Culture / Jean-Louis Trintignant: talent et profondeur
La Cinémathèque suisse diffuse jusqu’au 2 juillet une sélection de trente films du grand acteur et comédien français disparu il y a une année. L’occasion de se pencher sur l’empreinte que sa présence a laissée sur les écrans. Et de redécouvrir les commentaires éclairants qu’il a formulés au sujet de son métier et de sa vie.
Sa carrière compte près de cent trente films. Il a joué également dans près d’une soixantaine d’œuvres de théâtre. Il a été coureur automobile et il s’est essayé à la réalisation. Par sa liberté de ton, sa franchise, son sens de la provocation mais aussi sa frappante délicatesse, Jean-Louis Trintignant apparaît comme un être attachant, mystérieux, aux multiples facettes. Il évoquait régulièrement ses sentiments. Sa personnalité véhiculait avec charme ses paradoxes et ses contradictions.
Une voix inimitable
Le magnifique timbre de sa voix – tellement reconnaissable – a notamment servi pour le disque du Petit Prince de Saint-Exupéry en 1972, la version française d’Ernesto Che Guevara: Journal de Bolivie du cinéaste suisse Richard Dindo en 1994 ou pour le récit du Ruban Blanc du réalisateur allemand Michael Haneke (Palme d’Or à Cannes en 2009). Au début des années 1980, Stanley Kubrick avait insisté pour utiliser sa voix pour doubler Jack Nicholson dans la version française de Shining.
Sa filmographie est riche et pléthorique au plein sens des termes. Jean-Louis Trintignant a joué dans des films de cinéastes majeurs de la Nouvelle Vague française (Chabrol, Rohmer, Truffaut), qui s’identifiaient à elle (Vadim) ou furent de près ou de loin inspirés par ce courant majeur du cinéma d’auteur (Deville, Robbe-Grillet, Techiné, etc). On peut le voir également dans des films importants non seulement de grands cinéastes italiens (Bertolucci, Comencini, Risi, Scola, Zurlini), mais aussi d’autres cinéastes français et européens connus ou reconnus internationalement (Audiard, Bilal, Chéreau, Clément, Gavras, Haneke, Lelouch, Kieslowski, Soutter, Tanner, etc). Les différents rôles qu’il a incarnés dessinent les contours du septième art de l’après-guerre en Europe, ceux du cinéma commercial comme du cinéma d’auteur. Ils reflètent ses motifs récurrents, son imaginaire et ses esthétiques.
Jean-Louis Trintignant observait avec lucidité le cours de sa carrière et de sa vie. Il a livré dans ses entretiens radiophoniques et télévisuels des clés subtiles de compréhension des diverses facettes des métiers de l’art dramatique. Les nombreuses épreuves ayant jalonné son existence – la mort de son frère et de ses deux filles dans des circonstances particulièrement tragiques – enrichirent positivement son répertoire et ses performances d’acteur. «Les êtres humains sont faits de leur bonheur et de leur drame, d’où leur profonde humanité», soulignait-il en commentant sa double vie, entrelacée, d’homme et de comédien.
Enfance et jeunesse
Jean-Louis Trintignant est né à Piolenc en 1930 dans une famille de notables du Vaucluse. Son père, un industriel, est maire de Pont-Esprit et Conseiller général du Gard entre 1944 et 1949. Engagé dans la Résistance, il rejoint un maquis de l’Ardèche avant d’être fait prisonnier par les Allemands. Il échappe de peu à la fusillade. Sa mère est tondue après la guerre pour avoir eu une liaison avec un Allemand. Dans un entretien pour l’émission «Presque rien sur presque tout» de la RTS donné en 2012, Jean-Louis évoque l’humiliation publique de sa mère baladée aux yeux de tous sur une carriole à travers le village. Cet épisode empoisonne la vie du couple de ses parents pour le restant de leurs jours: «Il n’y avait plus que de la haine entre eux jusqu’à la fin». Le père de Jean-Louis reprocha à son fils, pourtant très jeune au moment des faits, de ne pas avoir pu prévenir le comportement de sa mère pendant la guerre.
