Média indocile – nouvelle formule

Culture


PARTAGER

Les Cahiers Dessinés poursuivent la publication des œuvres complètes du dessinateur italien Guido Buzzelli. Ce troisième volume réunit des dessins parus au début des années 70 dans l’hebdomadaire «Menelik» qui mêlait érotisme et humour. C’est irrévérencieux et terrifiant, mais aussi joyeux et enivrant.



Un vampire suce le sang d’une femme en porte-jarretelles tout en lui tenant un sein; deux autres trinquent, l’un portant un cadavre d’homme, l’autre tirant un cadavre de femme par les cheveux; deux autres encore s’enivrent sous les flots de sang coulant d’un corps féminin pendu au-dessus d’eux… Le dessin, en couleurs, est titré Gaieté, il occupe une page entière au centre de laquelle Guido Buzzelli s’est représenté lui-même, un verre de sang à la main, en frac et culotte courte. Le ton est donné.

Les Cahiers Dessinés poursuivent la publication des œuvres complète du dessinateur italien né en 1927 à Rome où il est mort en 1992. Ce troisième volume présente Buzzelliades, histoires courtes et satires. Des dessins parus au début des années 70, dans Menelik, un hebdomadaire «eroticomico», à la fois drôle et pornographique, humoristique et érotique, tout à fait satirique. Guido Buzzelli y dessinait librement; une liberté qui lui allait comme un gant et dont il a su profiter joyeusement.


Lire également «La résurrection de Zil Zelub»


Dans la double page La beauté ça se mérite, un chirurgien esthétique dévoile le nouveau visage d’une femme au mari de celle-ci: «Fini les yeux qui louchent, le nez en patate, le bec-de-lièvre…». Au fur et à mesure des dessins, une tête ensanglantée apparaît sous les bandages, l’opération est ratée. Plutôt que de se désoler, le mari et le chirurgien modèlent les chairs charcutées comme deux enfants jouant avec de la pâte à modeler. «Je me suis jamais autant amusé avec ma femme», se réjouit le mari.

Dans Sabbat ça vient, ça copule dans un décor infernal; dans Si t’es pas sage, je te colle en pension, des jeunes filles à moitié nues s’amusent entre elles; dans Noël en famille… et ta sœur, Buzzelli s’est représenté pendu au sapin au milieu des boules; dans Vivre ensemble, il trône en ivrogne sur une plateforme surplombant une salle de torture.        

Fornication, sang, monstres, démons… C’est à la fois terrifiant et joyeux, à y perdre tout repère manichéen.

Une préface épatante et sans filtre

La préface de Julie Bouvard est épatante, elle présente avec exactitude et sans filtre l’œuvre de Buzzelli. «Sous le pinceau buzzellien, les faux semblants s’annulent, les manières s’oublient. Débarrassée de son vernis de culture et de politesse, la société apparaît pour ce qu’elle est – une foire d’empoigne, au sens littéral du terme. Mais il y a plus encore. Ce n’est pas uniquement le vernis de la société dans laquelle il vivait que Buzzelli fait craquer à grand renfort de copulations furieuses accompagnées d’actes de torture et de bouffonneries; c’est toute la vision humaniste de l’homme qu’il pulvérise. (…) Les Saintes Ecritures, la philosophie des Lumières, le positivisme – histoires à dormir debout que l’on se raconte pour se rassurer. Autant de comics à l’eau de rose, gonflés de prétention. Même le mal, cause d’entre les causes de nos angoisses, de nos terreurs et de nos folies, exhibé ici dans toute son outrance, apparaît, du même coup, dans tout son ridicule.»

Sans modération

Oui, c’est sans doute obscène, comme l’histoire courte où une veuve copule avec des statues dans un cimetière, ou encore celle dans laquelle un homme du peuple fantasme sur une cavalière bourgeoise, la croupe de la femme et celle de la jument se confondant dans ses rêveries pornographiques. Sans doute irrespectueux aussi, comme dans ce pastiche de fait divers: «Il perd sa femme au poker mais se fait prendre: il avait triché».

Buzzelli se moque, de nous comme de lui, de nous tous ensemble. «Il nous remet à notre place», écrit Julie Bouvard. Ses dessins agissent comme un verre de grappa avalé cul sec, ils fouettent le corps et l’esprit. Comme la grappa, ils laissent un léger goût amer mais c’est euphorisant. On en prend un autre verre, puis un suivant. On visite alors le négatif en riant, c’est plus joyeux que la triste tisane que servent aujourd’hui les bien-pensants.

Les dessins de Buzzelli sont à consommer sans modération.   



«Œuvres 3», Guido Buzzelli, Les Cahiers dessinés, 144 pages.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

0 Commentaire