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Média indocile – nouvelle formule

A vif

A vif / Israël, au-delà du brouhaha médiatique


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Après l’unilatéralité de la couverture sur la Covid et la guerre en Ukraine, voici que les grands médias à nouveau concentrent (presque) toute leur attention sur la guerre entre le gouvernement israélien et les Palestiniens de la bande de Gaza. La machine médiatique bat son plein, avec son lot d’experts de plateaux cachant mal leur partisanisme, réagissant à l’émotion par l’émotion. En un mot: jetant de l’huile sur le feu.



Relai de propagande aussi, comme l’affaire des 40 bébés «décapités» dans le kibboutz de Kfar Aza, non confirmée, qui rappelle furieusement l’opération de relation publique sur les couveuses koweitiennes en 1990.

Au milieu du brouhaha, des contradictions flagrantes aussi. L’inénarrable Bernard-Henri Levy, qui affirme au micro de Darius Rochebin que les combattants du Hamas sont des «escadrons néonazis» … lui qui n’hésitait pas à s’afficher en Ukraine au côté d’éléments du bataillon Azov reconnus comme néonazis. Quand on lutte contre le néonazisme et le fascisme, il faut le condamner partout. A commencer au sein même du gouvernement de Tel Aviv, dont le suprémacisme religieux laisse songeur jusqu’aux Israéliens, qui manifestaient dans la rue depuis le début de l’année. Depuis fin 2022, en effet, plusieurs ministères sont aux mains de figures de l’extrême droite du pays. Des sionistes religieux qui n’ont eu de cesse d’encourager la colonisation en Cisjordanie, exacerbant les tensions.

Les pro-palestiniens, des «néonazis»?

En France, la droite, qui avait plus sagement que la gauche questionné les mesures liberticides de la crise Covid et mis en perspective de manière intelligente le traitement médiatique de la guerre en Ukraine, s’est ici rangée dans sa globalité derrière l’Etat d’Israël, laissant aux partis de gauche, NUPES en tête, le soin d’endosser une ligne plus critique. La situation est similaire en Suisse. Rien de très original. Simple retour à la normale dans les oppositions idéologiques entre les extrêmes de l’échiquier politique.

Signe du temps, cependant, ces postures sont poussées jusqu’à la caricature, comme lors de ce débat déplorable entre Michel Collon et le policier franco-israélien Bruno Attal sur la chaîne internet Les Incorrectibles, animée par Eric Morillot. Bruno Attal commence par traiter l’essayiste belge de nazi, argument ad hominem qu’il a utilisé tout au long de l’émission, sans doute par manque d’armes intellectuelles pour défendre son opinion autrement. C’est, en fait, l’antienne répétée ad nauseam: critiquer l’Etat d’Israël et le sionisme équivaudrait à être antisémite. Forfaiture intellectuelle qu’il est toujours surprenant d’entendre, tellement elle est grossière.

Comme dans chaque guerre, la seule posture sensée est de condamner tout massacre de populations civiles. Pour ce conflit, cela signifie condamner les massacres du Hamas (1'400 victimes) autant que la riposte de Tsahal, qui a déjà fait près de 7'000 morts dans la bande de Gaza selon l’ONU. Il faut, ensuite, comprendre les tenants et aboutissants du conflit, ses origines historiques, ses enjeux économiques et géopolitiques. A cette condition seulement une paix durable peut être négociée. Au lieu de cela, les puissances occidentales alimentent les tensions par leur alignement ouvert ou tacite envers l’Etat d’Israël. Pour quelles raisons? 

