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Culture / Et l’hôpital comment ça va? La charité répond: ça marche!


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Quand le chroniqueur subit son troisième infarctus, ce qu’il vit ne l’empêche pas d’observer et de noter tout ce qui se passe en lui et surtout autour de lui, une semaine exactement dans nos hôpitaux, en ambulance, en hélico et au milieu des anges soignants. Au risque de pécher par indiscrétion voire exhibitionnisme, voici l’extrait du Journal d’un cardiopathe…



1. 

Quand le sang se met à te galoper dedans comme un fou, tu te dis que c’est ton cœur et qu’il est seul à foncer dans le tunnel de l’Artère, mais l’image de la cavale unique à tagadam de sabots, pour te saisir d’une première panique, ne tarde à diffuser du chaud-froid de la douleur conscient et des tripes, et là tu te dis que t’es seul et que ça va faire mal si ça fait mal et qu’il faudrait faire un call au 144, mais le parler ne parle plus et les sabots ont été remplacés par des griffes au torse et aux épaules jusqu’au fond d’un bras, et c’est alors que le cardiopathe alerte ses filles aînée et puînée d’un HELP réflexe via Whatsapp et le quart d’heure et demi plus tard la cavalerie ambulancière débarque, quatre centaures tout de noir sanglés et deux accortes amazones ont surgi autour du lit défait, et que je te déploie le premier attirail de monitoring à cadrans et manettes, et que je te sangle et te branche ici et là tandis que le questionnaire à questions se met en branle – il y en aura de toutes les sortes de listes et relances avant les deux heures du matin suivant le départ de l’hélico pour l’autre Hosto Principal pas prévu du tout pour le moment – pour le moment on a ligoté le patient médiqué à la morphine en camisole de nuit sur la civière qu’on trimbale en désescalade dans le colimaçon de l’immeuble centenaire de la Grand Rue, et c’est parti dans la stridence des sirènes destination l’Hosto Régional où dans l’urgence on se jouera d’interminables parties de Patience juste occupées à la (re)lecture des récits complets du bon docteur Tchekhov emportés de justesse…   

2.

Une fois de plus il lui sera demandé d’évaluer, sur une échelle de dix, le niveau chiffré de sa douleur après avoir annoncé la date précise de sa venue au monde, et là il aura la faiblesse cabotine d’annoncer le 14 juin qu’avec lui se partagent Ernesto Che Guevara et Donald Trump... Il s’était pourtant promis de ne pas se montrer trop disert ou facétieux dans le sanctuaire des soins, les ambulanciers garçons et filles avaient bel et bien souri à la première pique du vieux piqué mais ce n’est que plus tard que son vice taquin l’avait repris, après le trajet jusqu’à l’hosto, toutes sirènes hurlantes à travers la ville et les étendues; puis il avait sidéré, de guerre lasse, la Belle Docteure lui demandant au terme d’un questionnaire quasi inquisitorial, s’il était une question qu’elle ne lui avait pas posée, alors lui: «Vous ne m’avez pas demandé si je crois au Diable», et elle: «Eh bien?», et lui: «Eh bien non, mais il n’empêche que Brad Pitt, se la jouant Joe Black, en sa blondeur démoniaque, va se faire vieux lui aussi un jour comme aujourd’hui», et elle: «Vous avez toujours été aussi mordant?», et lui: «Dès l’âge de sept ans mes oncles théologiens me voyaient un avenir déplorable», sur quoi la soignante et le soigné auront évoqué en complicité les livres préférés de leur enfance où les merveilles d’Alice et les menteries de Pinocchio s’étaient retrouvées en situation commune de première pharmacopée…

3.

