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Vous ne sauriez croire comme c’est merveilleux de finir sa vie comme journaliste. Grâce au journalisme, je suis encore dans la vie. Sans le journalisme je serais, comme tant d’hommes de mon âge, sur une voie de garage.» Ces propos, tenus devant la presse étrangère à Paris en 1963, sont de François Mauriac. Depuis dix ans, le romancier s’est mué en chroniqueur incisif de la vie politique au fil de ses fameux Bloc-Notes – ils viennent d’être réédités. De Gaulle, qui, comme Mauriac, disparaîtra en 1970, n’a pas alors de plus sûr soutien. Tandis que pour l’écrivain, ce nouveau rôle s’apparente à une seconde carrière, sinon une seconde vie.



1952, l’année du Prix Nobel attribué à François Mauriac. La seule couronne qui manquait encore à son front après le Grand Prix de l’Académie française et l’entrée triomphale sous la Coupole en 1933, à l’âge de quarante-huit ans. Il est alors l’un des plus jeunes académiciens comme plus tard un certain d’Ormesson. Et tout, à l’instar encore de ce dernier, semble lui réussir. Jusqu’à ce cancer de la gorge qu’il a vaincu et qui lui vaudra cette voix murmurée, indissociable désormais de son personnage aux apparences faussement fragiles. 

Malagar où François Mauriac a écrit tant de Bloc-Notes. Saisie d’écran.

Très tôt, Mauriac est un écrivain choyé et ses romans, Le Désert de l'amour, Thérèse Desqueyroux, Le Nœud de vipères, Le Mystère Frontenac, connaissent un immense succès. Certes sont-ils d’un bourgeois, de province de surcroît, de Bordeaux, mais leur auteur n’a de cesse de retourner sa plume contre son milieu pour en fustiger l’étroitesse et l’hypocrisie. Ils sont aussi, autre tare diront les mauvaises langues, d’un catholique, mais, bien loin de représenter des modèles de piété, ils disent au contraire les tourments de l’âme et les tiraillements de la chair. Ainsi Thérèse, l’héroïne de son roman le plus célèbre peut-être, incarne-t-elle la passion dévorante et son modèle véritable, plus encore que les protagonistes de faits divers qui l’ont inspiré, c’est Phèdre. «Mais où, cher Maître, lui demanda un jour une admiratrice, allez-vous chercher toute cette noirceur? – Mais en moi, Madame, en moi!»  

Evoquant ses engagements, Mauriac dira,«je suis né du mauvais côté.» Entendez: ce milieu provincial conservateur, abonné à L’Action française et au Gaulois, où le romancier donne ses premiers articles. Car il a très tôt écrit pour la presse, s’exerçant d’une certaine manière à ce qui deviendra le Bloc-Notes.

Au début de la guerre d’Espagne, question de milieu et peut-être aussi d’atavisme religieux, Mauriac soutient tout naturellement les nationalistes. Mais la tragédie de Guernica lui ouvre les yeux. Et il rejoint bientôt le camp républicain, dont il prend la défense à Temps présent et à Sept, dont l’un des rédacteurs n’est autre que le futur porte-parole de la France libre, Maurice Schumann. Il écrit aussi – déjà! – dans Le Figaro, au risque d’en froisser les lecteurs qui sont tous de sa classe. Mais justement. Il est des leurs, et c’est un atout pour dénoncer l’aveuglement de cette même droite face à Hitler et au fascisme. 

Après l’armistice, il veut croire que Pétain peut être l’homme du salut. Il l’écrit. Mais un mois après, il exprime déjà son inquiétude et appelle à «Ne pas se renier.» Entre Vichy et Londres, l’écrivain a choisi. Et c’est aux Lettres françaises clandestines qu’il va donner ses articles et aux Editions de Minuit, Le Cahier noir, publié sous le nom de Forez en 1943. Violente charge contre la politique de collaboration: «Nous sommes de ceux qui croient que l'homme échappe à la loi de l'entre-dévorement, et non seulement qu'il y échappe, mais que toute sa dignité tient dans la résistance qu'il lui oppose de tout son cœur et de tout son esprit.» Des lignes, reconnaissons-le, qui n’ont pas pris une ride. Avec d’autres membres du Conseil national des écrivains, il est attaqué par la presse de Vichy et à plusieurs reprises, il doit se réfugier chez des amis. Au moment de l’épuration, Mauriac n’en demandera pas moins la grâce de Robert Brasillach condamné à mort. Ce qui lui valut, comme on le sait, le surnom de «Saint François des assises.»

 

Couverture de l’édition clandestine du Cahier Noir, 1943.

Mais revenons à 1952, année du Nobel. 

