Vous aimez cet article <3
Média indocile – nouvelle formule

Histoire

Histoire / Regard rétrospectif sur les «Nouvel An» qui ont précédé les deux guerres mondiales


PARTAGER

La Saint-Sylvestre est une fête largement célébrée à travers le monde. Et pourtant… Au fil du temps, l’histoire nous le montre, les espoirs sont déçus, tout comme nous abandonnons la plupart de nos bonnes résolutions pour la nouvelle année. Lisons cet article plein d’espoir paru le 3 janvier 1939 dans un quotidien polonais.



A quoi sert l’étude de l’histoire? Comprendre le passé, pour ne pas répéter les erreurs et préparer un meilleur avenir? Si seulement c’était si simple. Si seulement c’était suffisant. Lisons cet article plein d’espoir, paru le 3 janvier 1939 dans un quotidien polonais, qui revient sur le passage vers le Nouvel An 1914 pour déclarer que cette fois, avec le souvenir de la Grande-Guerre encore si frais dans les mémoires, il est impossible qu’une guerre aussi meurtrière frappe à nouveau. Il faudrait être fous pour laisser cela arriver! «Nous, nous sommes différents», nous dit le journaliste:

«Et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines!»1

«Des quatre coins de l'Europe, ainsi que d'outre-mer, nous parviennent des informations selon lesquelles la nuit de la Saint-Sylvestre de cette année a été exceptionnellement pompeuse. [...] Même à Moscou, le réveillon a été célébré par des bals publics et privés, même à Berlin, des milliers de litres de champagne allemand ont été bus ce soir-là. À Paris, à Londres, à New York, les villes donnaient l'impression, le soir du 31 décembre, d'être une sorte de réunion de noceurs enivrés qui veulent faire la fête et oublier.

»Car cette année, le réveillon a été célébré dans le monde entier sous le fameux mot d'ordre de Beaumarchais «Et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines!» Il y avait quelque chose de tragique et de déroutant dans ce réveillon endiablé.

»Du reste, les gens ne se le cachaient même pas entre eux. À Paris, à Londres, même dans la discrète et paisible Suisse, les fêtards de la Saint-Sylvestre, en levant leur coupe de champagne sur le coup de minuit, souriaient tristement et se disaient que c'était peut-être la dernière... coupe [en temps] de paix. Les journaux du monde entier l'ont clairement écrit, les gens sous toutes les latitudes en ont parlé ouvertement. Le réveillon de cette année a été une célébration de la joie de vivre en paix. Un réveillon de gens oppressés par de mauvais pressentiments, qu'ils ont cherché à noyer dans le champagne et à assourdir par la gaieté.

1914: «Quel réveillon du jour de l’an cette année-là!»

»Nous avons sous les yeux d'anciens numéros de journaux d'avant-guerre. Rappelons-nous le tournant de l'année 1913-1914. Quel réveillon du jour de l'an cette année-là! Il était peut-être d'une nature différente de celui d'aujourd'hui, les gens de cette époque ne sortaient pas autant dans les lieux publics, préférant faire la fête dans l'intimité de leur foyer, mais ils faisaient la fête de toute leurs âmes. Nous avons aussi des illustrations de l'époque, des calendriers, des dessins, montrant comment on saluait le passage à la sinistre année 1914 – quelle frénésie générale envahissait les gens à l'époque! C'était comme s'ils avaient déjà le pressentiment que cette folle nuit de la Saint-Sylvestre était la dernière soirée de paix, que beaucoup d'entre eux fêteraient la prochaine dans les tranchées – ou pas du tout.

»Probablement pas. Au passage de l’an 1913 à 1914, de sérieux nuages s'amoncelaient en effet au-dessus de l'Europe, mais beaucoup de gens se rendaient-ils compte que la grande, la plus grande guerre de l'histoire du monde était en train de se préparer? Probablement – nous le répétons – pas. Ces gens d'avant-guerre, si convaincus de leur propre valeur, si sûrs d'avoir déjà résolu toutes leurs difficultés et tous leurs problèmes, si profondément persuadés d'être la génération la plus intelligente de tous les temps – ces gens ne croyaient certainement pas au plus profond de leurs cœurs que la guerre pourrait soudainement effacer leur splendeur, anéantir leur sens du bonheur et mettre un terme à leur joie de vivre. Après tout, l'idée trottait dans la tête des gens que la guerre, au stade actuel de la civilisation, était impossible, qu'elle pouvait au pire durer deux ou trois semaines, qu'il s'agissait d'une chimère qui n'avait rien à voir avec la vie réelle, ses possibilités et ses exigences. Il y avait certes des annonces et des allusions préoccupantes dans les pages des journaux, des éditoriaux évoquaient l'éventualité d'une guerre, mais personne n'y croyait vraiment. La Saint-Sylvestre 1913-1914 n'était aussi qu'une fête pour les gens heureux, riches et sûrs d'eux, qui pensaient que le monde leur appartenait et qu'ils avaient le droit de jouir de la vie.

