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Actuel / A la gare routière d'Erlian, j'attends le car pour Pékin

Ondine Yaffi

19 août 2017

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A Erlian, ville frontalière entre la Mongolie et la province chinoise de Mongolie intérieure, les rues sont larges et poussiéreuses et la moitié des immeubles sont inachevés. Ici, les fameux caractères mongols presque inexistants à Oulan-Bator ondulent sur les enseignes des boutiques et autres panneaux.



Etape 1: Sur le quai de la gare de Moutier, j’attends le train pour Pékin
Etape 2: Sur le quai de la gare de Moscou, j'attends le train pour Irkoutsk (en libre accès)
Etape 3: Sur le quai de la gare d'Irkoutsk, j'attends le train pour Oulan-Bator
Etape 4: Avant de retrouver la gare d’Oulan-Bator, je pars pour les steppes mongoles

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Mon nouvel ange gardien m’emmène à son office où, en quelques minutes, je deviens l’attraction du jour. Sans autres formalités, tous viennent se prendre en photo à mes côtés. Arrivés à la station de bus et le titre de transport acheté, mon guide me quitte heureux d’avoir accompli sa mission.

J’attends dehors, assise sur les marches de la galerie marchande, guettant les cars. Mon billet est indéchiffrable, je suis angoissée à l’idée de manquer la correspondance. L’employé secoue la tête à chaque fois que je rentre dans l’agence et pointe du doigt un bus qui s’arrête. Deux voyageurs sortent de l’office et m’invitent à les suivre. Sur leurs talons, je rentre dans le grand bâtiment au centre de la barre d’immeubles qui ferme la place. De vastes salles presque vides me téléportent dans un fatras que je n’aurais pu imaginer. Des dizaines de bus avalent la foule hâtée par des pilotes pressés de partir, pressés d’arriver.

Je n’avais jamais vu d’autocar constitué ainsi. A la place des habituels sièges se tiennent des espèces de petites baignoires-sabots imbriquées l’une derrière l’autre. Les pieds du passager de derrière s’enfilent sous celui de devant, adoptant ainsi une position mi-assise mi-couchée.

Le désert de Gobi ne cesse d'avancer

Vers 14 heures, je quitte la Cité en passant sous deux improbables diplodocus de fer qui surplombent la route. Le chauffeur fume clope sur clope malgré l’interdiction accrochée partout. L’immunité du capitaine, sans doute. Pendant les heures qui suivent, nous ne traversons que des steppes arides où les signes de vie sont rares. Un trop grand nombre de paysans Han poussés en périphérie au XIXe siècle, puis l’urbanisation et les bouleversements climatiques ont provoqué la lente agonie de cette terre. Le gouvernement a fait planter une muraille verte de 35 millions d’hectares sur 4500 kilomètres et incite les bergers à se reconvertir en rejoignant les villes... Mais le désert de Gobi ne cesse d’avancer.

Cette route sans virage ni carrefour semble couper le monde en deux. A la tombée de la nuit, nous faisons halte dans un hameau fantôme dessiné par quelques immeubles incomplets, le squelette de leurs étages à nu. Je m’introduis à la suite des autres passagers dans la seule construction achevée. Le contraste entre l’animation de la salle et la désolation extérieure me rappelle la scène au début du film Le Voyage de Chihiro, quand le parc désaffecté s’anime.

De nombreuses personnes sont attablées et mangent. D’où viennent-elles? Il n’y avait qu’un seul autre car.

Une grosse femme s’agite derrière un buffet de viande grillée, de légumes sautés, de brioches vapeur et d’une dizaine d’autres mets plus délicieux aux yeux et aux narines les uns que les autres. Mon estomac n’a rien reçu de consistant depuis des jours. Tant pis si, comme les parents de Chihiro, je me change en gros porc rose; la salive aux crocs, je craque pour une brioche et une grande assiette de légumes. Tous les regards sont sur moi. Une femme se tient à l’entrée d’une loge, elle a les cheveux teints en blond, une tenue provocante et rigole derrière sa main en me faisant signe de la rejoindre. Elle insiste, j’obtempère et me retrouve sous son bras, comme un animal de foire, devant une grande table ovale, couverte de mets et de bouteilles d’alcool fort, entourée d’hommes et de femmes d’affaires. Sans rien demander, ils défilent un à un et se font prendre en photo en ma compagnie. Je m’échappe de justesse, mon bus est sur le départ.

