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Culture / «Que les lecteurs se laissent porter par l’esprit d’aventure de Matteo Ricci». Rencontre avec le bédéiste Martin Jamar


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C’était le jour des premières neiges sur la Suisse. Martin Jamar a bien failli ne pas arriver à bon port depuis la Belgique. Encore presque essoufflé, il fut bien à l’heure à Fribourg pour notre rencontre. J’ai eu la chance de m’entretenir avec le bédéiste de renom sur son dernier album «Matteo Ricci dans la Cité interdite», sorti en septembre dernier. C’est le troisième album à caractère religieux, après une œuvre aussi riche que diverse dans ses thèmes. Nous remercions la librairie St-Augustin de Fribourg qui a invité l’artiste et permis l’interview.



Bon Pour La Tête: Qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer dans les BD à caractère religieux?

Martin Jamar: Vous faites bien de dire «à caractère religieux» car il ne s’agit pas BD religieuses, mais simplement de trois albums qui parlent de personnages religieux, de figures chrétiennes plus précisément. Avec mon ami, le scénariste Jean Dufaux, nous ne voulions pas réaliser des BD hagiographiques, mais bien parler de ces trois personnages à travers notre art.

Mais pourquoi parler de ces trois grands noms de l’Eglise, à savoir saint Vincent de Paul, saint Charles de Foucauld et Matteo Ricci?

A un certain moment de sa vie, Dufaux en a ressenti le besoin. Celui-ci a écrit près de trois cent scénarios sans jamais aborder de sujets religieux. Un jour, nous marchions ensemble pour nous rendre au restaurant où nous avons l’habitude de travailler, et il me demande «Est-ce que tu es croyant?» Très surpris de la question, je lui ai expliqué que j’avais grandi dans une famille catholique pratiquante, mais qu’avec le temps je me suis éloigné de la pratique, sans pour autant renier les valeurs chrétiennes. Je suis croyant à ma façon. A ma réponse, Dufaux et moi avons compris que nous voulions écrire et dessiner sur des personnages inspirants de l’Eglise. Ce fut un appel pour Dufaux, et moi je l’ai suivi dans cet appel.

Et pourquoi ces trois personnages?

Pour les saints Vincent et Charles, Dufaux les affectionnait particulièrement alors nous nous sommes lancés. Quant à Matteo Ricci, ni moi ni lui ne le connaissions. Parler de ce jésuite qui vécut au XVIème siècle nous a été suggéré par des analystes et amateurs de BD proches des jésuites.

Vous, personnellement, quels liens avez-vous tissés avec l’histoire de ces trois personnages?

En travaillant sur saint Vincent de Paul, c’est sa vie vouée aux pauvres qui m’a touché. Je l’ai vu comme un abbé Pierre  du XVIIème siècle. En deux ans de travail sur lui, je peux dire que je m’y suis profondément attaché. Quand à Charles de Foucauld, ce fut moins marquant. Certes, beaucoup d’admiration pour son parcours, parce qu’il a tout quitté pour partir dans le désert et vivre dans la pauvreté, au milieu des Touaregs. Mais je ne peux pas dire que j’ai eu pour lui le même attachement que pour Vincent. Quant à Matteo Ricci, je crois que ce qui m’a plu chez lui, c’est comme pour Charles: son insertion dans une autre culture, avec un esprit de tolérance. Certes Matteo avait pour but la conversion de l’empereur de Chine et par là des Chinois, mais toujours en se servant et en valorisant la culture chinoise dans sa langue, sa science, ses coutumes et sa spiritualité.

Matteo Ricci dans la Cité interdite est plein d’action et d’aventure. Est-ce pour vous un moteur dans votre travail?

Oui, absolument. Cela ne nous intéressait pas forcément de dresser une biographie de Matteo Ricci. Nous voulions par l’aventure et une part de fiction inviter un plus large public à s’intéresser à ce personnage, et pas seulement des catholiques. Avec l’aventure, le lecteur participe à une histoire et a envie de tourner les pages. Pour moi aussi, c’est plus stimulant de dessiner en travaillant sur des scènes plus mouvementées, avec du suspense dans les décors de la Cité interdite. Je me suis beaucoup amusé avec Matteo Ricci

Vous vous êtes amusé et, très concrètement, comment le bédéiste que vous êtes a travaillé à cet ouvrage?

Je rencontre le scénariste Dufaux au restaurant pour les mises en commun et la convivialité (rires), mais moi je dessine seul dans mon atelier à la maison. Dufaux commence par travailler de son côté au scénario à partir de ses lectures et ses recherches. Il me présente ce scénario, découpé case par case, auquel je peux donner mon avis, et après seulement je commence à travailler sur mes dessins dans les cases. Au fur et à mesure que je crayonne mes planches, je les lui montre et il me donne aussi son avis. Une fois que nous sommes d’accord sur le crayonnage, je passe à l’encrage et la mise en couleur.

Au niveau des couleurs, vous avez choisi le bleu comme «fil rouge» à travers les planches. Travaillez-vous d’une façon particulière avec cette couleur?

Oui, le bleu est très présent dans cette BD. Mais ce n’est pas toujours le cas. Je dirais que c’est le sujet et l’ambiance que je dessine qui appellent telle ou telle couleur. Pour Matteo Ricci, j’ai été amené au bleu en premier lieu par une gravure fameuse du personnage où sa tunique chinoise est bleue. Au fond, je peux dire que je cherche l’harmonie par la couleur dominante. Chaque album a sa couleur. Pour Foucauld, on est dans le désert, ce sont alors davantage des jaunes et des ocres qui dominent.

Vous avez fréquenté Matteo Ricci pendant deux années de dessin. Quel est, selon vous, le message de Matteo Ricci pour le monde d’aujourd’hui?

Ce que je retiendrais surtout de lui c’est qu’il ne faut pas avoir peur d’aller vers l’autre. Il lui a fallu quand même un sacré courage pour quitter son Europe natale et passer le restant de ses jours à l’autre bout du monde, dans une culture tout autre, sans savoir si et comment sa mission d’évangélisation aboutirait. Le message que nous laisse donc ce personnage c’est le courage de découvrir l’étranger, et de proposer sans imposer. Son but est la conversion des Chinois, mais une conversion par l’adhésion libre du cœur, et non par la force ou par la peur. Je crois que c’est une pensée très forte pour aujourd’hui.

Et vous, quel message adressez-vous à tous les lecteurs qui découvriront cet album après l’avoir reçu à Noël?

Eh bien simplement: bonne lecture et joyeux Noël! Plus sérieusement, je veux les inviter à la curiosité, à l’ouverture d’esprit pour partager un bout de chemin avec Matteo Ricci. Qu’ils se laissent aussi porter par l’esprit d’aventure, l’intelligence et le courage du personnage.


«Matteo Ricci - Dans la Cité interdite», Martin Jamar (illustration), Jean Dufaux (auteur), Editions Dargaud, 56 pages.

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