Média indocile – nouvelle formule

# 7 janvier 2022

semaine n°1

Analyse

Comment la Suisse a marqué son auto-goal européen

Jean-Claude Péclet

A l'inverse du malicieux Sacha Guitry proclamant «je suis contre les femmes, tout contre», le Conseil fédéral affichait, jusqu'au début des années 90, une retenue toute helvétique face à la Communauté européenne (CE): «rapprochons-nous en autant que possible, pour ne jamais avoir à en faire partie».

L'étonnement fut donc considérable, ce 22 octobre 1991, quand au terme d'un dernier round de négociations sur l'Espace économique européen (EEE), le gouvernement annonça que non seulement il avait signé un traité que beaucoup considéraient comme mort-né, mais envisageait dans la foulée l'adhésion de la Suisse à la CE. Quelle révolution copernicienne avait frappé l'esprit des sept Sages? On connaît la suite de l'histoire: l'EEE échoue de peu en votation populaire le 6 décembre 1992 (50,3% de non, une participation de 78%, et une forte majorité de oui en Suisse romande); la Suisse et la CE (devenue depuis Union européenne) négocient des traités bilatéraux pour combler le vide; la Suisse retire sa demande d'adhésion en 2016, puis interrompt unilatéralement des négociations sur un accord-cadre en mai 2021. Les faits parlent d'eux-mêmes. La question, elle, demeure: Qu'est-ce qui avait amené le Conseil fédéral au virage pro-européen de 1991? Les documents s'y rapportant – dont les fameux feuillets verts «vertraulich-confidentiel» résumant les séances du Conseil fédéral, des courriers diplomatiques et notes internes – viennent d'être rendus publics. Ce qu'on y lit stupéfie. En fait, la majorité du gouvernement n'avait pas changé d'avis et n'était favorable ni au traité EEE, ni à l'adhésion. Lors d'une séance à Gerzensee les 18 et 19 octobre 1991, soit trois jours seulement avant la fin des négociations, il n'en décide pas moins, «par consensus et sans vote (c'est l'auteur de ces lignes qui souligne) de dire oui au traité EEE et d'autoriser MM. Delamuraz et Felber à annoncer officiellement que le Conseil fédéral s'est fixé comme objectif une adhésion de la Suisse à la CE». La phrase suivante vaut son pesant de läckerli: «Cette décision présuppose que la dernière phase de la négociation donne des résultats acceptables dans les domaines qui sont encore ouverts. Dans le cas contraire, il faudra annoncer que le traité EEE n'est pas acceptable et que le Conseil fédéral va revoir sa politique d'intégration européenne.» Lire la suite...


Le dessin de la semaine

« Robots »

Un dessin Jean-Christophe Stauder

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