Actuel / Terre-Neuve et Alaska: mêmes espoirs, mêmes combats
Terre-Neuve est au Canada ce que l’Alaska est aux Etats-Unis: une province en jachère, peu peuplée, située aux confins du pays mais riche de pétrole et de beautés naturelles. La comparaison ne s’arrête pas là: toutes deux sont habitées par des nations premières qui n’entendent pas se laisser dépouiller de leurs richesses en silence tandis qu’elles se retrouvent courtisées depuis la brusque remontée des prix de l’énergie.
Début mars, contredisant ses engagements climatiques et environnementaux, l’administration Biden a approuvé le mégaprojet d’extraction pétrolière Willow, de ConocoPhillips, destiné à relancer la production de pétrole déclinante de l’Alaska. Il est vrai – cela ne s’invente pas – que les nouveaux puits se trouvent dans une zone naturelle protégée baptisée «National Petroleum Reserve». La presse européenne n’y a rien trouvé à redire.
Au même moment, devant les Nations Unies à Genève, la Coalition des Peuples et des Nations Indigènes d’Alaska et de Hawaï revendiquait le respect des droits tribaux sur ces terres et réclamait la décolonisation immédiate et l’indépendance du territoire. Dans le silence absolu des médias occidentaux, trop occupés à regarder ailleurs.
A Terre-Neuve et Labrador, un demi-million d’habitants pour un territoire équivalant à dix fois la Suisse, la situation est très similaire. Après l’interdiction de la pêche à la morue, l’île a essayé de se reconvertir dans le tourisme – des parcs naturels et une station de ski, Marble Mountain – et la pâte à papier mais avec un succès relatif. Ici aussi les autorités comptent sur le pétrole offshore «vert» pour sortir l’économie du marasme et éviter la dépopulation. Les Norvégiens d’Equinor sont à la manœuvre et ont obtenu, en avril dernier, l’autorisation de forer et d’exploiter 300 millions de barils au mépris des émissions de gaz à effet de serre estimés à 116 millions de tonnes.
Ces belles perspectives n’ont pas échappé au chancelier Scholz. En août dernier, le chancelier allemand a signé un deal avec le gouvernement canadien pour importer de l’hydrogène vert de Terre-Neuve. Hydrogène qui serait produit à partir de milliers d’éoliennes construites au milieu d’une nature terrestre et marine encore préservée…
Ici encore les nations indigènes sont plus que perplexes. Terre-Neuve est la terre des Indiens Mi’kMaks, qui ont donné malgré eux un mot célèbre à la langue française, et qui ne sont pas prêts non plus à se laisser spolier sans mot dire. Les tribus indigènes canadiennes, qui ont longtemps été mises au ban et condamnées, par la violence et les châtiments, à s’assimiler dans les internats catholiques, commencent à se faire entendre. Le gouvernement Trudeau, qui se dit soucieux des minorités, est attendu au virage, de même que Scholz, qui a promis que les communautés indigènes seraient consultées.
De ce point de vue, les espoirs et les combats menés par les Alaskans et les Terre-Neuviens pour protéger leurs droits sont emblématiques des nouveaux acteurs qui déboulent sur le marché des industries d’extraction. Des Sami scandinaves qui protestent contre les lignes à haute tension aux Indiens d’Amazonie qui ont été au cœur des dernières élections brésiliennes, en passant par les Lakotas du Dakota qui se sont battus contre un oléoduc particulièrement destructeur, il apparaît que les financiers de Wall Street et les traders de Zoug et Genève doivent désormais compter non seulement avec les écologistes des grandes ONG internationales mais aussi sur les petites tribus méprisées des peuples premiers.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@stef 19.05.2023 | 17h38
«Merci pour cet éclairage hallucinant, alors qu'on presse la population à faire attention à l'empreinte carbone !»