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Premier film de Cédric Klapisch présenté à Cannes en 35 ans de carrière, «La Venue de l'avenir» ne marque pas tant un saut qualitatif que la somme d'une œuvre à la fois populaire et exigeante. En faisant dialoguer deux époques, la nôtre et la fin du 19e siècle des impressionnistes, il a su tirer un film aussi amusant que profond sur la rapide évolution de l'humanité



Vous êtes-vous déjà retrouvé à Paris au Musée de l'Orangerie, qui abrite les fameuses Nymphéas de Claude Monet, dans l'impossibilité de vraiment les apprécier pour cause de foule compacte, pour l'essentiel jeune et asiatique, plus soucieuse de s'immortaliser devant avec leurs téléphones portables? Que cela ait été ou non le déclic pour son nouveau film, Cédric Klapisch part de là, prenant le phénomène comme symbole de la terrifiante accélération qu'ont connu nos existences ces deux derniers siècles. Quelles en ont été les conséquences sur notre rapport à la nature, au travail, aux images, et même aux autres, voire à l'amour? Un sacré sujet, que seul un cinéaste expérimenté, sujet au ralentissement qu'impose l'âge, pouvait sans doute espérer pouvoir embrasser.

Depuis le futuriste et passablement loupé Peut-être, La Venue de l'avenir est sans doute le film le plus ambitieux de l'auteur de Chacun cherche son chat, L'Auberge espagnole et En corps. Et cette fois, il nous a comblés. Oh, on ne refera pas Klapisch, expert de l'air du temps, conteur aussi habile qu'imaginatif mais déjà nettement plus limité côté formel! La banalité visuelle de nombre de plans, le manque d'inspiration patent de l'accompagnement musical et la sensibilité middle of the road une fois acceptés, on découvrira pourtant un film formidable. Sans doute stimulé par le génial Minuit à Paris de Woody Allen, notre auteur a concocté cette fois, avec le fidèle Santiago Amigorena, un délicieux dialogue entre présent et passé.

Interpénétration temporelle

Instinct grand public oblige, ce sera la rencontre entre une famille élargie de cousins réunis par un héritage et la France des Impressionnistes de la fin du 19e siècle. Se chargeant d'inspecter les lieux, une maison abandonnée en Normandie, quatre de ces cousins tombent sur le portrait d'une mystérieuse aïeule, Adèle, ainsi qu'un tableau méritant expertise. Alternant dès lors entre les deux époques, La Venue de l'avenir raconte d'un côté le voyage de l'innocente Adèle, 21 ans, pour retrouver à Paris la mère qui l'avait abandonnée aux soins de sa grand-mère, et de l'autre la fascination croissante du quatuor pour ce temps retrouvé. Le clou en sera une interpénétration onirique facilitée far une bonne dose d'ayahuasca, qui les verra débouler... en plein salon impressionniste!

Les allers-retours entre deux époques ne sont pas une sinécure à gérer. Mais on peut compter sur Klapisch pour y trouver matière à confrontations parlantes. Quel écart entre cette France d'autrefois, où l'on remonte la Seine en bateau, et celle des trains climatisés d'aujourd'hui! Entre cette ville pavée où roulent encore fiacres et charrettes et une capitale livrée aux voitures et au bruit des moteurs. Entre ces rares lettres soigneusement écrites à la main, souvent avec l'aide d'un écrivain public, et ces messages brefs et instantanés sur nos portables, à la langue simplifiée quand elle n'est pas massacrée. Un personnage fait même remarquer qu'en deux minutes dans le monde, on prend aujourd'hui plus d'images que n'en a produit tout le 19e siècle!