Il est 4 heures du matin, je suis à Pékin

Le chauffeur n’allume pas le chauffage, il fait moins huit mille! Immobilisée dans ce presque cercueil qui me sert de place, je revêts tout ce que je possède et enfile les bottes de feutre achetées en Mongolie. J’abandonne définitivement les miennes, elles finiront par me coûter un orteil. Je me couvre encore de deux duvets mis à notre disposition pour retrouver un peu de chaleur.

La nuit a mangé le monde et la lumière de nos phares semble être la seule portion de matière sur laquelle rouler. Quand je sors de ma somnolence, le chauffeur a fait halte, il est 3 heures et il dort. J’entends le bruit d’autres poids lourds, la buée sur les vitres laisse entrevoir les lumières qui dansent autour de nous. Je n’ose pas bouger, tout le monde dort. Au bout d’une heure, le conducteur se lève et sort. Je vais sur la pointe des pieds lui demander s’il y a des toilettes. Il ouvre le compartiment des bagages et pose les miens à terre. Présumant qu’il n’a pas compris, je repose ma question en précisant me rendre à Beijing.

«Beijing!» me répond-il le doigt pointé vers le bas. Nous y sommes depuis une heure! Il y a des choses qu’il ne faut pas chercher à comprendre. Je m’incline en prenant mes biens, puis sors de cet étroit labyrinthe formé par les véhicules à l’arrêt pour me prendre la Chine en pleine face.

Un fourmilière humaine charge et décharge une procession sans fin de camionnettes. Les véhicules crachent et ingurgitent des balles cellophanées de matelas, de vêtements, de nourriture... Je débouche sur une rue noire de monde embrumée par la vapeur des raviolis. Il est 4 heures du matin, je suis à Pékin.


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Remise à neuf dans la pension

Je dois me trouver en périphérie. Quelle direction prendre pour rejoindre le cœur de la ville? Je cherche un métro ou une ligne de bus et finis par héler un taxi. Il ralentit, aperçoit le contours de mes traits, poursuit sa route. Les trois suivants l’imitent, le cinquième s’arrête et me mène vers le quartier de Qianmen.

Ici, la ville dort encore. Tous les hôtels sont complets ou hors de prix. Surprise au détour d’une rue par un cri de ralliement, je suis soufflée contre un mur par un bataillon d’officiers surgissant au pas de course.


Une paire d’heures plus tard, je m’enfonce dans les hutongs, quartiers traditionnels bordant la Cité Interdite. Maintenant, toute la métropole est éveillée. Assis sur des caisses en bois, deux Chinois jouent au go se servant d’un carton quadrillé et de capsules comme pions. Derrière eux, il y a un petit café. Je vais pouvoir me réchauffer. Mieux encore, prendre la dernière chambre libre de cette pension.

Le train reliant directement Pékin à Moscou part tous les samedis. Ça me laisse quatre jours pour trouver des billets de retour. Il me semble prudent d’aller immédiatement me renseigner à la réception. Je n’ai pas les moyens de rater cette correspondance, rester sur place coûte cher. La jeune fille, qui n’a jamais entendu parler de cette ligne, passe du temps a effectuer des recherches sur le net sans manquer de me conseiller de prendre l’avion, deux fois moins cher. «Notre agence ne vend pas ces billets, mais je me renseigne.»

Je profite de l’intimité d’une chambre rien qu’à moi et d’une vraie douche. Je sens méchamment le fumier de mouton. Je sors en sous-vêtements sous mon manteau et emmène mes seuls vêtements au pressing. Ici, le temps d’une sieste leur suffit à laver et repasser la moitié de votre garde robe! Remise à neuf, je retrouve la réceptionniste. Elle me donne l’adresse où me rendre.

Les deux demoiselles de Tian An Men

Sur l’avenue de Tian An Men, deux demoiselles m’accostent. Elles me disent être étudiantes en vacances dans la capitale et me proposent d’aller boire un thé. Leur expliquant ma hâte, je refuse. «On peut t’aider, on sait où tu peux acheter ton billet, c’est pas loin...» Elles m’emmènent à deux rues de là, dans le Musée de chemins de fer chinois. Il y a effectivement un guichet, mais pas pour les titres de transport internationaux. Toutefois, afin de les remercier de leur attention, je me laisse entraîner dans un bar à touristes trop éloigné à mon goût. Pressée de repartir, je règle l’addition. Ayant changé trois fois de monnaie en une semaine, j’ai du mal à placer la virgule au bon endroit. La boule au ventre, je réalise que ces deux filles sont des rabatteuses, on vient de boire une théière à 100 francs. Comme je maudis leurs futures réincarnations, elles s’échappent au plus vite de mon regard assassin. Quand j’arrive enfin à destination, l’agence de voyage située au rez de cet hôtel cinq étoiles vient de fermer ses portes. Je me sens deux fois conne.

