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Paul Thomas Anderson revient avec une «comédie d'apprentissage» sur fond de Los Angeles du début des années 1970. Un film plus léger et ostensiblement mineur mais toujours délicieux, qu'il n'est pas interdit de voir comme sa réponse à l'ampoulé «Once Upon a Time in Hollywood» de Quentin Tarantino.



Est-ce pour se remettre de son chef-d'œuvre Phantom Thread (2017) que Paul Thomas Anderson s'est lancé dans cette entreprise si différente? A la précision maniaque de ce dernier opus, qui évoquait la relation d'un couturier et de sa muse dans l'Angleterre des années 1950, suit en effet une autre sorte de rêverie, en roue libre et située dans la San Fernando Valley de son enfance. Avec pour fondations avouées les souvenirs de jeunesse d'un proche (Gary Goetzman, producteur du mentor d'Anderson, feu Jonathan Demme), l'exemple d'American Graffiti de George Lucas et l'observation intriguée d'un jeune couple à la différence d'âge problématique, le cinéaste a bâti là un drôle d'édifice, apparemment sans structure ni but particulier sinon un éventuel plaisir partagé – qui a parfaitement fonctionné pour nous.
Peut-être faut-il être soi-même nostalgique de la période évoquée et doté d'une certaine culture cinéphile pour pleinement apprécier. Peut-être que l'identification aux élans maladroits de la jeunesse et la fascination devant l'étrangeté d'un autre temps suffisent. Toujours est-il qu'on retrouve dans Licorice Pizza (litt. «Pizza réglisse», du nom d'une défunte chaîne de magasins de disques même pas citée dans le film!) aussi bien une époque dorée du cinéma américain, quoique croquée depuis ses coulisses, qu'un certain moment de la vie traversé dans une bienheureuse insouciance, ici fixé avec l'ironie affectueuse que confèrent la distance et l'expérience. Le tout dans le style inimitable de l'auteur de Punch-Drunk Love et Inherent Vice: à mi-chemin entre réalisme et caricature, mais avec un élan formidablement cinématographique.

Dans les marges des sans-grade

On est en 1973 lorsque Gary Valentine (Cooper Hoffman, fils de feu Philip Seymour Hoffman), un jeune acteur de 15 ans, croise dans son collège Alana Kane (la chanteuse Alana Haim), de dix ans son ainée, assistante d'un photographe venu tirer des portraits d'élèves. Ne doutant de rien, il lui fait du gringue et – surprise – elle finit par accepter un rendez-vous. Il parvient même à la convaincre de le «chaperonner» à la place de sa mère pour un spectacle à New York, mais doit vite déchanter lorsqu'elle lui préfère un rival plus séduisant. Leur histoire ne s'arrêtera cependant pas là et lorsque, sa carrière ayant tourné court, Gary se lance dans le commerce de matelas à eau, il engage Alana comme assistante. Plus tard, l'affaire plombée par la crise pétrolière, il soutient son idée typiquement velléitaire de devenir elle aussi actrice. Puis elle entre au service d'un candidat à la mairie tandis que Gary rebondit avec une arcade de jeux, profitant de la légalisation des flippers...
A-t-on jamais vu couple plus mal assorti, incarné par des acteurs moins glamour, et devenant néanmoins aussi attachant? C'est le premier pari de ce film de réussir à nous intéresser à cet adolescent aussi fat que rondouillet et à cette jeune juive aussi pinbêche que paumée. Ce pourraient être les personnages d'une satire misanthrope de Todd Solondz, mais non, la bienveillance avec laquelle Anderson narre leur chassé-croisé fait d'aventures dérisoires est toujours palpable. Tôt ou tard revient à l'esprit Boogie Nights et son regard dénué de jugement sur le petit monde du cinéma pornographique, situé un peu plus tard dans la même banlieue de Los Angeles. Et notre ricanement se transformer en rire franc au fil des péripéties.

Vintage sans complaisance

Au passage, on reconnaîtra ou pas, à peine déguisés sous d'autres noms, la reine du sitcom Lucille Ball et son film tardif-ringard Yours Mine and Ours, la superstar sur le déclin William Holden avec son faible pour l'alcool et la moto (joué par un Sean Penn sur la même pente), et le coiffeur devenu producteur à succès Jon Peters, avec ses tenues improbables et ses colères homériques (joué par Bradley Cooper, qui lui a succédé avec son remake de A Star Is Born!). C'est Hollywood par la bande, des rencontres plus amusantes que glorieuses qui n'affectent en rien la destinée résolument médiocre de nos protagonistes. Et si ces sans-grade valaient finalement mieux que toutes ces stars surpayées et tous ces politiques qui ne font que se montrer sous leur meilleur jour? Si leur histoire d'amour vache devenait sincère et même partagée?

Sans effort apparent ni citation appuyée, Licorice Pizza respire vraiment l'époque, comme un Clint Eastwood (Breezy), un Robert Altman (3 femmes) ou un Martin Scorsese (Taxi Driver) vintage. Impossible alors de ne pas repenser à Once Upon a Time in Hollywood, cet autre film récent qui ressuscitait une Los Angeles révolue. Sauf que là où Quentin Tarantino sursignifait la fin d'une époque sur le dos de la pauvre Sharon Tate, finissant par dévoiler surtout la vanité de son écriture et la vacuité de son entreprise, Anderson ne se départit jamais d'une légèreté de bon aloi. De bout en bout, du choix de comédiens débutants à sa manière têtue d'aimer ses personnages envers et contre tout, Paul Thomas Anderson a le regard généreux, et cela fait toute la différence. Décidément, il est de ces films «mineurs» qui vous vont droit au cœur et finissent par compter plus que bien des concoctions boursouflées – auxquelles l'auteur de Magnolia n'a d'ailleurs pas toujours été étranger...


«Licorice Pizza», de Paul Thomas Anderson (Etats-Unis, 2021), avec Alana Haim, Cooper Hoffmann, Skyler Gisondo, Christine Ebersole, Sean Penn, Tom Waits, Bradley Cooper, Benny Safdie, Joseph Cross, John Michael Higgins. 2h13

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