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Dans son premier roman, «Quand papa est tombé malade», la jeune autrice Marilou Rytz, fraichement diplômée de l’Institut littéraire de Bienne, se glisse dans la peau d'une adolescente dont le père a été incarcéré pour trafic de drogues. Les parents décident de ne rien dire au petit frère de la narratrice. Peu à peu, celle-ci en vient à questionner la pertinence de ce choix et à observer des signes de mal-être de plus en plus évidents chez celui qu’elle surnomme tendrement le puceron. Entretien.



Sabine Dormond: Vous avez fait votre cursus à l'institut littéraire de Bienne. Qu’en avez-vous retenu que vous avez pu mettre en pratique dans ce roman?

Marilou Rytz: Ce roman était mon travail de Bachelor et ce que l’institut m’a offert avant tout, c’est du temps. Mais il est évident que ça a aussi été un accélérateur de bénéficier des conseils de tous ces auteurs, par exemple Joseph Incardona qui soulignait tous les mots inutiles. Une fois qu’il les avait repérés, ça me paraissait évident. Ou Michel Layat m’a inculqué une certaine rigueur et aidée à avancer dans l’écriture à trois voix avant que j’en vienne à ramener ce roman initialement choral à un seul point de vue narratif.

Avant de vous lancer dans un roman, vous avez écrit plusieurs nouvelles et du théâtre. Quels sont les défis propres à chacun de ces genres littéraires?

Cette histoire a elle-même été testée d’abord sous forme de micro-pièce de théâtre, puis de récit à quatre voix. Il m’est finalement apparu que les autres personnages étaient plus intéressants en creux. Parce que c’est clairement autour d’un personnage que je construis ma narration pour un roman: en l’occurrence autour de Noah, dit le puceron, avec la problématique du mensonge et de la prison. La nouvelle en revanche s’articule plutôt autour d’une thématique, parce qu’on a moins de temps pour développer les personnages. Il faut les rendre très clairs en peu de lignes.

Qu’est-ce qui vous a inspiré l’envie de parler de la situation des proches de délinquants?

Une émission à la radio où Viviane Schekter de la fondation REPR (Relai Enfant Parents Romands) parlait des familles de détenus. La prison m’intéresse depuis longtemps, mais je n’avais jamais pensé à ce que la détention pouvait impliquer pour les familles. J’ai ensuite été bénévole pour Repère pendant des années au Bois-Mermet. Mon rôle consistait à me tenir à disposition des visiteurs pour des renseignements concrets, une écoute, à leur proposer des ateliers qui sortaient du cadre habituel et permettaient aux parents détenus d’avoir un rendez-vous de plus avec leur enfant. 

Ce doit être particulièrement déstabilisant quand un parent, censé inculquer le respect de la loi et mettre en garde contre les risques liés à la toxicomanie, bascule dans la délinquance et en particulier dans le trafic de drogue?

Je tenais à montrer l’évolution d’Oriane qui commence par soutenir son père, puis prend conscience de la gravité de ses actes et s’octroie le droit de porter un jugement sur lui, parce qu’il ne tient plus son rôle de garant du cadre. Elle découvre, comme chacun de nous mais plus précocement, que ses parents commettent aussi des erreurs.

Le secret de famille et les mensonges qui en découlent sont-ils malgré tout encore plus nuisibles qu’un aveu aussi dérangeant?

Pour en avoir beaucoup parlé avec une aumônière de prison, j’en suis assez persuadée. Ce n’est jamais une bonne idée de dissimuler la situation aux enfants et, en l’occurrence, le mensonge de l’hôpital est particulièrement mal choisi, on ne peut pas le tenir sur le long terme. Noah se rend bien compte que quelque chose ne joue pas.

Dans quelle mesure le jugement que la société porte sur un délinquant ricoche sur son entourage?

Les proches sont vraiment des victimes collatérales. Officiellement, la prison a vocation de réinsérer les gens dans la société, mais en réalité, la société est bien contente de pouvoir les oublier derrière les murs. Les proches sont au premier front pour encaisser les jugements. Mais à la fondation Repère, j’ai aussi rencontré des gens très à l’aise avec l’idée d’avoir un proche derrière les barreaux, et très décomplexés.

Votre narratrice a parfois l’air plus adulte que ses parents. Est-elle parentalisée ou est-ce juste une impression due au fait que le lecteur n’a que son point de vue?