Le fracas de la grande Histoire, les déchirements et drames familiaux le prédestinaient-il à une vie artistique? «Une enfance conventionnelle et facile ne m’aurait en tous cas pas permis de devenir acteur», estimait-il.
Jean-Louis Trintignant étudia le droit à Aix-en-Provence avant de se frotter au jeu et à la mise en scène à Paris. A treize ans, il s’initie à la poésie par la lecture de Prévert. Il entend sa mère réciter des vers tragiques de Corneille et surtout Racine. Il en gardera un goût prononcé pour la poésie. Apollinaire, Baudelaire, Cendras, Cocteau, Desnos, Rimbaud, etc. La poésie lui permit de combiner deux inclinations en apparence contradictoires, l’introspection solitaire et recluse d’un côté, le dévoilement intime face au public de l’autre.
Découverte du théâtre
Jeune étudiant en droit à Aix-en-Provence, Trintignant est fasciné par l’interprétation d’Harpagon de L’Avare de Molière par le comédien et chef de troupe Charles Dullin. Il assiste également à une représentation de Jules César par Raymond Hermantier. Il en tire une fascination pour Shakespeare. Il décide de laisser tomber ses études, de suivre les cours des disciples de Charles Dullin qui vient de mourir et de Tania Balachova à Paris. «J’ai aussi eu le privilège d’assister à toutes les représentations du Théâtre national populaire de Jean Vilar. Quand on n’était pas en scène, on était dans les coulisses et on pouvait observer. J’ai ainsi énormément appris.»
«Beaucoup d’acteurs sont des gens timides. Le théâtre m’a arraché à ma mélancolie et à ma timidité». Et de faire ce constat paradoxal: «Le théâtre permet de sortir de sa timidité, d’enlever ses masques et de se trouver soi-même. Se montrer sur un plateau est une très bonne façon de se cacher pour toujours. Le fait d’avoir du culot et des certitudes n’est pas un atout pour un comédien. Cela donne un registre trop limité. En ce qui me concerne, j’ai tôt été conscient de posséder deux qualités indispensables pour ce métier: l’imagination et la sensibilité». Parallèlement à l’apprentissage du théâtre, Jean-Louis Trintignant suit des cours de cinéma à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC) dans l’espoir d’apprendre la réalisation. Au théâtre, ses professeurs sont sévères avec lui, mais leur attitude l’encourage justement à continuer. Très emprunté à ses débuts, tenu de se débarrasser de son accent méridional, il doit son succès à sa patience et à sa ténacité.
"L'Escapade", de Michel Soutter, 1974. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
Débuts au cinéma
«Si je n’avais pas été joli, je n’aurais pas fait de ciné», estime-t-il en esquissant un sourire. Son physique agréable de jeune premier est un atout important pour Et Dieu créa la femme, le film qui lui donna une visibilité à l’échelle internationale. Dans cet opus à scandale mythique de Roger Vadim sorti en 1956, Trintignant incarne le jeune mari éperdument amoureux de Juliette, une jeune femme à la beauté envoûtante qui ne pense qu’à aimer les hommes dans un village balnéaire de la communauté de Saint-Tropez attaché aux bonnes mœurs. «Roger Vadim voulait faire un film en couleurs. Et en engageant la star allemande Kurt Jurgens, il a pu effectivement se payer cette nouveauté. Le film véhiculait une image inédite de la femme: une femme qui allait se faire respecter. Mais ce n’était pas un grand film, ses vertus artistiques étaient mineures». Trintignant assiste cependant à la naissance du phénomène Bardot avec qui les médias lui prêtent une liaison. Il pose déjà alors un regard critique sur le phénomène de la starification. «Brigitte Bardot était littéralement harcelée par les journalistes. Cette notoriété était délétère et désagréable, surtout pour une personne secrète comme moi n’aimant pas faire de déclarations tapageuses.»
