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Actuel / Avant de retrouver la gare d’Oulan-Bator, je pars pour les steppes mongoles

Ondine Yaffi

17 août 2017

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Je suis enfermée dans la capitale mongole. Le prix des hôtels videra ma bourse en quelques jours.



Etape 1: Sur le quai de la gare de Moutier, j’attends le train pour Pékin
Etape 2: Sur le quai de la gare de Moscou, j'attends le train pour Irkoutsk (en libre accès)
Etape 3: Sur le quai de la gare d'Irkoutsk, j'attends le train pour Oulan-Bator

Vidéo à 360ᵒ: cliquez et baladez-vous dans la carte

Je n’ai plus rien à faire dans cette gare sans guichet, à part regarder les trains partir sans moi. Je la quitte et remonte à pieds le tracé du taxi qui m’a mené ici. Miracle, quelques centaines de mètres plus loin, je lis sur une façade délabrée: «Travel agency».

Je pousse la porte et m’avance vers la petite femme au visage grêlé assise derrière le bureau. «Parlez-vous anglais?» La femme, le regard anxieux, reste muette comme une carpe. J’en n’obtiendrai rien de plus.

Lasse, je m’effondre sur la chaise à côté de la porte. Les prospectus sont tous en cyrillique et idéogrammes.

Un homme sort de la pièce adjacente et me dit: «Can I help you?» Ses traits ont ce mélange de douceur et de rigueur que l’on retrouve chez bien des Mongols. Il m’invite à son bureau et m’offre un thé.

Il se nomme Baazan, il est calligraphe et quand je lui dis venir de Suisse, il change de langue m’expliquant qu’il maîtrise mieux l’allemand que l’anglais. Je me torture l’esprit pour faire remonter mes désagréables années de Wortschatz afin de lui expliquer ma situation. Il me demande ce que je veux faire: «J’aimerais aller quelques jours dans les terres. Trouver un bus, quelque-chose. Et ensuite, je voudrais acheter un billet de train pour Beijing.»

Il affiche la carte du territoire sur son ordinateur: «Il y a un parc touristique pas trop loin d’Oulan...

- Non, non, je suis là pour écrire, dessiner, rencontrer des gens. Pas pour faire des attractions touristiques.

- Tu es peintre?

- Oui, entre autres...»

«Attends, reviens... j’ai une idée»

Nous passons une bonne heure à parler de nos projets. Moi déchiffrant son allemand et lui mon alle-glais. Baazan m’apprend que le cyrillique a peu à peu remplacé l’écriture mongole, à tel point que son savoir-faire de calligraphe est inscrit au patrimoine mondiale de l’UNESCO.

Je le remercie et le quitte, munie de précieuses informations. Mais à peine ai-je passé la porte que Baazan réapparait: «Attends, reviens... j’ai une idée». Il prend le téléphone et après une conversation ponctuée de nombreux éclats de rire, il raccroche et me dit: «Si tu veux, ... mais si tu préfères pas tu as le droit... j’ai un ami qui part demain matin à 300 kilomètres de Oulan-Bator. Il a de nombreux amis et de la famille là bas. Tu pourras rester dans les terres le temps que tu voudras. Ensuite, il te ramènera ici.

- C’est super!

- Je vais téléphoner à un hôtel pas cher voir si il y a une chambre pour toi. Et ce soir, je ferai venir mon ami et sa femme, pour que tu les rencontres et décides si tu veux partir avec eux demain matin.»

Baazan fait tout ce qu’il a avancé. Je ne sais comment le remercier et il me dit: «Tu es peintre, nous sommes du même pays, de la même famille. Si j’étais perdu comme toi ici, je sais que tu viendrais à mon aide comme je le fais pour toi.»

Inkhe et Bodoh sont venus me faire évader de cette ville.

Conclu à l’aube des temps, le pacte qui lie l’éleveur et les bêtes

La voiture quitte l’asphalte et emprunte une route imaginaire au milieu de collines semblables à mille autres. Le soleil redescend vers un horizon qui rend hommage à la grandeur de notre monde. Deux yourtes adossées à quelques enclos marquent la fin du voyage.

Les enclos marquent la fin du voyage. © Ondine Yaffi

Cinq ou six enfants grattent le fin duvet de neige afin d’en entasser suffisamment pour dévaler une petite pente sur des bidons coupés en deux. Il y a ça et là, sur le sol, des crânes et ossements divers. Une femme et un homme, le visage tanné par le soleil et le froid, discutent avec Bodoh: Bimba et Ottro.

Ils nous invitent à l’intérieur de la plus grande des deux yourtes. Nous étions attendus.

                         Dans la yourte de Bimba et Ottro. © Ondine Yaffi

Bimba nous sert la boisson traditionnelle réservée aux invités. On m’en a tellement parlé en mal, que je suis surprise en bien. De la casserole fumante, elle sort un long morceau de viande bouilli et le tranche en rondelles. Bodoh rigole me faisant comprendre, le bras plié et le poing tendu, que c’est le meilleur morceau du cheval. C’est dur, c’est fort, je mange en leur montrant toute ma gratitude. Après avoir descendu une bouteille de vodka avec Ottro, Bodoh repart ivre mort en compagnie de sa femme. Il me fait comprendre que conduire bourré sur les routes mongoles n’est pas un problème. Sobre et se moquant de Bodoh, Ottro s’en va travailler dehors.

