Média indocile – nouvelle formule

Lu ailleurs

Lu ailleurs / Affaire des viols de Mazan: le coup de gueule salutaire de Philippe Battaglia


PARTAGER

Nous avons été nombreuses à nous indigner en apprenant les ignobles mésaventures de Madame Gisèle Pélicot, victime de son mari déviant pendant de longues années. Il est bon de constater que nous ne sommes pas seules, nous, les femmes, à avoir envie de vomir face à ce type d’attaque répétée contre l’intégrité et la dignité d’une des nôtres. J’ai été très agréablement surprise d’entendre, lors d’une émission pourtant humoristique, les Bras cassés de la radio Couleur3, un papier écrit par le chroniqueur Philippe Battaglia.



L’émission en question, si vous ne la connaissez pas, est généralement un ramassis de bêtises déclamées sur un ton très drôle. J’en suis d’ailleurs une fan inconditionnelle, ces deux heures quatre fois par semaine me font toujours du bien. Ce n’est pas la première fois que l’on peut y entendre un sujet très sérieux traité avec humour. Mais cette fois, je ne crois pas que l’on puisse parler d’humour. J’ai l’impression que l’homme qui se livre dans ce papier a été poussé par une forte pulsion de solidarité féminine et le courage de s’exprimer sur un sujet que les nouvelles féministes interdisent presque aux hommes d’aborder («Vous ne pouvez pas comprendre!»). Son texte m’a énormément touchée. J’ai pris la liberté de remplacer, afin de ne pas heurter certaines sensibilités, le terme en trois mots désignant un certain orifice de notre corps, qui apparait vingt-six fois, par l’acronyme TDC. Je pense que tout le monde comprendra malgré ce petit arrangement politiquement correct.

Je remercie l’auteur de me permettre de partager son coup de gueule avec les lecteurs de Bon Pour La Tête. Le voici:

(Vous pouvez également écouter le papier sur Instagram)

«Aujourd’hui, je vais vous parler de l’affaire Mazan.

Un énorme procès s’est ouvert en France sur ce dossier dont vous avez certainement entendu parler, à moins d’avoir, peut-être, regardé ailleurs comme certains semblent l’avoir fait durant les neuf années qu’a duré le calvaire.

L’affaire Mazan, c’est l’histoire d’une femme, Gisèle Pélicot, mariée à un TDC du nom de Dominique, lequel a recruté sur Internet d’autres TDC pour violer sa femme alors qu’elle était droguée et inconsciente. Vous avez peut-être remarqué que j’ai remplacé le mot homme par les mots TDC. Si j’ai fait ça, ce n’est pas pour protéger les hommes, c’est parce qu’à ce stade, j’ai franchement l’impression que ce sont deux synonymes.

J’ai mis longtemps à me décider de parler de cette affaire, parce que je voulais faire mon introspection. Je voulais être sûr que je n’en parlais pas pour me donner bonne conscience ou, pire, pour les clics. Et puis je me suis rendu compte qu’en fait, ma peur, ce n’était pas de le faire pour de mauvaises raisons. C’était qu’on m’accuse de le faire pour de mauvaises raisons. Des accusations qui, finalement, viendraient surtout de la part de TDC.

Tout ça a commencé quand le TDC s’est fait arrêter dans un supermarché parce qu’il filmait sous les jupes des clientes. Déjà tu sens des failles dans le génie criminel. Le TDC a organisé des viols en réunion pendant neuf ans, mais il se fait gauler pour ses tendances au voyeurisme, qui, rappelons-le, constitue déjà une agression sexuelle. C’est un peu Al Capone qui se fait coffrer pour fraude fiscale.

Partant de là, les policiers ont eu un mandat pour fouiller son matériel informatique et ils découvrent des dizaines, des centaines de vidéos. Et au milieu, un dossier intitulé ABUS. En termes de confession, ça se pose là. Quand tu as filmé ta femme subir des viols que tu as toi-même organisés et que tu ranges toutes les preuves dans un dossier intitulé ABUS, on peut sauter l’étape où tu signes tes aveux.

Et dans ce dossier ABUS, le TDC a sauvegardé toutes les vidéos, mais aussi des petites fiches sur chacun des autres TDC qu’il a recrutés. Un peu comme un grand Pokédex de TDC et là aussi, comme dans l’animé, j’espère qu’ils réussiront à tous les attraper.