Une nostalgie grinçante

Mais on peut aussi compter sur ce cinéaste pour ne pas brosser le passé tout en rose. C'est ainsi que la recherche d'Adèle (Suzanne Lindon, fille de Vincent et de Sandrine Kiberlain) aboutit dans une maison close. Heureusement qu'elle a fait la connaissance en route de deux jeunes amis, le peintre Anatole (Paul Kircher) et le photographe Lucien (Vassili Schneider), qui l'hébergent dans leur chambre de pension. A leur contact, mais aussi en retournant trouver sa mère (Sara Giraudeau) et en découvrant ses raisons, elle va se décoincer. Arrive la bonne blague du scénario: cette Odette Vermillard avait elle-même fréquenté un peintre et un photographe au temps de sa naissance, ne sachant trop lequel est son père! Un peu gros comme ficelle, mais à ce moment, on est déjà suffisamment embarqué pour accepter la fantaisie et le name dropping qui s'ensuit.

Car dans le présent aussi, les rencontres aussi improbables que savoureuses se sont multipliées.

Après une mémorable visioconférence à trente, dont un «chat», les quatre volontaires pour approfondir cette question d'héritage sont Guy (Vincent Macaigne), un apiculteur décroissant avec un œil pour la peinture, Céline (Julia Piaton), une ingénieure débordée et sentimentalement larguée, Abdel (Zinedine Soualem), fruit d'un métissage algérien et prof de français bientôt à la retraite, et enfin Sébastien (Abraham Wapler), un jeune filmeur qui vit chez son grand-père et hésite en amour. Entre eux aussi, il y a de quoi produire des étincelles, dont Calixte (Cécile De France), une amie d'Abdel qui travaille au Musée d'Orsay, ne sera pas la moindre. Et si la croûte assombrie et le chiffon du peintre étaient de Monet, les portrait d'Adèle et d'Odette des Nadar?

Imagination et générosité au pouvoir

Tout ce qui avait pu nous agacer dans le dessin animé Dilili à Paris de Michel Ocelot (2018), avec son défilé de célébrités confit dans une nostalgie pour la Belle Epoque, passe ici comme lettre à la poste, grâce à l'humour des auteurs. L'imagination débridée de Klapisch et Amigorena ira jusqu'à nous faire assister à la naissance de l'impressionnisme: du pinceau de Monet dans le port du Havre au fameux portrait de groupe pris par Nadar en passant par la critique (pas très éclairées mais décisive) d'un certain Leroy. Le trip à l'ayahuasca, plante hallucinogène latino-américaine devient un morceau d'anthologie (qui succède de près à celui de Queer de Luca Guadagnino) où l'on croise même Victor Hugo!

Pour finir on entendra même parler d'un procédé nouveau, le cinématographe, qui pourrait bien renvoyer peinture ET photographie au rayon des antiquités. Mais Klapisch n'est pas Coppola ou Scorsese et n'en profite pas pour une mise en abyme gobale – où l'on retrouve ses limites. Par contre, sa générosité ne sera pas prise à défaut. C'est ainsi qu'il n'hésite pas à offrir au fidèle Zinedine Soualem une standing ovation aussi méritée (pour cet acteur sous-estimé) qu'improbable (pour le prof qu'il joue). Et pour l'hésitant Sébastien, un happy end à l'Orangerie, débarrassée comme par miracle de tous les importuns!

A la question posée à Adèle par Monet lui-même (Olivier Gourmet) en son jardin de Giverny, de ce qu'il vaut mieux regretter, entre ce qu'on a fait ou pas fait, la réponse du cinéaste est assez évidente. On aura beau y trouver facilement matière à objection, il faudrait être bien mal luné pour avoir envie de les soulever à ce moment-là. Il y a dans toute cette Venue de l'avenir une verve enviable, une boulimie maîtrisée et une acceptation raisonnée du changement qui peuvent faire penser à du Lelouch en plus intelligent ou du Wes Anderson en moins pincé. Un vrai régal, dont on aurait tort de se priver!


«La Venue de l'avenir» de Cédric Klapisch (France, 2025), avec Suzanne Lindon, Abraham Wapler, Vincent Macaigne, Julia Piaton, Zinedine Soualem, Sara Giraudeau, Paul Kircher, Vassili Schneider, Claire Pommet, Cécile De France, Olivier Gourmet. 2h04

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