Analyse / Coulisses et conséquences de l’agression israélienne à Doha
L’attaque contre le Qatar du 9 septembre est le cinquième acte de guerre d’Israël contre un Etat souverain en deux ans. Mais celui-ci est différent, car l’émirat est un partenaire ami de l’Occident. Et rien n’exclut que les Américains aient participé à son orchestration. Quant au droit international, même le dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse, ne fait rien pour le maintenir en vie.
«Le crime d’agression s’entend de (…) la commission d’un acte consistant pour un Etat à employer la force armée contre la souveraineté, l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique d’un autre Etat.» C’est ainsi que le statut de Rome de la Cour pénale internationale définit le crime d’agression. Après le Liban, la Syrie, le Yémen et l’Iran, Israël a maintenant agressé le petit émirat du Qatar, 3 millions d’habitants dont seuls 360 000 jouissent de la citoyenneté qatarie. Entre les quatre premiers pays agressés et le cinquième, il y a une différence qualitative fondamentale: tandis que le Liban, la Syrie, le Yémen et l’Iran font partie de l’axe de la résistance menaçant Israël et sont considérés comme des ennemis par l’Occident, le Qatar est tout le contraire.
Pour une fois, même la Suisse a réagi!
D’abord, l’émirat entretient des liens économiques et financiers étroits avec les pays occidentaux. Ses exportations de gaz vers l’Europe ne couvrent que 10 % des besoins européens, mais une augmentation massive de la production qatarie devrait accroître cette proportion dans les prochaines années. Surtout, le Qatar a investi massivement dans l’immobilier de luxe à travers l’Europe, principalement en France et au Royaume-Uni. En Suisse, rien moins que l’emblématique Schweizerhof de Berne, le Royal Savoy de Lausanne, et le fameux Bürgenstock, théâtre de la parodie de congrès de la paix organisée par Amherd et Zelensky en 2024. Bref, lorsqu’Israël s’en prend au Qatar, c’est un partenaire de l’Occident qui est attaqué. Ceci explique sans doute pourquoi la plupart des pays européens ont critiqué cette action – y compris la Suisse, qui l’a qualifiée de «claire et inacceptable violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale du Qatar». Est-ce que cette agression contre un pays ami conduira enfin le Conseil fédéral à interdire les exportations de biens à double usage à destination d’Israël ainsi que les investissements publics et privés dans l’industrie militaire israélienne? Le droit de la neutralité devrait nous y pousser. Mais les lobbies pro-israéliens sont sans doute trop puissants au sein du Parlement et de l’administration pour que le Conseil fédéral aille au-delà des atermoiements de circonstance.
Un attentat orchestré avec l’aide américaine?
L’attaque israélienne est présentée comme une réaction à l’attentat de Jérusalem du 8 septembre qui a tué six personnes et en a blessé une vingtaine d’autres. Cette attaque terroriste a été revendiquée par le Hamas qui, décidément, refuse à se laisser détruire. Mais l’intention israélienne va bien au-delà des simples représailles. En tentant d’éliminer le leadership restant du Hamas – ceux qui n’ont pas été tués auparavant, comme par exemple Ismael Haniyeh, assassiné à Téhéran le 31 juillet 2024 –, le gouvernement Netanyahou veut tuer toute perspective d’accord de cessez-le-feu. Les dirigeants palestiniens réfugiés à Doha, qui participaient à une rencontre destinée à examiner un nouveau projet d’accord américain, seront d’autant plus sceptiques à accepter toute offre. Ils semblent en outre devoir leur survie à l’heure de la prière et au fait qu’ils ont eu la bonne idée de laisser leur portable dans la salle de réunion. De là à penser que les Américains les ont attirés dans un piège, il n’y a qu’un saut de l’esprit difficile à ne pas commettre dans l’environnement suspicieux du Moyen-Orient. Le Qatar abritant la plus grande base américaine de la région, il est douteux que Washington n’ait pas su ce qui se tramait. Donald Trump a appelé l’émir du Qatar Tamim bin Hamad Al Thani pour exprimer son mécontentement devant l’attaque israélienne et vanter les vertus médiatrices du petit émirat. Mais le doute persiste, et la méfiance vis-à-vis du protecteur américain va grandir.