Films politiques
Ces débuts au cinéma sont interrompus par le service militaire. Trintignant parvient en se rendant malade à éviter d’être envoyé dans les Aurès en Algérie. Cependant, il est assigné à Trèves en Allemagne, puis à la caserne Dupleix à Paris. «J’ai voulu oublier cette période. A 26 ans, j’étais plus âgé et plus lucide que les autres. La torture était totalement banalisée. On me disait "Ah tu sais, le Français est cruel!" Ce fut pour moi une très mauvaise période. J’étais démoli. Je pensais ne pas avoir la force de redevenir comédien». L’expérience militaire le marqua profondément. Sympathisant de la gauche, elle l’incitera à accepter des rôles dans des films situés historiquement de manière explicite ou engagés politiquement: Le combat dans l’île d’Alain Cavalier (1962), Z de Costa-Gavras (1969), Le conformiste de Bernardo Bertolucci (1970), L’attentat d’Yves Boisset (1972), Paris brûle-t-il? de René Clément (1966), Le Train de Pierre Granier-Deferre (1973), L’argent des autres de Christian de Chalonge (1978), Under Fire de Roger Spottiswoode (1985) et Fiesta de Pierre Boutron (1995).
Trintignant revient toutefois au théâtre grâce à Maurice Jacquemont. Il travaille longuement avec le metteur en scène sur Hamlet de Shakespeare. La première version de la pièce est «raccourcie» d’une durée de 5h15 à une version de 3h30! Elle reçoit un très bon accueil au Grand Théâtre des Champs-Elysées de Paris. «On peut passer toute une vie avec Hamlet! C’est le plus beau rôle dont un acteur puisse rêver! On peut le relire indéfiniment. On en a jamais fini avec ses personnages!» L’occasion de réapparaître à l’écran lui est fournie par Roger Vadim et son adaptation sulfureuse des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos. Il y joue aux côtés des grands acteurs Gérard Philippe, Jeanne Moreau, Annette Vadim et Boris Vian. Ce film réalisera les plus importantes recettes du cinéma français pendant de longues années.
Cinéma italien
Trintignant connait rapidement le succès avec Le Fanfaron de Dino Risi, film culte de la comédie italienne des années 1960 avec Vittorio Gassman. Il inaugure avec cet opus une longue présence sur grand écran en Italie. Il y apparaît dans une vingtaine de films. «Je n’acceptais pas d’être un acteur sans voix et d’être doublé en dépit du fait que je ne parlais pas l’italien parfaitement. J’ai toujours joué des rôles d’Italiens, refusé de jouer seulement un étranger avec un accent.» Trintignant s'éprend du cinéma de la péninsule: «Il y avait quelque chose de très joyeux, de très gai, de très insouciant dans le cinéma italien de cette époque, qui était magnifique». Selon lui, les cinéastes italiens possédaient aussi presque instinctivement un très bon goût. «Ils étaient très portés vers les arts plastiques et la photographie. Ils étaient très intéressés par l’habillage et le maquillage, ce qui me plaisait».
Le jeune et séduisant Trintignant s’était fait repérer en 1959 des spectateurs d’Eté violent de Valerio Zurlini. Dans Le conformiste (1969) de Bertolucci, adapté du roman éponyme d’Alberto Moravia, il jouera l’un des plus grands rôles de sa très longue carrière. Il incarne le personnage complexe et ambigu de Clerici. Ce dernier est tourmenté par un sentiment de culpabilité et d'anormalité liés à des abus subis dans l’enfance. Il ressent la nécessité d'être conforme à ce que la société attend d'un homme de son époque et le besoin de se fondre dans la masse en adhérant au fascisme. Parallèlement, dans la vraie vie, Jean-Louis Trintignant devient ami du cinéaste Ettore Scola. Les deux sont contemporains. Il joue des petits rôles dans ses films. «J’ai joué notamment dans La Terrasse avec les quatre grands du cinéma italien, Ugo Tognazzi, Marcello Mastroianni, Serge Regianni et Vittorio Gassman». Dans ce film, quatre amis de longue date, proches des milieux de la gauche culturelle, se retrouvent à Rome pour une soirée-buffet sur la grande terrasse de l'un d'entre eux. L'enthousiasme de la jeunesse fait place pour eux à l'amertume et aux constats d'échecs, autant professionnels que sentimentaux. «Les personnages principaux de ce film incarnent une certaine décadence. Ce fut le film testament de la comédie italienne. C’était déplaisant d’être aussi lucide. Ettore Scola est un homme drôle, mais très lucide», souligne Trintignant.
