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Actuel / Mais que veut dire le bal grotesque des diplomates?

Jacques Pilet

7 avril 2018

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Dans le feu croisé entre la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et 17 pays européens (sur 28) après l’affaire Skripal, 300 diplomates ont été chassés de leur poste dans un sens et dans l’autre. Et ils commencent déjà à être discrètement remplacés. Ces mesures n’étaient qu’un show théâtral sans aucun résultat attendu. Sinon celui de créer un climat de guerre froide. Mais d’où part ce désir rampant d’affrontement?



Les faits qui ont servi de prétexte à cette excitation organisée ne sont pas clairs. La Russie, aussitôt désignée comme coupable, continue de nier toute implication dans cet empoisonnement de l’ex-espion double et de sa fille. Avec des arguments. Un tel acte ne servait en rien le régime de Poutine. Il était en revanche «un cadeau du ciel» (le terme a été utilisé dans la presse britannique) pour Theresa May, empêtrée dans une crise politique interne gravissime en raison du Brexit. Elle a pu soudain surgir, grâce à cet incident, en salvatrice de la nation. Le laboratoire anglais appelé à la rescousse a identifié le produit mais pas son origine. Pace que rien ne dit que seuls les Russes le possèdent. L’hypothèse d’une provocation n’a donc rien de farfelu.

Avec un peu de recul, la montée subite d’une tension extrême paraît invraisemblable. Les super-espions de tous bords ne se sont jamais ménagés. Que l’un d’eux se trouve mal pris, ou éliminé, c’est plutôt banal. On n’a jamais remué la planète pour cela. Mais évidemment cela donne du grain à moudre aux médias. En Europe et en Amérique, ils se sont échauffés dans le sillage des déclarations belliqueuses, la plupart sans retenue. On a pu lire dans la NZZ que les gouvernements réticents à expulser des diplomates russes (dont la Suisse) «s’agenouillaient» devant Poutine.

Diabolisation

La diabolisation de la Russie aveugle jusqu’aux plus beaux esprits. Le grand journal espagnol El Pais voit la main de Poutine partout. Il déterminerait toutes les élections grâce à ses hackers! Il s'inquiète de la perspective de la constitution, «sous l'égide de la Russie», d'un «Parlement européen antieuropéen», à l'issue du scrutin de mai 2019, qui pourrait «entraîner cinq ans de chaos à Bruxelles».  

Selon El Pais, «Le dispositif technologique d'ingérence» russe, par le passé, «a contribué à déstabiliser, entre autres, le Royaume-Uni du Brexit, l'Italie de la Ligue du Nord et l'Espagne de la crise indépendantiste catalane».

L’excellent journaliste du Figaro Renaud Girard n’en croit pas ses yeux: «On croit rêver! L'indépendantisme catalan et la Ligue du Nord italienne prospéraient bien avant que Vladimir Poutine n'entre au Kremlin. Ils étaient déjà très puissants en 1996, à l'époque où les Occidentaux finançaient massivement la campagne électorale de Boris Eltsine, avant de fermer les yeux sur sa frauduleuse réélection au poste de président de Russie. Quant au Brexit, son principal chantre fut Boris Johnson. Il est difficile de trouver un secrétaire au Foreign Office aussi antirusse que lui. Si l'Union européenne ne marche pas bien aujourd'hui, la faute n'en revient pas aux "méchants" Russes! Elle en revient aux Européens eux-mêmes.»

Girard ajoute: «La Russie n'est pas un agneau. Mais il est ridicule d'en faire le bouc émissaire de tous nos maux. Cherche-t-elle à développer une stratégie d'influence en Occident, à l'instar de ce qu'a toujours fait l'Occident envers l'Orient? C'est évident. Disposant d'une économie affaiblie, moins importante en valeur relative que du temps de l'URSS, la Russie tente de maintenir sa place dans le monde avec les moyens qui lui restent: le nucléaire; la capacité de projection de forces à l'étranger; la cyber-influence, où les Russes ont retourné l'arme du digital contre son inventeur occidental. A l'ère de la mondialisation et des réseaux sociaux planétaires, il est difficile d'échapper aux guerres d'influence d'une société sur une autre. Au demeurant, envoyer de la propagande politique sur un réseau social, fût-ce à l'étranger, n'a rien d'illégal.»

Bouffonnerie

L’élection du Trump était-elle due aux tireurs de ficelles électroniques russes? C’est discutable. On constate en tout cas que sa popularité reste intacte. Sans doute parce que les désarrois de la société américaine sont bien plus profonds que les cliquetis de Facebook.

Et puisque l’on parle d’ingérence, est-il honnête d’ignorer celle des services secrets occidentaux, principalement américains, en Russie et un peu partout dans le monde? La lecture manichéenne des réalités internationales conduit d’abord à la bouffonnerie, puis à la guerre.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

6 Commentaires

@Bob28 08.04.2018 | 08h04

«À défaut d'un vrai pouvoir chez aucun des convives entourant la galette-terre, oui on assiste à ces show clownesques. Mais le rire y est aussi absent et angoissant qu'une forêt sans oiseaux.»