A quoi bon négocier?
Les victimes de cette attaque seront d’abord les innocents de tous bords: les otages qui restent aux mains des factions palestiniennes à Gaza. Vingt-deux seraient encore en vie, vingt-cinq sont présumés morts; les 11 000 prisonniers palestiniens détenus dans les geôles israéliennes, dont un tiers sans procès; et, surtout, les 2,3 millions de Gazaouis voués à la déportation pour permettre la réalisation du grandiose projet de «Dubai à Gaza» porté par la famille Trump. Quant au droit international, à quoi bon en parler lorsque même le dépositaire des Conventions de Genève, la Suisse, ne fait rien de concret pour le maintenir en vie?
Tout cela aurait pu tourner différemment. Lorsque j’étais envoyé spécial de la Suisse dans la région, il y avait de vraies négociations en vue de la solution à deux Etats. Avec d’autres, nous avions convaincu le Hamas d’adopter une attitude conciliante, compatible avec un accord. En 2017, le mouvement islamiste a même publié un nouveau document fondateur affirmant que le Hamas accepterait un Etat palestinien dans les frontières de 1967. Lorsque je demandai à Khaled Meshal, l’un de ses dirigeants politiques, pourquoi il ne disait pas que de l’autre côté vivrait un Etat israélien, il me répondit: «Il faut bien laisser quelque chose à la négociation.» Khaled Meshal, exilé à Doha, était une des personnes visées par l’attaque israélienne du 9 septembre. Il semble avoir survécu comme il avait survécu à une tentative d’assassinat du Mossad en Jordanie, en 1997. Mais aujourd’hui, la perspective d’une solution à deux Etats a été remplacée par la vision d’un Grand Israël sans frontières claires portée par le premier ministre israélien. Dans cette vision, il n’y a pas de place pour un Etat palestinien. A quoi bon donc négocier?
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Foenix 12.09.2025 | 10h25
«Triste vérité !
Et où devraient partir les exilés gazaouis ? A mon avis, ce sont les Etats-unis qui devrait les accueillir !
Depuis le début du processus d'extermination de la population palestinienne du territoire de Gaza, je me demande pourquoi tant de silence de la part des autres pays arabes qui pendant longtemps se sont portés aux côtés du peuple palestinien (les philistins de la Bible). J'en étais arrivée à imaginer que c'était une guerre de shiites contre sunnites par l'intermédiaire d'Israël et des Etats-Unis. Cette agression contre le Qatar peut-elle changer cette situation ?
Dans tous les cas, le silence coupable des pays occidentaux provient sans aucun doute de la mauvaise conscience maintenue envers la Shoah et le souci résiduel de protéger le peuple juif. Mais cela peut-il en effet justifier autant d'actes de déclaration de guerre ? Et cela peut-il justifier de laisser libre cours aux ambitions faussement bibliques du pouvoir en place en Israël ? Où en est votre mauvaise conscience aujourd'hui ? Pour ma part, il devient important que les juifs du monde entier viennent à se taire sur le sujet de la Shoah car l'immense majorité silencieuse aujourd'hui est largement devenue co-responsable des actes du gouvernement de Nethanyahou.
Je m'attend à un retournement et vous ? Mais quand la situation deviendra-elle suffisamment explosive ? Quand ce silence des pays arabes achetée par les Etats-unis ne pourra plus être achetée ? Quand la facture sera présentée pour l'hypocrisie des pays occidentaux qui n'ont visiblement pas retenu les leçons de la seconde guerre mondiale ? Quelle allumette fera sauter le baril de poudre ?»