Amis réalisateurs
Comment décidait-il d’accepter ou de refuser une proposition de tournage? «J’ai très souvent choisi en fonction du réalisateur. Le rôle m’importait peu.» Le courant de la Nouvelle Vague française y est peut-être pour quelque chose. Ses films se distinguent par les conditions inhabituelles dans lesquels ils sont tournés. Ses principaux réalisateurs ont fondé leur propre société pour s’émanciper des structures rigides de production qui avaient cours jusqu’alors dans l’Hexagone. Dans Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer, la morale du héros est éprouvée. Incarné par Trintignant, ce dernier examine si les promesses qu'elle contient sont valables, utiles ou hypocrites, dans la réalité. «J’ai adoré le scénario de Ma nuit chez Maud. Au début, j’ai décliné la proposition, mais comme le réalisateur Eric Rohmer et le producteur Barbet Schroeder insistaient, j’ai décidé de participer et de financer le film.»
Trintignant s’était déjà illustré dans Compartiments tueurs (1965), le premier film réunissant une pléiade d’amis du réalisateur franco-grec Costa-Gavras. Tout comme Yves Montand, Irène Papas et Jacques Perrin et également par affinité élective, il accepte d’incarner bénévolement le rôle du juge d’instruction dans Z de Costa-Gavras (1968). «Egalement producteur, Jacques Perrin a obtenu que le film soit tourné en Algérie. Nous n’étions pas payés». Jean-Louis Trintignant aime travailler avec certains cinéastes non-conventionnels. Il affectionne la sensibilité qui émane du nouveau cinéma suisse, le vent discret de contestation qui souffle dans ses films. On peut le voir ainsi à l’écran dans trois films des réalisateurs genevois Michel Soutter (L’escapade (1974) et Repérages (1977)) et Alain Tanner (La vallée fantôme (1987)). Il partage avec ces cinéastes un même humour, fait vœu avec eux d’une même liberté et inventivité. Il communique son enthousiasme dans le cadre de l’émission Spécial Cinéma de la Radio-télévision suisse à Genève en 1977: «Les cinéastes suisses sont privilégiés. A Genève, vous avez la chance d’avoir un groupe de producteurs qui vous soutiennent pour faire ce que vous voulez. J’aime travailler avec vous!»
"La Vallée fantôme", Alain Tanner, 1987. © Collection Cinémathèque suisse. DR.
Des rôles très variés
Z de Costa-Gavras dénonçait la dictature des colonels instaurée en Grèce à la fin des années 1960. Avec ce rôle, Trintignant obtient le prix d’interprétation au Festival de Cannes en 1969. A l’instar de celui de Z, le personnage qu’il incarne dans Ma Nuit chez Maud est habité par le doute. Cependant, Jean-Louis Trintignant brille également lorsqu’il se glisse dans la peau de personnages plus décidés et volontaires, mus par le goût de l’action, le désir sexuel ou par le sentiment amoureux. En témoignent Un homme et une femme de Claude Lelouch (Palme d’Or à Cannes en 1966 avec Anouk Aimée), Mon amour, mon amour de Nadine Trintignant (1967), L’homme qui ment d’Alain Robbe-Grillet (Ours d’argent au Festival du film de Berlin en 1968), Le train de Pierre Granier-Deferre (sorti en 1973 avec Romy Schneider), Je vous aime de Claude Berri (1980, avec Catherine Deneuve, Gérard Depardieu, Alain Souchon, Serge Gainsbourg), Le mouton enragé (diffusé en 1984 avec Romy Schneider et Jane Birkin) et Rendez-vous d'André Techiné (1985 avec Juliette Binoche).