«Nous, nous sommes différents»

»Nous, nous savons que la guerre est possible. Nous ne voyons plus l'avenir en rose et nous ne sommes plus aussi confiants en nous-mêmes et en notre civilisation. Nous faisons la fête parce que nous ne savons vraiment pas si le monde tiendra encore trois semaines, parce que nous ne savons vraiment pas si la paix tiendra une année de plus.

«Mais de cette peur, de cette appréhension, nous tirons peut-être aussi une consolation. Car ceux qui ont tiré le premier coup de feu en 1914 ne savaient pas vraiment ce qu'était la guerre. Nous, nous le savons. Nous, nous la comprenons. Les soldats de la Grande Guerre enverraient aujourd'hui leurs fils au front! Nous savons que la guerre ne peut être justifiée que par le devoir sacré de défendre la patrie, mais personne dans le monde d'aujourd'hui – à l'exception de pays en proie à une sorte de psychose collective – ne se lancerait inconsidérément dans une guerre et n'assumerait la responsabilité de son déclenchement. C'est peut-être la raison pour laquelle les sombres prédictions de cette année ne se réaliseront pas et que le réveillon du Nouvel An ne sera pas, comme celui de 1914 pour de nombreuses personnes, le dernier réveillon pacifique sur terre. A. Chor.»

Les soldats de la Grande-Guerre ont fini par envoyer leurs fils au front

Le dernier numéro du Kurier Polski, sur deux pages seulement au lieu des six à douze habituelles, paraîtra en soirée du 15 septembre 1939. Il est composé d’articles plutôt brefs, comme s’il fallait donner en vitesse un maximum d’informations avant de devoir quitter la rédaction. D’ailleurs, aucun n’est signé. Ainsi, on y trouve des appels aux pharmaciens pour qu’ils restent dans leurs officines, aux femmes pour qu’elles puisent dans leur lingerie pour les découper et préparer ainsi des réserves de bandages, il y a la description d’une bombe incendiaire et des conseils pour créer une sortie de secours à l’arrière des immeubles au cas où l’entrée principale serait bloquée par les décombres. Et au milieu de tout cela, une seule annonce, celle d’une femme, Ewa Kwiecińska, qui recherche un homme, Bogusław Stępiński. Était-ce son fiancé? L’a-t-elle retrouvé? Ont-ils survécu? Nous ne le saurons jamais.


«Kurier Polski» du 15 septembre 1939.

L’armée polonaise en déroute devant l’armée allemande aurait-elle pu avoir une chance grâce à une rapide intervention (promise) de ses alliés franco-britanniques? Peut-être. Mais avant que l’aide n’arrive de l’Ouest, c’était au tour de l’Armée rouge d’envahir la Pologne, à l’Est, le 17 septembre 1939. Moins de trois semaines plus tard, le partage prévu par le pacte Molotov-Ribbentrop était accompli. La Seconde guerre mondiale avait bel et bien commencé.

La paix est revenue, après de longues années d’un massacre encore plus meurtrier que le précédent, et de nombreuses coupes de champagnes ont pu être levées à de nombreuses Saint-Sylvestre joyeusement fêtées de par le monde dans les décennies de paix (toute relative, pas partout et pas pour tous) qui ont suivi.

Et qu’en est-il de nous, aujourd’hui, en 2025, alors que nous allons «fêter» cette année les quatre-vingts ans de la fin de la Seconde guerre mondiale?

Sommes-nous différents ?

Comment lisons-nous le préambule de la Charte des Nations-Unies, qui devait garantir de «préserver les générations futures du fléau de la guerre qui deux fois en l'espace d'une vie humaine a infligé à l'humanité d'indicibles souffrances»?

Qu’avons-nous appris?

Qu’avons-nous compris?

Et d’ailleurs, qui est «nous»?

Je n’ai que des questions…


1 Paroles de Figaro dans le Barbier de Séville, Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais (1732-1799)

Les archives du «Kurier Polski» sont disponibles sur https://crispa.uw.edu.pl/ (en polonais uniquement).

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

2 Commentaires

@Nom connu de la rédaction 17.01.2025 | 10h54

«Merci pour cet extraordinaire article. Il expose avec clarté le fait que nos mentalités n'évoluent pas à l'échelle d'une vie humaine.»


@simone 17.01.2025 | 17h13

«Texte magnifique. Merci.»


À lire aussi