Après vous aimeriez sortir du circuit lancé mais ce sera moins simple que d’y entrer d’un call au 144, et c’est pour votre bien, vous serinera-t-on, vous vous êtes tiré une flèche dans le pied en état de panique − le palpitant qui palpite à mort −, et maintenant c’est vous la flèche avec trois jeunes Indiens qui viennent vous chercher, coronarographie nocturne oblige, pour une fugue à la Peter Pan destination l’Hosto Principal, à trente-cinq bornes de là et donc moins d'un quart d'heure de vol, et le trio ailé vous inspire aussitôt une telle confiance que pas un instant vous ne cédez à l’inquiétude, et l’air glacial qu’il fait maintenant sur le toit de l’Hosto Régional ouvert au ciel immense picoré d’étoiles vous porte plutôt à l’exaltation, mais une autre merveille se dresse soudain devant vous en sa rutilance rouge à parements noirs et reflets d’argent, comme une sauterelle géante en attente de rugir (grave est le silence de l’hélico prêt au bond), et le pilote Jérôme de vous annoncer partant et ses compères de vous glisser là-dedans par un étroit conduit genre scanner, après quoi c’est le rêve de tout écolier: je vole plus léger que je nage, Jérôme t’annonce qu’on file à six cent mètres au-dessus du Haut lac, il signale des voiles de pêcheurs nocturnes, en te soulevant un peu tu vois au loin les loupiotes d’Evian et son casino où une joueuse fortunée vient de se faire plumer (encore une noyade à craindre), hélas le prodige s’achève à l’aplomb des hauts de la ville de ton enfance dont la cathédrale éclairée surgit enfin après dissipation d’un fin nuage de pluie, et ploc te voici au bloc, merci Jérôme et compagnie, merci la vie et à nous deux Victor − parce que revenu du fond du ciel vous allez plonger dans les algues équivoques de vos profondeurs cardiaques −, Victor le masqué qui entame sa danse du scalp après vous avoir percé jusqu’au sang de sa fine fine aiguille souple à micro caméra chercheuse à fines fines pinces, ce que tu suis sur l’écran est une sorte de ballet fantôme ordonné par Victor d’ores et déjà surnommé le Frénétique pour l’extravagante vélocité de son parler et l’énergie de sa gestuelle à la fois intense et précise, comme Jérôme brassait l’air de la nuit à grandes pâles Victor te brigande le poignet sans ménagement (tu vas le traiter de brute belge s’il n’y va pas plus mollo) tout en réclamant un stent à son opératrice turque, et voilà donc le fameux stent salvateur, huitième de la série cardio-fémorale, tout beau tout neuf et que Victor insère, actionnant le ballonnet, et c’est bel et bien grâce à Tintin que votre complicité fusionne pour ainsi dire quand le stent dans l’artère progresse, grâce au ballonnet, comme Milou dans le boa − enfin Victor ôte son masque et te murmure «victoire, Boss, vous avez bien bossé», Victor que tu te figurais solide quadra voire quinqua sous son bonnet de concombre masqué, et qui te regarde, hilare, et t'avoue ses trente ans − cela pourrait être le frère cadet de tes filles et tu l'embrasserais mais tu l'entends déjà protester qu'il n'a fait que faire le job − et jamais plus vous ne vous reverrez...

4.

Ce lieu d’enfer est le pire qu’on puisse imaginer, vous dites-vous juste après que la jolie Togolaise vous a demandé si le sorbet de dessert au coulis de framboise vous a convenu, et cette abomination de désolation n’est pas imaginaire: c’est du vécu dans l’atroce pire que la pire réalité que doit connaître la jeune Africaine aux bons soins, on ne sert pas de dessert dans le dépotoir aux cinglés où le terrifiant Nikita martyrise les patients au titre de gardien-chef, les dreadlocks de la petite Nadia − elle vient de Lomé et porte un prénom russe sans s’en douter − se dresseraient sur sa belle caboche pleine de savoir paramédical si vous lui parliez des tribulations odieuses imposées aux pensionnaires-prisonniers de cette cour des miracles , bref vous arrivez, cinquante ans après la première lecture de La salle Numéro 6 d’Anton Pavlovitch Tchekhov, en novembre 1973, peu après la publication de votre premier livre, en relevant l’annotation que vous aviez faite sur la page de l’édition de La Pléiade (19.11. 1973, épouvanté), au terme de ce tableau déchirant, et combien significatif, de la misère russe à la fin du 19e siècle (le récit date de 1892), notamment éclairée par la confrontation des deux protagonistes: le jeune révolté Vania Gromov et le médecin désabusé Raguine − deux intelligences vives, opposées en apparence et aux destinées confondues «au bout de la nuit», là vous êtes couché dans le confort semi-absolu de votre semi-King Size, le docteur Raguine prévoyait qu’il faudrait au moins deux cents ans à l’hôpital russe pour sortir de la mouise avant de conclure que de toute façon soigner des vivants voués à la mort n'avait aucun sens, au dam de Gromov resté accroché à un lointain espoir dans son désespoir de fou de lucidité − et tout a l’heure ta fille aînée va débarquer avec son sourire qui est lui-même une guérison, ton séjour de sept jours à l'hôpital régional, avec baptême de l'air en bonus, s’achève sous le double signe de la sérénité et de la reconnaissance qu’avait invoqué la compagne de ta vie quand elle a appris que son angiosarcome du cœur (encore lui!) ne lui laissait que quelques mois à vivre − non plus «épouvanté» mais rasséréné…