Intransigeance artistique
Sa compagne à la ville, Nadine Marquand-Trintignant, est une femme à poigne. Elle-même réalisatrice, elle souhaite que son compagnon fasse du cinéma. Elle l’encourage beaucoup. Une tragédie frappe le couple. Leur première fille Pauline qui vient à peine de naître meurt subitement en 1970 à l’âge de dix mois. «J’ai eu ma part de malheur. Ce fut une période douloureuse de ma vie. Pauline est morte d’une asphyxie du nourrisson pendant le tournage du film alors qu’elle était avec nous à Rome. Je l’ai trouvée morte dans mon lit d’hôtel. J’ai décidé de continuer à tourner Le Conformiste quand bien même j’étais dévasté intérieurement. Si on accepte d’être acteur, de jouer la comédie, il faut aller jusqu’au bout. Tous les grands metteurs en scène sont très durs. Bernardo Bertolucci, c’est évident, en a profité. Mon personnage a dans Le Conformiste une sensibilité écorchée. Cette interprétation est peut-être ce que j’ai fait de mieux, de plus fort, de toute ma carrière.» Un an après le drame, Nadine décide d’écrire et de réaliser le film Ça n’arrive qu’aux autres. Pour ce récit directement inspiré du drame que le couple vient de vivre, elle sollicite Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni.
Il se plaît à explorer les interstices de la fiction et de la réalité. Dans Flic Story de Jacques Deray (1975), Jean-Louis Trintignant incarne un tueur en série. Il commente ainsi les exigences du rôle: «On ne peut pas être un personnage auquel tout nous oppose naturellement. Il faut faire un effort. Pendant le film, je suis devenu antipathique. Je me suis enfermé dans un hôtel pour épargner cela à mes proches. Cela m’est arrivé pour d’autres rôles. Je donne d’ailleurs souvent ce conseil aux comédiens: s’isoler pour entrer dans la peau de leur personnage». A la fin des années 1980 et durant les années 1990, Trintignant incarne des rôles plus énigmatiques. Il joue des personnages souvent misanthropes, cyniques ou enfermés dans leur solitude: Rendez-vous d’André Techiné (1985), La vallée fantôme d’Alain Tanner (1987), Trois couleurs: Rouge de Krzystof Kieslowski (1994), Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard (1994), Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau (1997).
Eclectisme, autonomie et goût du risque
Jean-Louis Trintignant s’essaie à la réalisation une première fois avec la comédie d’humour noir Une journée bien remplie, puis une deuxième fois avec Le Maître-Nageur, un récit empreint de la même tonalité sardonique que le précédent. Il décide de ne pas poursuivre dans cette voie. S’il le regrette, il observe manquer de certitudes et des compétences de leadership nécessaires pour exercer le métier de réalisateur. Malgré quelques apparitions dans des films tournés outre-Atlantique (Un homme est mort de Jacques Deray (1972) et Under Fire de Roger Spottiswoode (1985)), le cinéma américain ne le fait pas rêver. Il décline les invitations à incarner les personnages de Lacombe dans Rencontres du troisième type de Steven Spielberg et d'un journaliste dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola. Ces rôles sont respectivement repris par François Truffaut et Dennis Hopper. Cependant, il parvient à exaucer un souhait qu’il nourrit de longue date, celui de collaborer avec le père de la Nouvelle Vague en apparaissant aux côtés de Fanny Ardant dans Vivement Dimanche le dernier film de François Truffaut (1983).
Jean-Louis Trintignant aime l’inattendu. Il a le goût du risque. Il s'intéresse à la compétition automobile et devient pour un temps pilote automobile professionnel. Il participe à plusieurs rallyes, notamment à celui de Monte-Carlo à six reprises et les 24 heures du Mans en 1980. Il termine deuxième aux 24 heures de Spa en 1982 avec ses coéquipiers Jean-Pierre Jarier et Thierry Tassin.
En 1996, à l’instar de son oncle Maurice Trintignant (1917-2015) retiré de la course automobile dans son domaine viticole de Vergèze dans le Gard, il se lance dans une nouvelle aventure en achetant cinq hectares de vignes dans les côtes du Rhône avec un couple d’amis.
