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Actuel / La martingale des caisses maladie


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Lorsque les assurés ont des actes de défaut de bien et ne peuvent plus payer leurs primes d’assurance maladie, ce sont les cantons qui passent à la caisse. Mais les assureurs restent propriétaires de la créance. Genève et Vaud aimeraient modifier la loi, mais le pouvoir des assureurs sur les parlements est fort.



Les cantons de Suisse occidentale dépensent chaque année plus de 150 millions de francs pour permettre aux assurés endettés de bénéficier de leur couverture d’assurance maladie obligatoire malgré leur situation financière. Selon l’article 64a de la Loi sur l’assurance maladie (LAMal), les cantons sont tenus de payer 85% du montant des actes de défaut que les assureurs présentent à l’administration. En contrepartie, les assureurs doivent restituer au canton 50% du montant récupéré lorsque le débiteur solde sa créance, ce qui peut prendre plusieurs années.

«Une loi faite par les assureurs, pour les assureurs»

Un système jugé insatisfaisant par le conseiller d’Etat MCG Mauro Poggia, en charge du Département de l’Emploi, des Affaires sociales et de la Santé (DEAS) à Genève. «Cela s’explique par le fait que cet article de loi a été mis en place principalement dans l’intérêt des assureurs maladie. Ainsi, le canton doit verser 85% du montant des actes de défaut de bien, un taux largement supérieur à ce que peut espérer obtenir un créancier de la part d’un débiteur en contentieux, mais la créance demeure en mains de l’assureur, sans obligation pour lui d’en faire quoi que ce soit.»

Son homologue vaudois, le socialiste Pierre-Yves Maillard, est du même avis. «C’est effectivement un article fait par les assureurs pour les assureurs, mais il était de toute façon bien meilleur que la situation qui prévalait auparavant.» Avant la modification de l’article 64a en 2012, les assureurs suspendaient systématiquement le remboursement des soins aux assurés qui ne payaient pas leurs primes. Une situation qui a créé d’importants problèmes sociaux. Les cantons romands avaient négocié des conventions avec les assureurs pour payer l’entier des actes de défaut de bien et garantir l’accès aux soins aux personnes endettées. Ce qui n'était pratiquement pas le cas dans le reste du pays. La situation était dramatique. «Des centaines de milliers de personnes en Suisse n’avaient plus droit qu’à des prestations d’urgence pendant cette période», précise le ministre vaudois (voir encadré).

A Genève, le canton a dépensé en 2015 (le résultat 2016 n’est pas encore définitif) 32,3 millions de francs pour payer les actes de défaut de bien acquis par les assureurs comme le prévoit l’article 64a de la LAMal. De leur côté, les assureurs n’ont restitué que 649 000 francs à l’Etat. La proportion entre les montants dépensés par les cantons et les sommes restituées par les assureurs est à peu près la même pour les autres cantons romands. Ainsi, en 2015 aussi, le canton de Vaud a dépensé environ 43,16 millions de francs et les assureurs lui ont reversé 740 000 francs (lire encadré pour les autres cantons romands).

Mauro Poggia et Pierres-Yves Maillard estiment que les assureurs se contentent des 85% versés par les cantons et préfèrent laisser aux débiteurs le soin de se manifester plutôt que d’engranger des frais de poursuites. Raison pour laquelle les deux conseillers d’Etat jugent que la loi devrait être modifiée afin de permettre aux cantons d’acquérir les actes de défaut de bien à 85% de leur valeur. Quitte à s’engager à restituer les 15% manquants aux caisses-maladie. «Un canton est outillé pour observer l’évolution de la situation financière globale de ses résidents», précisent les ministres. Une solution qui aurait le mérite de décharger les assureurs de cette tâche.

Le point de vue de Santésuisse

Lorsqu’on l’interroge sur cette proposition, Santésuisse, faîtière qui regroupe l’essentiel des assureurs en Suisse, précise «évaluer actuellement les avantages et les inconvénients d’un transfert de cette compétence aux cantons». Tout en ajoutant que l’expérience des assureurs-membres de Santésuisse démontre qu’entre 3% et 10% des personnes ayant fait l’objet d’un acte de défaut de bien rembourseront à terme leur créance.

Pourtant, les montants restitués par les assureurs aux cantons sont encore loin de cette évaluation. Comment l’expliquer? «Les sommes remboursées aux cantons augmentent chaque année, au fur et à mesure que les assurances-maladie peuvent récupérer une partie des primes impayées, ce qui prend du temps», répond la faîtière. Et d'assurer que ses membres font ce qu'ils peuvent avec les moyens à leur disposition pour récupérer les montants dus. Il est toutefois surprenant que les assureurs ne se montrent pas davantage enthousiastes à l’idée que les cantons se substituent en partie à la gestion des contentieux. Le transfert de cette compétence pourrait sans doute dégager des économies administratives pour les assureurs.

Les assureurs sont-ils pour autant satisfaits du système actuel? «On ne peut évidemment pas être satisfaits de devoir poursuivre des personnes pour leurs primes d’assurances-maladie, déclare Santésuisse. Réduire le nombre de ces cas passe sans doute par des adaptations dans le domaine de la politique sociale.» Et qu’est-ce que cela signifie, adapter la politique sociale? Sans doute investir encore plus d’argent public dans le subventionnement du système de l’assurance-maladie obligatoire. Or, les cantons le font déjà massivement au travers des subsides (210 000 bénéficiaires rien que pour Vaud!), du paiement des primes pour les personnes au bénéfice de l’aide sociale ou des prestations complémentaires et du versement de 85% du montant des actes de défaut de bien aux assureurs.

Un parlement sous influence?