5.

Avant le troisième coup de cœur, affects amoureux non compris, qui vous a valu ce dernier séjour de sept jours à l’hôpital, vous luttiez, comme à un autre mal, contre le tic de langage exaspérant consistant à dire à tout moment «du coup», soudain remplacé, dans le mouvement précipité des événements, par la locution «ça marche», lancée initialement par les ambulanciers vous interrogeant longuement et vous examinant une première fois pour conclure, du coup, qu’il fallait vous emmener d’urgence aux Urgences et vous confier aux urgentistes, lesquels ont continué de vous interroger et de vous examiner selon les normes administratives jusqu’au soir où, le bloc opératoire étant non opératoire par mesure administrative, il a été jugé approprié, du coup, de vous envoyer par hélico à l’hôpital de catégorie supérieure aux opérateurs habilités à opérer à deux heures du matin, et la voix claire du pilote, s’exclamant résolument «ça marche», relayée ensuite par la voix du jeune chirurgien Victor, aura résumé ce transit joyeux dont, à votre retour en ville bien portant, vous rendiez compte ce matin à votre cardiologue traitant au prénom vaillant de John-John, bonnement éberlué et bientôt fâché de n’avoir été informé de rien, rapport au suivi de votre dossier, par les services administratifs de l’Hôpital Régional selon lui devenu gouffre à millions par la seule incurie des bureaucrates, au dam des soignants et des patients, et du coup, vous qui avez débonnairement rengainé toute critique de tout ce qui vous semblait un peu clocher dans le fonctionnement de l’institution en question (manque d’information réelle et surinformation virtuelle, détérioration de la relation médecin-patient, multiplication des procédures formelles et pesantes lenteurs, etc.), vous avez entendu le plus sévère réquisitoire du praticien d’expérience soucieux du sort des patients et des soignants plus que des classements selon les normes ISO et autres évaluations à n’en plus finir − constat bientôt étendu à l’ensemble des sociétés actuelles saturées d’administratifs et de bureaucrates de plus en plus autocrates − du coup vous vous êtes entendus, lascars en foire, pour nuancer le «ça marche» en matière de médias et de politique nationale et internationale, enfin vous en avez conclu, vous le patient obsédé par les faits de langage, qu’il était plus que jamais important de renoncer aux locutions automatiques à la ChatGPT genre «du coup», et du coup votre impatient et bouillant  cardiologue vous a répondu: «ça marche»…            


Avec toute la reconnaissance du chroniqueur aux soignant.e.s de l’hôpital régional de Rennaz

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

3 Commentaires

@miwy 28.02.2025 | 13h37

«Quand on aime, on ne compte pas, dit-on. Ni le nombre de mots (impressionnant!),ni le coût. A ce propos et...avant de conclure que de toute façon soigner des vivants voués à la mort n'avait aucun sens, que penses-tu, cher JFK (qui ne manque quand-même pas une occasion d'évoquer la date de naissance commune avec Ernesto Guevarra (un hasard, ou un choix délibéré ?), de nous communiquer ce qu'à coûté cette alerte, hélico etc. inclus ? PS: content de te savoir hors danger (sic)»


@Christode 28.02.2025 | 15h59

«Article intéressant. Il aurait pu être plaisant à lire s'il avait été fait de vraies phrases. En l'état, plutôt rébarbatif - dommage.
Tous mes meilleurs vœux pour votre santé ! »


@JNSPQM99 03.03.2025 | 22h23

«L'humour, ça sauve!»


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