Surmonter l’horreur, vivre et jouer malgré le deuil
Marie Trintignant a débuté sa carrière d'actrice en 1966, à l'âge de quatre ans, dans Mon amour, mon amour de sa mère Nadine, aux côtés de son père Jean-Louis. Puis, elle enchaîne d'autres films avec sa mère, ensuite sous l’égide de son père adoptif le cinéaste Alain Corneau et d’autres réalisateurs. Active au théâtre, elle est nominée cinq fois aux César. Pendant quatre ans, de 1999 à 2003, Jean-Louis et Marie Trintignant jouent sur scène Lettre d’amour du poète Guillaume Apollinaire à sa bien aimée Lou mise en scène par Samuel Benchétrit. Trois ans plus tard, en 2002, Marie Trintignant est assassinée par son compagnon le chanteur Bertrand Cantat à Vilnius où elle tourne le téléfilm Colette, une femme libre, suite à une dispute au sujet d'un message envoyé par son mari Samuel Benchétrit dont elle est séparée.
La mort de Marie plonge son père dans une stupeur et un désarroi total. «Cela m’a complètement détruit. Je n’arrive pas à m’en remettre. Marie est la personne que j’aime le plus au monde. Elle était très maternelle avec moi. Elle a établi cette relation avec moi sachant que cela me plaisait. J’ai pensé au suicide. J’ai appris à vivre sans consolation».
En 2005, en hommage à sa fille tuée, Jean-Louis Trintignant lit la pièce d’Apollinaire, crée avec elle, au Festival d’Avignon. «Les mots ne m’ont pas guéri, mais ils m’ont nourri. J’ai réalisé que je pouvais vivre encore, partager des choses en redevenant comédien». Au cours de la même année, il joue avec Roger Dumas dans la pièce Moins 2, écrite et mise en scène par Samuel Benchetrit au Théâtre Hébertot. Au côté de Daniel Mille à l’accordéon et de Grégoire Korniluk au violoncelle et après l’avoir présenté en province en 2011, il joue au théâtre de l’Odéon de Paris son spectacle «Trois poètes libertaires: Boris Vian, Jacques Prévert et Robert Desnos». Ce spectacle tourne dans d’autres villes en 2012 et 2013.
Après quatorze années loin des caméras, Jean-Louis Trintignant accepte de revenir au cinéma dans Amour de Michael Haneke. Son interprétation magistrale d’un mari aimant au chevet de son épouse qui perd la mémoire est saluée unanimement par la critique. Ce drame familial et universel au sujet de la maladie, la vieillesse et de la mort est récompensé par la Palme d’or au 65ème Festival de Cannes, le César du meilleur film et l’Oscar du meilleur film étranger.
En dépit de ses succès, Jean-Louis Trintignant est conscient de devoir affronter une double épreuve, la mort atroce de sa fille et celle sa propre vieillesse. «On nous avait pas prévenus que la vieillesse n’est pas une continuité! C’est une situation qui est très déplaisante. Il faut essayer de vivre le naufrage de la vieillesse le mieux possible». L’acteur pose sur sa vie un regard rétrospectif: «J’ai eu une adolescence très difficile. J’ai vécu l’âge adulte comme une renaissance. Le théâtre m’a arraché à la mélancolie. Et les femmes – l’amour – aussi.» Son art a été enrichi par ses expériences de vie, y compris celles les plus terriblement douloureuses et dramatiques. Cependant, il confesse le plaisir intense qu’il éprouve à remonter sur les planches. «Porter un masque tout en étant au plus proche de qui on est: c’est ce à quoi l’on peut aspirer une fois l’âge venu». «Ce que je préfère au théâtre, c’est le temps pour l’improbable et la place pour l’improvisation. J’aime l’expérimentation de jeu possible au théâtre. J’aime l’action sur le moment présent. J’aime l’instantanéité, le hasard, le jeu, le risque. La noblesse de l’art du théâtre, c’est qu’on ne peut pas s’installer dans une routine. J’aime la liberté que la poésie nous procure. La poésie nous dépasse, elle réussit à enthousiasmer. J’ai cherché et je cherche un théâtre pur, un jeu sincère qui puisse susciter l’émotion.»
Jean-Louis Trintignant est mort le 17 juin 2022, à Collias dans le Gard, «entouré de ses proches», selon son épouse Marianne Hoepfner Trintignant, à l’âge de 91 ans. Il a consacré sa vie à faire rayonner les arts du théâtre et du cinéma, à partager avec beaucoup de justesse, de sincérité et de générosité ses émotions et les réflexions que nourrissaient sa personnalité hors du commun.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
0 Commentaire