@palaym 09.04.2018 | 19h40

«Merci M.Pilet pour cet éclairage tout en réflexion. Le passage d'une presse "intelligente" à une presse "d'immédiateté" a sans doute transformé fondamentalement la qualité de l'information.
Pour ceux qui ont lu et étudié l'histoire russe, pour ceux qui prennent le temps d'écouter des personnages comme Anne Nivat, il devient tout à fait clair que la Russie ne se limite pas à un "tsar", mais à un peuple qui n'a pas du tout les intentions belliqueuses qu'on voudrait lui attribuer. Merci encore pour votre avis "discordant" dans ce concert. »


@curieux 09.04.2018 | 23h18

«Il est vrai que les cris d'orfraie sur l'empoisonnement de cet agent double ne paraît pas anodin. Une volonté d'enfumage certainement. Mais comment se fait-il que tant de médias embouchent les mêmes trompettes... Merci en tout cas d'apporter un autre éclairage sur cette affaire somme toute banale.»


@Bogner Shiva 212 10.04.2018 | 08h48

«Un bal grotesque, oui le petit jeu de celui qui en a une plus grosse est une occupation habituelle des politiques en général. Il faut bien s'occuper n'est ce pas ? Et le niveau de cette préoccupation dépend bien sûr du niveau de la mégalomanie pathogène d'un politique lambda quelque soit soit son "importance". Et surtout, surtout donner "du pain et des jeux" au peuple, qui ont pour seul objet, d'occuper son attention ailleurs. Détourner l'attention des lieux où l'impéritie de ces individus auto-glorifiés est patente. Et quoi de plus efficace que de chatouiller l'émotionnel des citoyens abreuvés par de plus en plus d'informations ciblées "tripes" ? Et ne nous leurrons pas, en Suisse c'est le même bal, mais l'orchestre est plus réduit, du style Coups de Coeur d' A. Morisod. Mais les gesticulations des corps de ballet est sont identiques. Rien à voir avec l'Orchestre National Philarmonique Russe et celui de Londres qui jouent la même partition dans la Grande salle de Concert de l'ONU...avec les applaudissement de leurs pairs !»


@Gio 10.04.2018 | 09h03

«Que ça fait du bien de lire un article autre qu’un diable peint sur la muraille au sujet de la Russie. Pendant que les acteurs du monde s’activent derrière le rideau, sur le devant de la scène on nous offre un spectacle douteux histoire de bien nous manipuler. Merci pour votre article que je rangerai à côté des serviettes et non pas des torchons.»


@stefans 14.04.2018 | 09h22

«Cher Mr Pilet, j'ai toujours infiniment apprécié vos articles, permettez-moi cette fois de ne pas être d'accord, mais pas du tout, avec vos positions. Non pas avec tout bien entendu, mais avec l'axe majeur de votre article. Que l'Europe ait ses propres problèmes, et cela est bien malheureux, est une évidence, et tout esprit éclairé souhaitera qu'ils soient résolus et que l'Europe, confédérale je l'espère, avance, et avance bien, pour renforcer notre communauté de pensées et de valeurs. Pourquoi, ce constat fait, y opposer la prétendue diabolisation de la Russie et invalider la réalité de tous les problèmes que la Russie a et amène ? Les deux choses sont compatibles. Pourquoi alors faire cette simpliste relation de cause à effet que si l'Europe a ses propres problèmes la Russie n'y serait pour rien ou si peu ? Ou que par exemple l'ingérence serait légitime vu que tout le monde s'ingère chez tout le monde ? Evidemment que ses liens avérés avec certains partis d'extrêmes droite et la fachosphère sont toxiques, que l'opposition russe est muselée, les médias contrôlé, les urnes bourrées, les homosexuels discriminés... sans compter la fortune colossale de son mafieux dirigeant, dont Temps Présent a récemment très bien parlé. Pourquoi, je le répète, opposer ? Par exemple parce que G. Bush a créé un gâchis terrible et immense en Irak, alors on absous V. Poutine de son soutien criminel au régime Syrien ? Non, non, et non.... les deux sont à dénoncer, pas l'un plus ou moins que l'autre... Les jeunes russes qui se battent contre V. Poutine pour être plus libre et qui envient le fait que notre degré de liberté est plus important (oui, en Europe on assassine beaucoup moins les journalistes, les avocats ou les opposants politiques en vue), eux, ne soutiendraient pas vos propos... Un idiot, un tyran, ou un corrompu d'un bord (un Trump, un Xi ou un Kim pour ne citer qu'eux) ne lavent pas ceux de l'autre.... V. Poutine est toxique, son régime mafieux. Et les russes (qui sont une population riches de diversités et de cultures magnifiques) méritent bien mieux que l'alcoolique B. Eltsine ou le mafieux V. Poutine, même si des "sondages" prétendent qu'une partie de sa population se satisfait de sa gouvernance, et de son discours exalté (cf les canaux de télévisions officiels consternants). Quant à la thèse qui fleure l'hypothèse complotiste que T. May aurait plus à gagner de l'incident Skripal que V. Poutine (qui a dit qu'il pouvait tout pardonner sauf la trahison, cf. l'empoisonnement au Polonium de bien triste mémoire), je vous crois Mr Pilet, bien au-dessus de ce genre de spéculation (tout est possible, mais encore faut il des preuves pour avancer dans la direction de ce qui est plus improbable). Restez l'excellent et magnifique journaliste que vous savez être et avez toujours été, je vous en conjure, et continuer à analyser et déranger sans discrimination tous les corrompus, toutes les manipulations, sans les opposer ou jouer la relativisation, la seule chose que je vous reproche aujourd'hui...
Merci à tous à BPLT :-)
PS Si je pouvais être contrer de façon factuelle et non personnelle ou subjective suite à mon opinion dissidente, j'en serai gré à tous...»


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