A la première heure du matin suivant, je retourne acheter mon billet. Soulagée d’y être parvenue et pour 600$, il me reste trois jours pour découvrir Pékin.

Dans les dédales des hutongs et de la Cité interdite

© Ondine Yaffi

Les hutongs où je raffole me perdre. Liúlíchǎng, ses galeries d’estampes, ses antiquaires et l’une des plus vieilles boutiques de thé de la ville, où certaines de ces feuilles fermentées et vieillies plus d’un siècle se vendent à prix d’or. Le marché de Panjiayuan, au cœur d’une enceinte formée par de minuscules échoppes débordantes de trésors, où des centaines de vendeurs de pierres semi-précieuses, d’antiquité et de matériel de calligraphie ont posé leurs étals. Et la Cité interdite, où la beauté de certains ouvrages plus que millénaires parvient à me faire supporter la nuée de touristes.

© Ondine Yaffi

Si cordiaux, si solidaires

Les Chinois, que l’on m’avait décrit peu avenants envers les Occidentaux, sont des plus cordiaux envers moi. Je suis témoin au quotidien de gestes de solidarité. Aux tables des restaurants, on se lève pour sortir nourrir les mendiants; dans les bus qui débordent, on descend pour laisser monter une personne âgée. En parallèle, une affolante quantité de drames sociaux se vivent. Comment ce peuple évoluerait-il s’il était libéré de l’autoritarisme schizophrène du capitalisme d’Etat?

Il est déjà temps de quitter cette ville. On m’a recommandé d’arriver à la gare à 21h, soit une heure avant le départ. Sur la façade extérieure de la station, il est inscrit en grand: «Exit». Sur toute sa longueur, de petites ouvertures, chacune gardée par un officier, égrènent des centaines d’arrivants.

La fumée de charbon achève le peu de souffle qu’il me reste

Dans un coin, je découvre l’indication «Entrance». Dans une première salle, se trouve de nombreux guichets. Cherchant les quais, j’emprunte un passage et me retrouve dans un cul-de-sac. Je reviens en arrière et vais à l’information qui m’envoie aux guichets. Je fais la queue, on me note un numéro sur un bout de papier. Le numéro d’un autre guichet. Je refais la queue et regarde anxieuse les minutes tomber sur l’horloge. Je ne peux pas rater ce train! La femme s’engueule pendant dix minutes avec le client devant moi. Elle prend mon billet «Passeport please... euh no sorry. Go straight, turn left and right...» Je suis les indications et me retrouve au point de départ, sur la place. Je me suis trompée? Je reviens sur mes pas, mais un garde me saute dessus comme si j’allais exploser: on ne rentre pas par la sortie! Je monte sur les marches d’une passerelle pour avoir une vue d’ensemble. A l’autre bout de la place, j’aperçois un mouvement inverse de voyageurs. Je le rejoins et suis une file. Je tends mon billet à l’officier, passe le quatrième poste de contrôle en moins d’une heure et accède à un vrai hall de gare. Tout est écrit en chinois, mon train part dans dix minutes et rien ne laisse suggérer où se trouvent les quais. Je cherche sur le grand panneau lumineux l’heure de mon départ et trouve ce qui pourrait correspondre à un numéro de quai. Suivant les écriteaux qui indiquent le même chiffre, je monte quatre à quatre un escalier roulant et supplie un employé de me donner une direction. Il m’exauce et j’emprunte un couloir interminable ponctué d’escalators qui descendent. J’aperçois mon chiffre sur l’un d’eux, un contrôleur tamponne le billet que je lui tends. Je m’enfonce sous la voute où la fumée de charbon stagnante achève le peu de souffle qu’il me reste.

A 21h59, proche de l’effondrement, je monte à bord du transmandchourien. A destination de Moscou.

* L'étrangère


Prochaine et avant-dernière étape: A bord du transmandchourien, je quitte la gare de Pékin



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