L’un des trucs les plus horribles de cette histoire est évidemment l’ignorance de Gisèle Pélicot. Le fait d’avoir découvert ça sur des vidéos, lorsque la police l’en a informée. Neuf ans de sa vie réduits à néant. Neuf années à aimer son TDC de mari, à lui faire confiance. Pendant tout ce temps, elle s’était plainte à son docteur de fatigue, d’absences et d’amnésie chronique, auxquelles s’ajoutent des douleurs vaginales. Je ne dis pas que le toubib est particulièrement un TDC, je dis juste que quand une patiente se plaint de ne jamais se rappeler quand elle va se coucher et qu’elle se réveille le matin avec les muqueuses irritées, y a peut-être d’autres traitements que "prendre du repos". Mec, elle vient de te dire que c’est précisément quand elle prend du repos que ça ne va pas…

Ça m’a rappelé la fois où j’avais pris une bonne grosse cuite, du genre à vous laisser sans souvenir le lendemain. En rigolant, j’avais dit à ma femme: pas de souvenir, bon souvenir. Elle m’a répondu: c’est bien une phrase de mec, ça. Je n’avais pas bien compris, sur le moment. Cette affaire m’a fait réaliser le privilège de se réveiller amnésique et de pouvoir en rire sans craindre une éventuelle agression.

Du côté des accusés, c’est le festival. Sur les presque nonante TDC figurant sur les vidéos, cinquante-et-un comparaissent au tribunal. Entre 26 et 73 ans, ils représentent quasiment toutes les catégories sociales, ethniques, politiques, économiques et religieuses. Si un institut de sondage vous dit qu’il a un panel représentatif aussi complet, il ment. Il n’y a que le viol pour être à ce point fédérateur.

Et c’est peut-être ça qui dérange autant les TDC que nous sommes. Cette vérité que nous faisons semblant d’ignorer alors que les femmes nous la hurlent depuis si longtemps. Le profil du violeur n’existe pas, si ce n’est que c’est un TDC comme n’importe quel autre TDC.

Les lignes de défense des accusés sont incroyables, certains ne se considérant tout simplement pas comme des violeurs. Les TDC, ils insèrent leur pénis dans une femme inconsciente et ça ne leur suffit toujours pas pour se considérer comme des violeurs. Va falloir agrandir l’enfer, parce qu’à mon avis, il n’y aura jamais assez de place pour tous les TDC. D’ailleurs, on leur a fait passer une expertise psy et la plupart ont été déclarés sains d’esprit. Peut-être le moment de réévaluer un peu la psychiatrie moderne, je ne sais pas, je dis ça comme ça.

Les avocats ne sont pas en reste dans le genre TDC. Alors ok, ça ne doit pas être facile de défendre des TDC de ce genre, mais quand tu essayes de convaincre le juge qu’il y a des bons et des mauvais violeurs, je pense que tu peux enlever ta toge et aller directement prendre un siège à côté des accusés, on ne verra pas la différence.

Et au milieu de toute cette noirceur, une étincelle de lumière, Gisèle Pélicot elle-même, brisée mais digne, qui a permis que le procès ne se cache pas derrière les lourds rideaux de la justice, mais que ses agresseurs soient bien visibles et assument leurs actes dans la lumière. Le problème de Gisèle Pélicot, finalement, c’est le même problème qu’ont toutes les femmes, celui d’être encerclées par les TDC. Des TDC qui les violent et qui les font violer, des TDC qui minimisent leurs douleurs quand elles viennent chercher de l’aide, des TDC qui répondent à une annonce qui leur propose de violer une femme, une annonce intitulée A son insu et d’autres TDC qui sont témoins d’une annonce de ce type et qui n’agissent pas.

Et quand je dis ça, je ne me mets pas sur un piédestal. Je n’aurais certainement pas répondu à l’annonce, mais de vous à moi, je ne suis pas certain que je l’aurais dénoncée. Je crois que je ne l’aurais tout simplement pas prise au sérieux. De cette indifférence qui fait de nous tous des TDC silencieux, qui refusons de croire que nos silences font autant de mal que les coups.

Bref, une histoire qui nous rappelle une fois encore que si les monstres n’existent pas, il existe beaucoup trop de TDC capables de monstruosités.»

Pourquoi cette histoire compte-t-elle pour moi? Parce que je l’ai vécue. Une seule fois, heureusement. Mais une seule fois suffit. J’avais seize ans quand c’est arrivé, j’étais invitée à une fête organisée par un «copain» de gymnase (collège, lycée, selon les cantons suisses dans lesquels on se trouve). J’ai certainement trop bu, mais je suis presque sûre qu’une de mes boissons a été agrémentée d’une substance particulière, parce que la Polonaise que je suis tient vraiment bien l’alcool… Et voilà que je me réveille dans le lit d’un nain acnéique, la chatte en feu. Combien sommes-nous à l’avoir vécu? Trop, à n’en pas douter...

Pourquoi j’en parle? Parce que ce n’est pas à moi d’en avoir honte! 


En savoir plus sur Philippe Battaglia

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

0 Commentaire

À lire aussi