Un peu des deux. Quand j’avais encore trois points de vue, j’essayais de montrer comment chacun pense avoir raison. C’est intéressant de chercher l’angle d’interprétation à partir duquel les gens estiment faire ce qu’il faut. Oriane a ce rôle de grande sœur réconfortante.

Vous décrivez un lien très fort et très touchant entre la grande sœur et son petit frère. Est-ce que les circonstances les amènent à mettre de côté les disputes habituelles au sein d’une fratrie?

Non, je pense que leur relation serait la même en d’autres circonstances. Cet amour très fort et cet agacement ultime existent avant l’incarcération du père. S’y ajoutent ensuite l’inquiétude et le besoin de protéger le petit frère. Oriane en veut à ses parents de devoir porter leur mensonge.

Votre narratrice est gardienne de foot dans une équipe mixte: le prétexte pour ajouter une petite touche féministe à votre livre?

Oui clairement. Je me suis demandée ce qu’on faisait à cet âge comme activité extrascolaire. J’ai voulu choisir quelque chose d’éloigné de mes propres activités pour éviter qu’Oriane ne devienne une sorte d’alter ego. C’était un bon moyen de prendre de la distance.

Comment avez-vous réussi à restituer de façon aussi convaincante les tics de langage, l’attitude très entière propre à l’adolescence, mais aussi une forme de mal-être, de crainte du jugement sans doute exacerbée par ce qu’elle vit?

C’est venu très naturellement. J’avais beaucoup travaillé la voix de Noah: dans tous les ateliers d’écriture, j’essayais de faire parler un enfant. J’ai construit Oriane par antithèse en m’inspirant de la façon de parler des gens qui m’entourent. J’avais vingt-et-un ans à l’époque, j’étais encore assez proche de l’adolescence. J’ai aussi pris soin d’éviter un vocabulaire trop précisément daté. J’y ai plus réfléchi comme un souffle que comme une langue.

Et la logorrhée de l’enfant?

C’est comme une pelote qu’on déroule et qui part dans tous les sens sans jamais se censurer.

Pourquoi avoir choisi de fondre les dialogues dans la narration?

Les dialogues ont eu beaucoup de formes différentes. Dans les premières versions, j’étais dans cette idée de flux de pensée rendue sous forme de monoblocs avec des dialogues juste marqués par des tirets. Ensuite j’ai quand même ajouté des retours à la ligne, mais comme Oriane a de la peine à dire tout ce qu’elle pense, je trouvais intéressant de maintenant le flou entre dialogue et pensée, pour que le lecteur puisse se demander si elle l’a réellement dit ou juste pensé et si elle a été entendue. Ce qu’elle dit s’inscrit dans une continuité par rapport à son flux de pensée.

L’histoire se déroule dans un milieu social très modeste: est-ce que la précarité économique excuse en partie le dérapage du père?

Je ne pense pas qu’elle l’excuse, mais elle l’explique. J’avais quand même envie qu’il y ait d’autres solutions, par exemple solliciter l’aide de la grand-mère. Mais les alternatives sont maigres. Maintenant que j’ai travaillé comme assistance sociale, je développerais ces problématiques autrement. Je pourrais imaginer un texte centré sur Léonore (la mère) qui montre la complexité du système social.

Y a-t-il là aussi une volonté militante de votre part, montrer par exemple que la pauvreté se transmet d’une génération à l’autre, puisque la fille exclut d’emblée la voie des études?

J’ai montré par petites touches que la situation économique cloisonne toute la famille, mais les enfants pourraient en pâtir beaucoup plus. Léonore fait parapluie et préserve sa fille. Je voulais creuser la manière dont un parent doit jongler pour faire face aux besoins de base des enfants et la frustration de devoir le priver. 

L’art en général, le théâtre en l’occurrence a-t-il un effet rédempteur?

Oui, c’est là que Léonore retrouve une place et une famille. Je pense que le théâtre est un outil de résilience, d’ailleurs, je viens de terminer une pièce qui réunit sur scène des migrants et des Fribourgeois dans l’idée qu’on peut avoir des histoires de vie très différentes et se retrouver autour d’un projet qui crée du lien. 


«Quand papa est tombé malade», Marilou Rytz, Editions de l’Hèbe, 288 pages.

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