A la tombée de la nuit, vaches, chèvres, moutons, chevaux rentrent sans que personne ne les mène. Quand les prédateurs menacent, les bêtes reviennent là où l’homme et le chien veillent. Ici, un pacte conclu à l’aube des temps lie l’éleveur et les bêtes.

Chacun converse dans sa langue maternelle. Les gestes et les émotions se chargent de traduire l’essentiel.

Je prends place au sol pour la nuit. Quand Bimba ajoute une tunique doublée de laine aux multiples couches sous lesquelles je suis roulée en boule, je réalise qu’au fil des heures sombres, ce froid-là aura raison de la boîte en fer qui nous sert de poêle. Le vent se lève, je ne dors que d’un œil.

Un couteau, une casserole et une vieille moto

Vers 5 heures, Bimba se glisse hors de sa couche. Elle alimente avec du crottin de mouton séché les braises qui ont survécu. On ne brûle pas de bois en Mongolie, il y en a si peu. Une heure plus tard, elle se lève pour de bon et sort. Je lui emboîte le pas et l’aide à ramasser le précieux combustible que nous entassons sur des petits traineaux de fortune afin de l’emmener sécher plus loin. Le froid me lacère la peau du visage, impossible de sortir les mains de mes gants.

Tous les matins, nous répétons ce rituel. J’apprends les innombrables jeux que les enfants pratiquent avec un simple sac rempli de vertèbres de mouton.

Une variante mongole du jeu des osselets (à gauche). La puissance des chevaux mongols (à droite). © Ondine Yaffi

Ottro me demande de peindre son champion qui, comme tous les chevaux mongols, cache bien sa puissance avec ses courtes pattes. Le patriarche m’emmène dans la petite yourte, des dizaines de carcasses congelées y sont suspendues. Il me tend une énorme tête de sanglier abattu d’une balle dans l’œil en pleine nuit. Nous passons du temps à comparer le prix du bétail et nos méthodes d’élevage occidentales: «Comment la viande peut-elle être bonne si vos animaux ne sont pas libres?». Il m’apprend qu’en Mongolie, il y a 53 millions de têtes de bétail pour 3 millions d’habitants.

Je repense aux sommes décrites par Ottro: 100 francs suisses pour un mouton, entre 5000 et 12 000 pour un bon cheval, 500 à 1500 pour chaque course gagnée... même s’ils gagnent relativement beaucoup d’argent, ils partagent la même pièce à sept, n’ont qu’un couteau, qu’une casserole, qu’une vieille moto et vivent la vie froide et sauvage des steppes. C’est la vie à laquelle ils aspirent. Pour ce peuple fier, rester nomade et libre est la seule vraie richesse.

Le cœur rempli de la grandeur d’âme de ce peuple, de l’immensité de sa terre et de son ciel, je retourne à la capitale en compagnie de Bodoh.

Cargaison de bottes mongoles

Le bâtiment dans lequel il m’amène acheter mon billet pour Beijing est éloigné de la gare et rien sur sa façade ne laisse suggérer sa fonction. Apprenant que le direct est parti ce matin et que le suivant est dans quatre jours, Bodoh me propose de prendre un train pour la frontière, puis un bus pour le reste du trajet. J’accepte. Il me tend une feuille sur laquelle il a noté un numéro et un mot indéchiffrable: «J’ai appelé un ami, il viendra te chercher du côté chinois de la frontière pour t’amener à la gare des bus. Tu montres ce papier et il te reconnaitra.» J’ai les faveurs d’un véritable réseau d’anges gardiens!

Baazan vient prendre la relève de mon chaperon. Il me fait visiter cette ville qui, grâce à lui, ne m’est plus aussi hostile.

Je quitte Oulan à 20h50. J’arriverai à la frontière le lendemain en fin de matinée. Trois Mongols très drôles partagent mon compartiment et cette fois, ce ne sont pas des montagnes de gâteaux qu’ils transportent. Ils déballent, remballent, rassemblent des cargaisons de bottes mongoles. Ils sont cordonniers et je me trouve dans leurs pattes. Je comprends à leur micmac que le volume est trop important pour la douane.

Un nouvel ange gardien me prend sous son aile

Au terminus, nous avons droit aux deux heures de contrôle habituel dans le train. Puis, dans la gare d’Erlian, je me retrouve devant un dédale de postes de sécurité. La douane chinoise! Je cherche la bonne file, sors mes pellicules et mon appareil photo de mon sac, premier passage aux rayons X, portique anti-métaux, contrôle des papiers. A chaque fois c’est la même procédure: le douanier lève le passeport à la hauteur de votre visage et fait naviguer son regard de l’un à l’autre un temps interminable. Il me vient des sueurs froides, je me dis: «A force de chercher, ils trouveront quelque chose qui cloche».

Mon visa est tamponné, je range mes pellicules qui n’ont pas manqué de susciter curiosité et méfiance. J’ai été trop enthousiaste, encore un poste de contrôle. On ne sait jamais, entre-deux on aurait pu faire apparaître une kalachnikov!

Je sors de cette cohue. Au bas des marches du perron, une horde de flics fait barrage. Je vois un petit homme s’insurger de l’autre côté, il croise mon regard et harangue les policiers en me pointant du doigt. Le petit homme obtient gain de cause, me rejoint et me salue chaleureusement. Un nouveau gardien me prend sous son aile. L’affiche de Bodoh était inutile, je suis la seule Occidentale.

* L'étrangère


Prochaine étape: A la gare routière d'Erlian, j'attends le car pour Pékin



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