A peine arrivé à Stockholm, François Mauriac apprend par l’ambassadeur de France que des émeutes réprimées dans le sang ont éclaté au Maroc, encore protectorat français. Pour l’écrivain, il y a un devoir moral à agir. «J’ai alors eu le sentiment, expliquera-t-il, que ce prix Nobel, je devais en quelque sorte le jeter dans la mêlée.» Son indignation, Mauriac va l’exprimer dans Le Figaro ainsi que dans La Table ronde où, pour la première fois le titre Bloc-Notes, apparaît. Mais il n’y reste pas longtemps. Non plus qu’au Figaro. Mauriac opte pour un tout jeune hebdomadaire, L’Express, lancé quelques mois plus tôt par Jean-Jacques-Servant Schreiber et Françoise Giroud. Son premier Bloc-Notes paraît le 18 mars 1954, avec cette note de la rédaction: «M. François Mauriac est devenu le journaliste français le plus suivi et le plus controversé. L’Express est fier d’avoir pu s’assurer la publication régulière des notes où le grand écrivain catholique commente librement et avec le courage que l’on sait les événements de l’actualité littéraire et politique.» Dans ce premier Bloc-Notes, Mauriac écrit: «En politique, ce qui crève les yeux de tous, c’est le jeu qui se joue ouvertement, sans vergogne. Un très petit nombre d’hommes sont dans le coup, se passent le ballon, et même s’ils se haïssent, restent complice.» Le ton est donné.

Le premier des nôtres

La grande affaire alors de ces années-là, c’est bien sûr la décolonisation, mais aussi, et qui va de pair, ce qu’on va appeler les événements d’Algérie. Contre les gens du Figaro, Mauriac a soutenu sans réserve Pierre Mendès France; il va faire de même avec de Gaulle, au risque de heurter la rédaction de L’Express. Et d’appeler, semaine après semaine, au retour du «Premier des nôtres.» Ce qui ne va pas sans trouble parfois, ainsi qu’il l’exprime dans l’étonnant Bloc-Notes du 29 mai 1958 en forme de dialogue avec lui-même, sinon d’examen de conscience: «Appelez-vous encore le général de Gaulle? – Mes sentiments n’ont pas changé, ni ma confiance ne s’est altérée. Je sais qui il est (…) A partir du jour où il incarnera l’Etat, il faudra bien pourtant que ceux qui se réclament de son nom lui obéissent.» Et Mauriac de se comparer au Petit Poucet qui, perdu, aperçoit une lumière: «Oui, mais cette lumière, c’était la maison de l’ogre. – Ce n’est pas toujours la maison de l’ogre.» Jusqu’au bout, Mauriac restera fidèle à de Gaulle. «Ce grand seigneur de l’Occident (…) qui a pour patrie moins la France elle-même que son histoire. Nous l’aimons pour cela, nous qui l’aimons.» Et quand la rédaction de L’Express qualifiera l’homme du 18 juin de «canaille», allant jusqu’à le comparer à Pétain, c’en est trop pour le chroniqueur qui, en 1961, rompt avec l’hebdomadaire. Désormais, le Bloc-Notes sera publié dans Le Figaro littéraire – le dernier paraîtra quelques semaines seulement avant le décès de l’écrivain.

François Mauriac, vers 1950 © Coll. part.

Tout comme ses traits d’humour, qui faisaient les délices de ceux qui le fréquentaient, Mauriac pouvait avoir la plume assassine – « Et encore vous ne savez pas tout ce que je biffe! » Ainsi, à propos des candidats aux élections de 1967 dont un certain Valéry Giscard d’Estaing: «Le plus jeune ministre des Finances de tous les temps est obligé de ralentir, de faire du surplace pour ne pas arriver trop tôt, pour ne pas être obligé de s’assoir sur les marches du perron de l’Elysée. Que c’est beau à voir, l’héritier d’une grande dynastie bourgeoise!» Tout cela écrit sept ans avant son élection à la présidence de la République! 

Mais le Bloc-Notes n’est pas qu’une chronique politique, il est aussi un Journal qui nous parle de la vie, des bonheurs et des regrets de son auteur. Comme cette notation d’octobre 1958 prise par Mauriac alors qu’il s’apprête à quitter son cher Malagar – son domaine viticole en Gironde où il effectuait de longs séjours: «Des oiseaux voyageurs que je ne vois pas s’appellent et s’affairent. Le rêve serait de  m’attarder comme eux, de demeurer sur ma terrasse aussi longtemps que l’automne y demeurera dans sa gloire ardente et voilée. Il faudrait s’en remettre comme les oiseaux de passage à la loi des vents et de la nue. Mais non, c’est mieux de partir avant la satiété, de s’arracher à ce qu’on aime. Et je songe déjà à ce jour du premier printemps où le bruit de mes pas réveillera la maison endormie.»


François Mauriac, Le Bloc-Notes 1952-1962, Laffont/ Mollat «Bouquins», 2020.  

François Mauriac, Le Bloc-Notes 1963-1970, Laffont/ Mollat «Bouquins», 2020

Lien internet: Mauriac à propos du Bloc-Notes

 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@arizan 20.09.2020 | 21h33

«Merci, monsieur, pour ce magnifique article !»