La déclaration Balfour

Pour éclairer cette question, il faut remonter aux origines de l’Etat d’Israël, c’est-à-dire à la Déclaration Balfour (1917), dont on sait aujourd’hui qu’elle a été inspirée par Alfred Milner, homme d'Etat particulièrement important en termes de politique étrangère britannique au début du XXème siècle. Dans un livre1 publié en 2017, l’historien italien Andrea Bosco retrace les origines de cette lettre ouverte soutenant la création d’un Etat juif en Palestine, ainsi que ses objectifs géostratégiques: fournir à la Grande-Bretagne un allié au Proche-Orient capable de contrecarrer l’influence de l’Allemagne, de la Russie de la France et de la Turquie (alors l’Empire Ottoman). Mais aussi de promouvoir l’économie de marché et l’adoption des standards culturels occidentaux dans le monde arabe. Un projet repris par les Etats-Unis et leurs alliés au sortir de la Seconde guerre mondiale, avec le soutien de la communauté sioniste expatriée. Toute l’histoire, extrêmement complexe, de l’Etat d’Israël et de ses relations avec ses voisins arabes, s’inscrit d’une manière ou d’une autre dans cette trame.

Sans la connaissance de tels faits historiques, impossible de comprendre les enjeux de cette guerre et encore moins d’imaginer la paix. Une perspective qui semble aujourd’hui bien lointaine, tant les rancœurs sont profondes et tenaces de part et d’autre (de manière parfois compréhensible). L’Europe (et la Suisse) pourrait au moins porter une voix de paix et de raison, notamment au sein de l’ONU. Mais elle préfère à nouveau s’aligner sur les intérêts supérieurs de l’Oncle américain.


1Andrea Bosco, The Round Table Movement and the Fall of the «second» British Empire (1909-1919), Cambridge Scholars Publishing, 2017.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

4 Commentaires

@Christophe Mottiez 27.10.2023 | 20h29

«très intéressant. merci.»


@Maryvon 28.10.2023 | 11h21

«Merci d'avoir rédigé cet article très intéressant. Je pense tout de même que les médias suisses sont plus objectifs que l'ensemble des médias français. J'ai écouté quelques instants ce matin les commentaires d'une chaîne d'informations française et j'ai été choquée qu'aucun intervenant n'ait même mentionné la dernière résolution de l'ONU lors de laquelle sauf erreur 150 pays ont demandé une trêve des bombardements israéliens sur Gaza, résolution d'ailleurs validée par leur Président, M. Macron. C'est tout de même incroyable que l'on ne puisse plus condamner les meurtres et prise d'otages du 7 octobre perpétués par le Hamas et dans le même temps condamner des frappes israéliennes qui à l'évidence tuent des milliers de civils à Gaza. Nous devons subir à longueur d'année les commentaires stériles de certains médias incapables de nuancer leurs propos et qui fonctionnent sur un mode binaire.»


@Elissa 07.11.2023 | 17h01

«Merci pour cet article qui mentionne les tabous que les médias imposent à coup de diffamation: qui est antisioniste est antisémite?! Alors être contre l'extrémisme musulman, c'est être islamophobe?! Ah non, pardon, ce dernier raccourci n'est pas dicté par les intérêts des États-Unis...
Ces raccourcis qui servent à censurer toute parole d'opposition et dispensent de trouver des arguments deviennent intolérables.
Merci de nous montrer qu'il reste des journalistes qui pensent.»


@felicitas 31.12.2023 | 16h28

«Je rejoins les 3 autres commentaires dans l'aprobation de votre article. Je trouve l'agression terroriste du Hamas strategiquement incompréhensible pour les intérets palestiniens. Mais je ne suis pas un extremiste religieux. J'ai lu l'analyse de THOMAS L. FRIEDMAN du 29.12.2023, dans le NYTimes, qui postulait que la violance du Hamas participait à justifier le maintien du pouvour par Netanyahu. Et réciproquement, la violence israelienne justifiait le despotisme du Hamas. De mon coté je me demande si le Hamas n'espérait pas l'ouverture d'un 2e front libanais. Avènement qui pourrait eventuellement s'ouvrir, si la guerre avec son lot insupportable de morts civiles devait continuer.
Andrei Cepleanu»