Chronique / Lettre ouverte d'un homme de gauche à Céline Amaudruz
Mohamed Hamdaoui
Journaliste, député au Grand Conseil bernois
«Je ne prends plus l’ascenseur seule avec certains hommes. J’ai trop peur.»
Madame la députée,
Votre témoignage diffusé jeudi soir par la RTS m’a profondément bouleversé.
Vous êtes entrée au Palais fédéral en 2011 lorsque je le quittais. Vous y aviez été élue pour défendre des valeurs opposées aux miennes au moment où, pure coïncidence, je renonçais à mon cher emploi de journaliste politique pour tenter de me frotter à mon tour au suffrage universel. Vous êtes devenue une des porte-paroles de ce courant de pensée qui se répand de plus en plus dans notre pays commun et auquel je m’oppose à mon petit niveau: une Suisse identitaire, méfiante face à l’Etat, à l’Union européenne, à la mondialisation et à la société multiculturelle. Enfin, vous êtes une ardente avocate du monde bancaire tandis que je ne possède pas le moindre carnet d’épargne.
Bref. Politiquement tout nous oppose ou presque.
N‘empêche qu’en vous entendant prononcer hier soir cette phrase terrible sur les ondes de la radio publique (dont vous souhaitez par ailleurs couper les vivres…), un frisson de dégoût m’a envahi. Mais aussi un très fort sentiment de culpabilité: celui d’avoir passivement participé à l’omerta.
Un micro dans le groin
Nous étions en effet nombreux à «savoir». A avoir été les témoins silencieux et donc forcément complices du harcèlement dont sont encore trop souvent victimes les femmes dans les sphères soi-disant exemplaires du pouvoir. Les autres segments de la société ne sont sans doute pas épargnés, mais je les connais moins.
Je me souviens par exemple des colères froides de ces correspondantes du service public obligées de repousser avec fermeté les mains baladeuses de politiciens qui semblaient presque se vanter de leur vulgarité. Excédée, une d’entre elles avait failli lui balancer le micro dans son groin.
Je n’oublierai non plus ce jour où ma chère collègue était revenue furibarde d’une interview en me prévenant qu’à l’avenir, elle refuserait catégoriquement d’aller l’interroger de peur d’être à nouveau confrontée à son comportement abject.
Deux de mes consœurs avaient d’ailleurs établi une «liste noire» comportant le nom de quelques politiciens qu’elles s’arrangeaient d’aller interviewer ensemble afin de limiter leurs pulsions.
Enfin, comment chasser de ma mémoire ce jour où une politicienne débutante, bouleversée, s’était confiée à moi? La veille au soir, un élu d’un autre parti lui avait promis de soutenir sa motion «si elle acceptait de se montrer gentille» avec lui…
Ce n’était qu’un petit et triste florilège de nombreuses douleurs enfouies.
Ne pas faire de vagues
A chaque fois, la consigne de mes collègues ou de ces élues était la même: surtout ne rien dire pour ne pas faire des vagues. Surtout ne pas porter des accusations publiques difficiles à prouver. D’autant qu’elles auraient visé des hommes politiques assez influents qui défendaient publiquement des valeurs contraires à leurs comportements odieux. L’un d’entre eux est mort, d’autres n’ont pas été réélus, mais certains sévissent peut-être encore.
Alors, au lieu de les dénoncer au risque d’être condamné pour diffamation, je me taisais.
Et pourtant. Et pourtant. Et pourtant.
Et pourtant, moi aussi en raison de ma couleur de peau et de mes origines pittoresques, j’avais parfois été confronté à des remarques ou des attitudes pour le moins odieuses dans ce lieu à mes yeux sacré qu’était et demeure le Palais du parlement suisse.
Par exemple le jour où lors d’une pause, un important élu m’avait aperçu et m’avait demandé (en me tutoyant…) de jeter à la poubelle la paperasse entassée sur son pupitre. Il ignorait ma carte de presse et m’avait peut-être pris pour un autre de ces «employés de maison» qu’il engageait au noir-
Sans oublier non plus ce jour atroce ou un autre élu «important» (en plus un «camarade» de parti), voulant me féliciter pour mon élection au Grand Conseil bernois, avait cru bon me dire: «J’espère que toi, contrairement à l’autre Noir de Bienne, tu n’as pas falsifié des bulletins électoraux, hein?». Je n’avais pas eu la force de lui répliquer que Ricardo Lumengo avait été blanchi.
Bienvenue au club!
En entendant hier soir votre témoignage, au terme d’une semaine parlementaire harassante où certains élus bernois de votre parti avaient notamment (et heureusement vainement!) demandé de réduire de 30% les contributions dans le secteur de la violence faite aux femmes, j’ai eu énormément de respect pour votre courage d’avoir partiellement brisé cette omerta.
Mais vous n’êtes pas au bout de vos peines. Déjà, le machiste café du commerce commence à bruisser de cette rumeur dégueulasse: «C’est bien fait pour elle. Elle n’avait pas à s’habiller et se maquiller comme ça!» «C’est une allumeuse. Elle ne doit pas se plaindre.»
L’éternel mode défense des mecs qui feignent de confondre jeu de la séduction et harcèlement. Ou pire encore, de ces violeurs qui accusent carrément leurs victimes d’avoir porté des jupes trop courtes.
J’espère que vous aurez le courage ultime de porter plainte. En tout cas, moi, je ne me tairai plus. Tout en continuant à combattre l'essentiel de vos idées!
Bienvenue au club, Madame!
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
2 Commentaires
@XG 02.12.2017 | 08h19
«Même si, comme Mohamed Hamdaoui je ne partage pas les vues de l'UDC sur beaucoup de choses, je dis un grand bravo à Céline Amaudruz pour son courage. C'est ainsi que nous allons arriver à faire progresser les choses. »
@Fabilausanne 04.12.2017 | 14h42
«Ce monsieur a tout à fait raison. Ce qui m'énerve surtout c'est que Céline est décrédibilisėe à cause de son alcool au volant. Ça n'a rien à voir et surtout elle en a déjà fait les frais en faisant les choux gras de la presse . Donc si elle a le courage de dénoncer la situation des femmes harcelées alors que son parti est plein de machos rétrogrades, si elle n'a pas tout lâché malgré les moqueries constantes (alors que d'autres sont dans la même situation qu'elle, mais ce sont des hommes qui me subissent pas le même traitement ) le minimum est qu'on la respecte.»