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Culture / Le cochon gratté n’est plus question de carnation


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Après plusieurs ouvrages très remarqués qui lui ont valu en 2017 le Grand Prix Littéraire National du Tchad, l’auteur vaudois d’origine tchadienne Nétonon Noël Ndjékéry nous offre un roman ambitieux sur une calamité qui a décimé l’Afrique noire durant quatre siècles, à savoir l’esclavagisme.



Ce roman paru aux éditions Hélice Hélas en janvier dernier sous le titre Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis retrace plus de cent ans d’histoire à travers trois personnages principaux et leurs descendants. Tous les notables événements historiques du siècle relaté y sont donc évoqués, mais à travers le regard, les termes et la compréhension de narrateurs qui vivent complètement en dehors de l’actualité. Les avions à hélice émettent ainsi un bruit assimilé au ronronnement d’un monstrueux matou en chaleur et, plus tard, les avions à réaction sont décrits comme des oiseaux qui crachent du feu par l’anus. 

L’écrivain et mathématicien Nétonon Noël Ndjékéry enrichit encore de tout un éventail de métaphores de son cru le français déjà très imagé de sa culture mère. A côté de la richesse du vocabulaire, c’est la pertinence et la poésie de ces incessantes comparaisons avec les éléments de la nature qui frappe le lecteur occidental. La structure narrative ne cesse de se ramifier en un foisonnement de digressions, de légendes et d’histoires secondaires.

Le récit commence au début du XXème siècle. Alors que la traite négrière bat son plein, le très jeune Zeïtoun est capturé par des chasseurs d’esclaves lors d’une rafle. Par un extraordinaire concours de circonstances, il survit aux sévices qu’on lui inflige et réussit finalement à s’échapper. Tombé d’inanition en plein désert, il est récupéré par deux autres esclaves en cavale, l’eunuque Tomasta et Yasmina, la favorite du harem.  

Le trio finira par gagner une île mouvante au milieu du lac Tchad et y fonder une communauté qui vivra en autarcie pendant plusieurs décennies. Ils recueilleront d’autres fugitifs et mettront les envahisseurs en déroute en exploitant leur superstition. En tant qu’aîné, Tomasta est tout naturellement érigé au rang de chef.

Dans ces tribus africaines, la sagesse se transmet de père en fils et s’enracine dans les images de la nature. Celle dont Tomasta est issu a la scolopendre pour totem et s’inspire de l’aisance avec laquelle le myriapode synchronise les mouvements de ses très nombreuses pattes: «Si une communauté quelconque arrive à coordonner le travail de ses enfants comme la scolopendre synchronise les mouvements de ses pattes, elle les conduira à réaliser de grandes choses.» Réalisant que c’est le savoir accumulé dans les livres qui a permis aux Blancs de coordonner leurs connaissances pour réaliser des prouesses technologiques et asservir le reste de l’humanité, Tomasta n’aura de cesse de s’instruire et de diffuser son érudition au sein de sa communauté.

Les habitants vivront heureux tant qu’ils resteront coupés du monde. Le malheur les rattrapera dès l’instant où l’un d’eux voudra savoir ce qu’il se passe sur le continent. Est-ce sa curiosité qui ouvre la boîte de Pandore ou le progrès ramené sous la forme d’un bateau à moteur? Toujours est-il que cet événement marquera le début d’une série de fléaux qui atteindront leur point culminant au moment où l’île nomade s’amarrera brutalement au continent après des décennies de dérive.

Deux demi-phrases rythment les 350 pages de ce livre et finissent par s’assembler en un mantra: Comme la vie serait si belle… sans les cochons grattés. L’explication est livrée à la page 323:

«Des trafiquants arabo-musulmans ont été les précurseurs dans la pratique à grande échelle de l’esclavage des Subsahariens. A ce titre, ces Blancs orientaux ont aussi été les premiers à avoir été traités de "cochons grattés" par les Noirs qu’ils chassaient et asservissaient. En dépassant plus tard les Orientaux dans le commerce des têtes crépues, les Occidentaux ont récupéré à leurs dépens l’insulte "cochon gratté" comme l’exacte riposte au terme stigmatisant de "Nègre". Mais au fil des siècles, les deux expressions ont quelque peu évolué. Aujourd’hui, on peut trouver des "cochons grattés" noirs de chez les Noirs et, à l’inverse, des "Nègres" blancs de chez les Blancs. Ni l’oppresseur ni l’opprimé n’ont désormais de couleur assignée. C’est selon qu’il inflige ou subisse la souffrance que l’individu peut être qualifié de "cochon gratté" ou de "Nègre".»


«Il n’y a pas d’arc-en-ciel au paradis», Nétonon Noël Ndjékéry, Editions Hélice Hélas, 350 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Chan clear 18.03.2022 | 09h33

«sympa votre article!, envie de lire, je confirme l’expression . Cochon gratté ou «  Gadrou » en Centre Afrique, mon compagnon et moi-mêmes connaissons bien cette expression, c’est comme ça que les « blancs » étaient appelés ou les «  bundju car nous disons toujours: Bonjour ! Souvenirs de Centre-Afrique, Niger, Mali, , Cameroun, etc…»