Les conseillers d’Etat Pierre-Yves Maillard et Mauro Poggia – unis, bien que de deux bords politiques en principe opposés – envisagent tous les deux de relancer la discussion à l’Assemblée fédérale, même s’ils demeurent sceptiques face à la capacité des parlementaires à voter d’abord dans l’intérêt des cantons avant celui des assureurs, tant l’emprise de ces derniers sur l’issue des débats est importante. A noter d’ailleurs que les actuels présidents des Chambres fédérales ont des liens d’intérêt avec les assureurs. L’UDC Jürg Stahl, président du Conseil national, est membre de la direction du Groupe Mutuel. De son côté, le démocrate-chrétien Ivo Bischofberger, président du Conseil des Etats, fait partie du «groupe de réflexion santé» du Groupe Mutuel. Un symbole qui met en lumière le lien étroit que les assureurs entretiennent avec de nombreux élus fédéraux.


Qui sont les personnes endettées auprès de l’assurance de base?

Quel est le profil de ces dizaines de milliers de personnes faisant l’objet chaque année d’actes de défaut de bien au titre de l’assurance-maladie obligatoire? «Nous ne disposons d’aucune étude à ce sujet», répond le conseiller d’Etat vaudois Pierre-Yves Maillard. Le ministre socialiste estime qu’une partie des bénéficiaires de l’aide sociale et des subsides ne sont pas capables de payer la part résiduelle qui leur incombe. «Mais il s’agit de quelques milliers de personnes au maximum», estime-t-il. Dans le canton de Vaud, ce sont 25 000 personnes qui font l’objet chaque année d’actes de défaut de bien. Pour l’heure, il n’est pas possible d’esquisser officiellement le profil de ces assurés endettés.

Il est toutefois envisageable qu’une part non négligeable de ces débiteurs se situent juste au-dessus des barèmes de revenus permettant de bénéficier d’une aide cantonale au paiement des primes. Celles et ceux qui ne rentrent pas dans les critères d’octroi n’ont pas forcément moins de difficultés financières pour autant. Il n’en demeure pas moins qu’une étude sérieuse sur ce sujet s’avère nécessaire.


La situation avant 2012 était «dramatique»

«Le Service genevois de l’assurance-maladie (SAM) faisait l’objet d’une pression énorme», se remémore Patrick Mazzaferri, chef dudit service. Le canton de Genève avait mis en place des conventions avec les assureurs pour racheter les actes de défaut de bien en leur possession et garantir ainsi le remboursement des soins aux assurés ayant des difficultés financières. Pourtant, la solution à ce problème n’était pas aussi simple car certains assureurs importants refusaient de signer lesdites conventions.

«L’Etat avait beau payer rubis sur l’ongle les actes de défaut de bien, ces personnes continuaient à s’endetter auprès de leurs assureurs», précise Patrick Mazzaferri. Du coup, le rachat des actes de défaut de bien ne permettait souvent pas d’améliorer la situation des débiteurs. Ceux-ci se voyaient encore privés du remboursement de leurs soins et de médicaments à la pharmacie. «La situation était dramatique. Le canton avait dû mettre en place une cellule d’urgence aux Hôpitaux universitaires de Genève pour que ces personnes puissent disposer d’un accès aux soins», raconte le chef du SAM.

Une situation qui était d’autant plus difficile à gérer au quotidien que chaque cas était forcément particulier et devait être traité comme tel. Si le système actuel est clairement insatisfaisant aux yeux de Patrick Mazzaferri, il le préfère toutefois largement à la situation qui prévalait auparavant. Mais si les assureurs n’ont désormais plus la possibilité de ne plus rembourser les soins à leurs assurés endettés, ils n’en gardent pas moins le pouvoir de leur interdire de changer de caisse. En effet, les assurés qui ont des créances auprès d’un assureur n’ont pas la possibilité d’en changer, quand bien même une telle opération permettrait peut-être à ces personnes endettées d’économiser de l’argent…


Les montants payés par les cantons en chiffres

Genève (arrondis)

2013 29,5 millions de francs versés aux assureurs, 110 000 francs restitués par les assureurs

2014 34,4 millions de francs versés, 354 000 francs restitués

2015 32,3 millions de francs versés, 649 000 francs restitués

2016 (résultats provisoires) 29,9 millions de francs versés, 858 000 francs restitués


Vaud (arrondis)

2014 43 643 000 francs versés, 486 000 francs restitués 

2015 43 164 000 francs versés, 740 000 francs restitués

2016 45 661 000 francs versés, montants restitués pas encore validés (bouclement des comptes à fin septembre)


Valais

2013 10 541 674 francs versés, 393 454,15 francs restitués

2014 12 184 446 francs versés, 434 829 francs restitués

2015 15 388 272 francs versés, 450 095,25 francs restitués

2016 16 131 589 francs versés, 630 965,25 francs restitués


Fribourg

2015 12 146 987 francs versés, montants restitués non-communiqués par le canton

2016 12 690 134 francs versés, montants restitués non-communiqués par le canton


Jura

2013 2 801 113,75 francs versés, 13 290,05 francs restitués

2014 4 438 016,50 francs versés, 70 207,88 francs restitués

2015 4 213 180,75 francs versés, 127 173,35 francs restitués

2016 4 921 787,45 francs versés, 107 387,85 francs restitués


Neuchâtel*

2013 12 186 700,82 francs versés, 11 053 francs restitués

2014 13 810 268 francs versés, 117 521,40 francs restitués


Berne*

2013 21 803 414,12 francs versés, 225 631,10 francs restitués

2014 33 451 456,40 francs versés, 225 631,10 francs restitués

* Ces cantons n’ayant pas répondu à nos sollicitations, les seuls montants à disposition les concernant sont tirés de documents réalisés par le Groupement intercantonal latin des assurances sociales (GLAS) pour les années 2013-2014


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