Culture / Si vous rêvez de Tombouctou, c’est en vous que gît le trésor
Ravivant la fraîcheur de nos lectures de jeunesse, avec le supplément d’âme de la maturité, le nouveau roman «africain» de René Zahnd, «Le Trésor des Mandingues», nous entraîne dans un périple à double valeur d’hymne à l’amitié, ponctué de belles rencontres humaines, et d’exploration sur le terrain et par l’écrit d’une Afrique méconnue dont le parcours relève de la quête initiatique, sous le patronage occulte de Blaise Cendrars.
Les ruptures ont parfois du bon. Tu te fais larguer et c’est peut-être bien fait, ça te pendait au nez te dit ton compère François qui a toujours le mot pour encourager: tu avais le fil à ta Pat, croit-il malin d’ajouter avant de t’allonger d’autres calembredaines débiles, et patati et patatras – mais tourne donc la page mon poteau, te serine-t-il sévère et facétieux, et c’est parti pour une autre vie n’importe où mais loin de cette «affaire» de Patricia, et pourquoi pas Venise?
Cinq pages plus loin, puisque c’est le début d’un roman dont le titre du premier chapitre annonce la situation «au 36e dessous» et démarre avec une exclamation amicalement indignée dudit François, «Ce n’est plus du chagrin, c’est de la misère», le Narrateur, qu’on pourrait prénommer René tant il évoque l’auteur par divers traits psychologiques, à part sa passion avérée pour l’Afrique et ses connaissances de naturaliste – mais on évitera de l’associer trop précisément à la cata sentimentale du moment – se retrouve donc bel et bien à traîner son spleen dans la lagune, quand, en quête d’un cadeau à ramener à son compère François, le hasard lui fait pousser la porte d’une bouquinerie francophone tenue par un vieil Africain qui, à l’évocation du nom de Cendrars, lui propose, fin lettré, l’acquisition du Latin mystique de Rémy de Gourmont, dont chacune et chacun se rappelle l’intérêt que le cher Blaise portait à son œuvre de grand érudit, avant de lui offrir, en bonus, la première édition de l’Anthologie nègre du même bourlingueur assortie d’une dédicace manuscrite à un certain M. P. , «dans les secrets partagés des montagnes d’or et des remous de Boussa»...
Or le compère François aura tôt fait d’identifier ce mystérieux M.P. en la personne d’un certain médecin écossais du nom de Mungo Park, devenu explorateur des régions encore peu connues de l’Afrique de l’Ouest – l’époque où l’on ne savait même pas dans quel sens coulait vraiment le Niger –, et là le roman va vraiment démarrer à l’initiative dynamique du même François qui pousse son ami à sonder de plus près le mystère de ces «montagnes d’or» tout en se défilant, lui, au dernier moment, pour enquêter plutôt sur Internet.
Une exploration à deux «vitesses»
Quand tel ou tel importun lui demandait s’il avait vraiment pris le Transsibérien, qu’il évoque dans sa célèbre Prose à l’irrésistible tagadam poétique, Cendrars répondait invariablement: et quelle importance que je l’ai pris ou non si mon poème vous l’a fait prendre? Et l’on sourira, dans la foulée, en se rappelant que le même Blaise, auteur d’une non moins fameuse Anthologie nègre, n’a jamais mis les pieds en Afrique, si l’on excepte une brève escale à Dakar, alors que René Zahnd y a bel et bien crapahuté moult fois, y recueillant autant de sensations et d’observations de toutes espèces (régurgitées à foison dans son roman) que d’anecdotes et autres tournures de langage «tout bien» captées à l’oral quotidien.
Cela précisé pour indiquer la double voie du récit déployé par Le Trésor des Mandingues, sur le terrain, entre Bamako et le pays Dogon, via Tombouctou la mystérieuse, où le jeu de piste tiendra souvent de la course d’obstacles carabinée, et l’exploration «livresque», à laquelle participe l’ami resté devant son ordi, lestée d’innombrables et précieux détails enrichissant notre connaissance de l’Afrique sans pesanteur académique ni pédantisme.
