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Chronique

Chronique / Vivre de sa plume, vraiment?


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Dans quelques jours, sur les quais de Morges, la grand-messe du Livre sur les quais va à nouveau battre son plein. Avec sa profusion d’auteurs, connus et inconnus, sa multitude de rencontres et de débats. Un rendez-vous au fil des ans – dix très exactement cette année – devenu incontournable pour tous les amoureux et les amoureuses du livre et de la littérature. Et comme à chaque fois, depuis plusieurs éditions, il y a fort à parier qu’il sera à nouveau question, au moins dans les coulisses et sur les terrasses, de la rétribution des auteurs.



On prête à la grande chanteuse et meneuse de revue Joséphine Baker (1906-1975), que je respecte infiniment pour son action dans la Résistance et en faveur des orphelins, ce mot un peu leste: «On peut vivre de sa plume, ça dépend où on la met.»

Est-il possible de vivre de la littérature, de vivre de son art lorsqu’on écrit?  

Car telle est évidemment la question qui se tient derrière la revendication, parfaitement légitime au demeurant, d’être rémunéré pour une lecture publique, une table ronde, un débat, une conférence, que sais-je encore. Beaucoup de ceux et celles qui publient se la posent. Au début en tout cas de leur carrière littéraire, pour peu que leurs premières publications aient rencontré quelque succès, fût-ce d’estime seulement. Et ils y sont d’autant plus encouragés que l’on parle beaucoup depuis quelques années de professionnalisation du métier d’auteur(e). Depuis la création notamment de l’Institut Littéraire de Bienne. Et qui dit professionnalisation dit du même coup salaire. Plus globalement, c’est l’ensemble des acteurs de la scène artistique, et pas seulement littéraire, qui y aspire. Scène qui n’a cessé, comme on le sait, de se développer.

Ainsi, dans les années 1970 dénombrait-on en Suisse romande une petite centaine de comédiens et de comédiennes. Aujourd’hui, on en compte pas loin de mille. Et que dire de ceux et celles qui écrivent et publient? Et des maisons d’éditions, dont plusieurs voient le jour chaque année? Les aides publiques certes ont suivi. Au point que pour nombre d’intervenants sur la scène culturelle, il va tout simplement de soi de toucher des subventions.

Edouard Manet, Chez Tortoni, huile sur toile, 1880 © Wikipédia

A cet égard, la création artistique n’a sans doute jamais été autant soutenue par les collectivités – communes, cantons et Confédération – qu’à notre époque. Ce qui est paradoxal lorsqu’on se souvient d’un temps, pas si éloigné que cela, où les artistes, peintres aussi bien que poètes ou romanciers, après avoir été durant des siècles au service du pouvoir, mettaient un point d’honneur à ne dépendre de personne, et surtout pas du prince!

Au beau temps des feuilletons littéraires

Bien que le monde du livre, en comparaison des autres secteurs artistiques, demeure à maints égards le parent pauvre des aides publiques, il n’en est pas moins de plus en plus subventionné. Dans le même temps, se sont multipliés les rendez-vous destinés aux écrivains et écrivaines: salons, cafés littéraires. Ce qui ne peut que renforcer chez certain(e)s le désir de sauter le pas et de tenter de vivre entièrement de leur plume. Et de lorgner avec envie en direction des auteur(e)s-phares, les Joël Dicker, Éric-Emmanuel Schmitt et autres Amélie Nothomb.  

J’ai parlé de la liberté de l’artiste, qui fut le grand combat des écrivains, des peintres et des musiciens, mettons depuis Mozart et, au-delà, durant tout le XIXe siècle. Quitte à tirer le diable par la queue comme l’on disait. C’était le temps où l’on parlait des rapins, par opposition aux rupins – les bourgeois. Si l’on s’en tient à la scène littéraire, les revues y florissaient comme vergers au printemps et les journaux grands et petits publiaient nouvelles et romans en feuilletons payés à la ligne, d’où les fameux dialogues d’Alexandre Dumas. Exemple pris au hasard dans Vingt ans après:  

« – Pardieu! N’avez-vous donc pas entendu?

– Quoi?

– Que ces chevaux appartiennent à M. de Montbazon.

– Eh bien?

– Eh bien! M. de Montbazon est le mari de Madame de Montbazon.» La suite à l’avenant.

Mais ce temps-là est bien fini. Dès lors que vaut-il mieux? Courir après une lecture, un cours donné dans un atelier d’écriture? Et cela pour engranger quelques sous en vue de compléter de maigres droits d’auteur tout en espérant un prix ou une bourse? Est-ce là la vraie liberté de l’écrivain – de l’artiste en général? N’est-ce pas plutôt celle d’avoir l’esprit dégagé pour créer? N’avoir point (trop) à se soucier du matériel parce que parallèlement l’on exerce, fût-ce à temps partiel, une profession rémunératrice? Jacques Chessex enseigna jusqu’à sa retraite, Alice Rivaz travailla au BIT, Yvette Z’Graggen fut secrétaire et productrice à la RSR, Romain Gary fut diplomate, Jean d’Ormesson travailla à l’UNESCO et dirigea Le Figaro, Louis Aragon fut journaliste à L’Humanité et directeur des Lettres françaises. Dois-je continuer?

Alice Rivaz © Coll. part.

Ecrire tout en exerçant un métier, c’est aussi ce que j’ai choisi. A aucun moment je ne l’ai regretté. Je vous attends à Morges, au Livre sur les quais, du 6 au 8 septembre.


Alexandre Dumas, Vingt ans après, Folio classique, 2000

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