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Après plusieurs romans, deux recueils de nouvelles dont l’un du registre fantastique et un témoignage poétique sur la dépression, l’écrivaine neuchâteloise d’origine espagnole Dunia Miralles s’attèle avec «Caravelles du Seyon» à un sujet historique qui la touche de très près: l’immigration espagnole et l’intégration en terres neuchâteloises de ces familles qui, comme la sienne, ont fui le franquisme dès les années soixante. Un récit poignant qui résonne avec l’actualité et où se mêlent sans cesse les événements de l’histoire et les anecdotes d’une enfance marquée par la xénophobie d’une enseignante et de certains camarades.



Pour bien comprendre le contexte, il faut remonter aux années 1930. Traverser les Trente Glorieuses et les événements nettement moins glorieux qui les ont caractérisées en Suisse comme en Espagne (complaisance avec la dictature, exploitation de la main-d’œuvre, renvois et xénophobie d’un côté, délation, arrestations arbitraires, tortures, déportation, condamnation aux travaux forcés ou à mort de l’autre). Questionner l’entourage, recueillir des témoignages. Revisiter les pénibles années Schwarzenbach qui aboutissent, en 1973 et 1976, au renvoi de 247'000 travailleurs immigrés. Car pour continuer à assurer quasiment le plein-emploi, notre pays n’hésite pas à exporter les deux tiers de son chômage. Et même passer par le Portugal et sa Révolution des œillets qui fait souffler un vent d’espoir sur le pays voisin dix-huit mois avant la mort du dictateur Franco. 

Dunia Miralles naît à Neuchâtel dans une famille de républicains espagnols très marquée à gauche. Or, l’époque se méfie du grand diable rouge et la Police fédérale suisse collabore étroitement avec la Direction générale de la sécurité espagnole. Malgré cette surveillance, l’opposition au régime s’organise sous couvert d’activités culturelles. De sa fondation en 1968 à sa dissolution en 2014, le Centro español Las tres Carabelas remplira une authentique mission sociale et culturelle à Neuchâtel. Avec le soutien de quelques instituteurs suisses, il assurera notamment l’instruction de nombreux enfants du placard et aidera les nouveaux arrivants à trouver leurs marques en Suisse et dans les méandres de l’administration. 

Constitué sans le moindre subside, le centre réussira à former une équipe de foot et une troupe de théâtre, à dispenser des cours de langue, à se doter d’une vaste bibliothèque, à éditer un bulletin de liaison, à organiser des excursions et à assurer une permanence d’aide sociale pour les sans-papiers, les saisonniers et les détenteurs d’autres permis de séjour. Un foisonnement d’activités, de fêtes, de spectacles et de manifestations qui donnaient à l’autrice le sentiment de vivre une double vie.

Petite fille, Dunia Miralles assiste aux réunions du Movimiento Democratico de Mujeres. Les activités des membres de ce mouvement féministe d’opposition à la dictature contribuent à la sensibiliser aux inégalités dont les femmes sont victimes sans pour autant lui passer le goût des poupées Barbie et des robes de princesse.

Au vu des incessants durcissements de la loi sur l’asile auxquels on assiste depuis des décennies, il est malheureusement permis de douter que ces pionniers de l’immigration que furent les Italiens, les Espagnols et les Portugais ont réussi à «faire changer les mentalités et les lois, ouvrant une voie royale aux nouveaux migrants», comme l’affirme l’autrice de cet ouvrage passionnant et bien documenté.


«Caravelles du Seyon», Dunia Miralles, Editions Livreo-Alphil, 168 pages.

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