Chronique / Délices d'été: les plaisirs du lac
L’été est là, avec ses chaleurs, ses émois et ses folies. A travers six épisodes, partez à l’aventure dans les délices de l’été. Des amours en passant par la gastronomie jusqu’à la baignade et aux apéros, vivez un été aussi sensuel que littéraire avec Bon Pour La Tête. Episode 2: les plaisirs du lac.
Il y a des joies propres à la baignade. Plonger, et sentir tout son corps dans l’eau. Quel que soit le cadre, dans quelque destination que ce soit, je me retrouve dans une autre dimension lorsque je me baigne. Je nage, et tout mon corps se retrouve en apesanteur. Tous les mouvements sont plus lents, plus apaisés.
Je danse dans l’eau. Je me tourne et me retourne. Je ris d’une indicible joie. Et puis je plonge à nouveau la tête sous l’eau. Mes cheveux volent: je les touche, il sont tout doux. Je passe ma main sur tout mon corps. Je touche mes joues, mon ventre et même mes pieds: je me sens transformé.
Je regarde mes mains: j’ouvre et ferme mes doigts. Je me tire vers le fond, et ces mêmes mains redécouvrent la sensation agréable et étrange de tâter le sable moelleux et visqueux au fond de l’eau. J’aime attraper des poignées de ce sable et m’en frotter les mains.
Mais il déjà temps de ressortir la tête de l’eau. Alors je nage, les yeux bridés, parce que mon front dégouline et parce que je suis face au soleil puissant. Il me regarde, je lui souris. Je nage encore et me repose, me laissant flotter sur le dos. Plus rien n’existe autour moi. Je suis porté, je m’abandonne. Tous les soucis coulent et se défont de moi.
Il y a les plaisirs de l’eau, qui ne vont pas sans les plaisirs de la plage. Quel exercice jouissif que de revenir tout mouillé sur le sable, et se rouler dedans – si vous n’avez jamais osé le faire, allez-y, cela en vaut la peine malgré le ridicule dont vous vous couvrirez, et expérience faite, le ridicule ne tue pas. Comme une escalope à la milanaise, mon corps est panné de sable. Je me roule et roule encore, et la chaleur du sable fin s’unit à ma peau.
Puisque les meilleures plaisanteries sont les plus courtes, je ne tarde pas à me rincer dans l’eau pour retourner m’asseoir sur ma serviette colorée et me laisser bronzer, plus ou moins passif, comme «les gens normaux» qui vont à la plage. Je déguste une pêche bien fraîche, je la suce et la lèche, que c’est bon… Connotations érotiques mises à part, ce n’est vraiment pas la même chose de manger un fruit sur la plage qu’à la maison. C’est étrangement mais vraiment plus savoureux.
Je regarde autour de moi, contemple la poésie des remous qui vont et qui viennent sur le sable, leur laissant d’éphémères mots d’amours en écume. C’est émouvant. Mais ce qui me touche encore plus, ce qui me ravit le cœur à pleurer, c’est de voir les familles. Même les plus malheureuses d’entre elles y paraissent heureuses. Comme si l’eau, le soleil et le sable se livraient ensemble à la guérison de l’âme des plus tristes.
Ce qui porte pleinement la joie de ces familles, ce sont les enfants. Ils goûtent spécialement à la plage une béatitude éternelle. Ils courent, certains encore en couches, et rient sous leurs casquettes. Ils me ramènent à ma propre enfance, où aller au lac ou à la mer rimait avec gloire. La gloire des enfants qui se sentent invincibles, parce que les cris des parents, les angoisses et les cauchemars n’existent plus à ce moment-là. La gloire des enfants qui découvrent leurs premières nostalgies. Je me vois encore, enfant, face à la mer, me demander comment tant de beauté est possible.
Je vois les enfants, allant et revenant sur la pointe des pieds sur la sable mouillé. Je les vois dans l’eau avec leurs manchons aux bras potelés, clignant des yeux, riant en risquant de boire la tasse. Je les vois taper des mains sur la surface de l’eau, et ça gicle et c’est drôle.
Mais dans ces plaisirs de la baignade, il y en a qui sont encore tout particuliers à la baignade au lac. L’eau y est fraîche, elle est généralement calme. Le charme du cadre change tout: au lac, on peut être entouré tant d’une forêt que des montagnes, et le regard divague.
Un seul pied mouillé et l’appel d’une sirène m’empêche de revenir en arrière. J’entre dans le lac et chaque membre, des pieds aux genoux, des genoux aux parties intimes, des parties intimes au torse, retrouve la vigueur et la fermeté. Je suis revitalisé et je respire plus profondément, plus librement. J’épouse la fraîcheur vierge de l’eau et lui promets fidélité. Je me fonds en elle, et je me sens vivre.
Plus encore, les plaisirs du lac me donnent envie de vivre. C’est bizarre de le dire ainsi, mais c’est tout ce que je peux exprimer. Je me sens vivre, et j’ai envie de vivre. J’ai envie d’être heureux. Et je veux que toute mon existence s’inspire de ce moment dans l’eau du lac. Je veux réussir, je veux jouir, je veux sentir mon corps, sentir les muscles de la natation, je veux m’y sentir bien.
Je sors de l’eau, et je garde avec moi la fraîcheur du lac, je garde l’espérance qu’elle me donne. Je garde sa vérité et sa force, je garde en moi le lac, mais sa sirène me rappelle aussitôt. Elle veut me voir, elle veut que j’entre en son empire, que j’entre en elle. J’ai pactisé avec elle. Elle me veut. Je la veux. C’est inscrit en nos corps.
Ce sont mes plaisirs du lac. Ceux que j’ai vécus et qui sont encore à vivre, pour cet été en tout cas.
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