Culture / Plan complexe sur «Lee Miller»
«Lee Miller», un film de Ellen Kuras, avec Kate Winslet, Andy Samberg, Alexander Skarsgård, 117 minutes, 2024.
Comme une photo volée sur le champ de bataille: instantanée, surprenante, terrible et vraie. Ce sont là aussi les traits de caractère du biopic sur la mannequin et reporter de guerre Elizabeth, dite Lee, Miller (1907-1977). Quelle surprise! Le film avait tout pour signer un raté ennuyeux, convenu, militant voire moralisateur. Forcément, mettre en scène la vie d’une femme profondément féministe, qui a cultivé l’amour libre, abandonné son fils, posé nue et qui s’est battue pour obtenir une place en tant que femme dans la presse de guerre, aurait dû peser lourd sur la balance du cinéma bienséant. Mais c’est une tout autre position qu’adopte la trame face à l’objectif. Si le scénario ne crache pas sur la vie mouvementée de Lee – et il n’y aurait pas eu de quoi! –, il ne la porte pas aux nues non plus. C’est là tout l’intérêt. L’approche du personnage est complexe. La fréquentation de ses amis artistes et libertins est montrée à la fois dans toute sa splendeur et toute sa misère. Sa vie sexuelle est placée en contraste entre la libération qu’elle lui procure, autant que dans l’addiction, autrement dit dans l’esclavage. En somme, ce n’est pas une héroïne «femme-courage» qui est présentée, mais une femme blessée depuis l’enfance, dont l’éthique personnelle boîte méchamment. En matière d’éthique justement, le film emmène son spectateur au sein d’une réflexion: quel rapport entretenir à l’image quand celle-ci raconte des drames? Le malaise de Lee Miller traduit cette question lorsqu’elle peine à détendre la gâchette de son Rolleiflex face aux horreurs de la guerre. Et summum de l’horreur, la découverte des camps de concentration par celle-ci qui nous donne de revivre une page d’Histoire à travers son histoire. Bien qu’installé au chaud sur son fauteuil, le spectateur vit avec Kate Winslet, qui interprète Miller à merveille, une émotion foudroyante et pénétrante. Le tout porté par une musique, signée Desplat, qui donne au film un rythme effréné et qui accompagne émotionnellement le public tout du long. Quant à la forme narrative, elle reste très classique; ce qui ne l’empêche pas de rester une excellente – et complexe! – surprise.
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