Sur une de ces voies, nous ferons la rencontre «incarnée» de deux jeunes filles – une Africaine au prénom de Rokia et Cathy la sémillante ethnologue française – toutes deux ferrées en matière d’anthropologie – jusqu’aux aspects très politisés de la «question noire» – alors que la bibliographie en fin de volume cite une trentaine d’ouvrages qui ont accompagné l’auteur dans la composition de son roman. A la même enseigne «dualiste», l’on relèvera l’alternance très «physique» du récit à ras le quotidien poussiéreux et son épique relance de lieu en lieu, ponctué de dialogues savoureux entre les deux lascars (on skype n’importe où par les temps qui courent), et maintes inflexions plus méditatives de l’«aventurier mélancolique» que figure le Narrateur, qui nourrissent un véritable parcours initiatique à l’africaine, ponctué de force sages sentences, entre autres formules drolatiques. Tel vieux sage aveugle dira ainsi: «La paroles est la reine de la connaissance. Mais la parole est aussi la reine du mensonge et la reine des secrets». Et telle Mobylette garée sur la rue portera cette maxime avec sa gouaille populaire: «Le crayon de Dieu n’a pas de gomme»…
Enfin la lumière éblouissante du jour, et combien de sonores éclats de rire, iront de pair avec un jeu d’ombres plus inquiétantes liées à la part maléfique de la nature humaine, où l’on verra que les pillards blancs d’hier ressortissent à la même crapule que les tueurs d’aujourd’hui se réclamant du Djihad.
Le trésor de l’humaine bonté
Pour beaucoup d’enfants de tous les âges et d’un peu partout, L’Ile au trésor reste l’un des plus beaux livres qui soient, et le lecteur du Trésor des Mandingues ne cesse évidemment d’espérer en savoir plus à propos des «montagnes d’or» évoquées par Cendrars, cher menteur et mentor du non moins cher François, lequel est peut-être le véritable auteur du roman – tels étant les deux lascars férus de farces et attrapes narratives.
Dans la foulée du roman, ainsi, l’on apprend que les initiales du fameux M. P. ne sont peut-être pas celles de Mungo Park mais désignaient un certain Mathieu Portalban, négociant en «art nègre» que ses menées de pillard ont fait détester des indigènes mais que Cendrars eût pu rencontrer de son vivant; et ce n’est qu’une incertitude de plus ajoutée au mystère de la mort de Mungo Park et à la réalité du trésor peut-être enfoui dans les montagnes de l’Adrar des Ifoghas, d’où le Narrateur candide devra se faire exfiltrer en hélico pour cause de danger djihadiste très actuel.
Au jeu du «romanesque», nous avalerons jusqu’à ces péripéties de thriller ou de série télévisée, mais l’enjeu du Trésor des Mandingues est ailleurs, et plus précisément dans le constat du hogon, maître spirituel des Dogons, qui déclare comme ça au Narrateur, sans le connaître que par son intuition supérieure: «Vous êtes un homme bon. Vous avez le ventre clair». Et de fait, malgré ses tribulations et ses galères, celui qui écrit (qu’il se prénomme François ou René) se révèle notre ami en manifestant son amitié aux multiples beaux personnages qu’il rencontre, jusqu’à ce jeune garçon au prénom de Djibril, fan de foot et rêvant d’être la future star des stade du Mali, au père duquel il promet de payer son écolage.
Tu ne sais sûrement pas plus que moi, camarade ce qu’est le «ventre clair». Un jour tu m’as raconté que, tout nu sur ton lit d’hôpital, entortillé dans les tuyaux de ta survie médicale, en prise avec le Crabe pire que les essaims d’abeilles de Djenné, tu as décidé de vivre. Ce que tu rappelles à la fin de ton superbe roman par la voix de Sid Omar, parce «qu’il n’y a pas de trésor plus grand que la vie, et l’harmonie qu’on peut y trouver». Poil au nez…
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