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Si le cor des Alpes fait aujourd’hui partie de l’héritage culturel helvétique au même titre que la lutte suisse, le lancer de la pierre d’Unspunnen ou encore le yodel, sa sonorité aurait pu se perdre entre les sommets sans jamais voir la plaine. Mégaphone entre les vallées à son origine, il est venu s’ancrer dans le monde musical national, au point d’avoir même son propre festival. Du 24 et 25 juillet 2021, Nendaz accueillait la 20e édition du «Valais Drink Pure Festival de cor des Alpes».



Le pari n’était pourtant pas gagné. Longtemps utilisé par les bergers pour appeler les troupeaux ou communiquer avec les vallées avoisinantes, le cor des Alpes est un ancêtre lointain de notre téléphone mobile. Ses ondes sonores se diffusent sur une dizaine de kilomètres si le vent le veut bien. Avec l’exode rural, sa résonance quitte progressivement les vallées et son utilité se perd au fil du temps. Il faut attendre le début du XIXe siècle pour revoir le cor des Alpes, dans un tout autre emploi: lors d’un concours musical à la fête des bergers d’Unspunnen, à quelques kilomètres d’Interlaken. Il n’y eu que deux concurrents, mais cet évènement a permis de redonner une utilité nouvelle à cet instrument. Une nouvelle voie artistique s’est ainsi ouverte. Au cours de l’histoire, la popularité de ce long tube en bois de plus de trois mètres sera véritablement en dent de scie, mais il se forgera quand même une place parmi les symboles de la Suisse. En 1977 Pepe Lienhard Band amènera même ce cuivre en bois sur la scène de l’Eurovision!

Avec la création du Valais Drink Pure Festival de cor des Alpes il y a 20 ans, les instrumentistes ont un rendez-vous folklorique annuel. Cette année 120 souffleurs suisses et étrangers âgés de 10 à 85 ans se sont affrontés en concours avant de partager leur passion durant le morceau d’ensemble à 2200 mètres d’altitude. Finalement, c’est pour la troisième fois en cinq ans que le titre de vainqueur a été décroché par Adolf Zobrist de Brienz (BE).

Ce festival était également l’occasion pour François Morisod de présenter ses créations à une large palette de spécialistes et de curieux. Le facteur de cor des Alpes a fait des démonstrations de son art au Nînd’Art, tout en rencontrant les participants.

Moyen de communication, le cor des Alpes est aujourd’hui considéré comme un instrument de musique à part entière. Comment expliquez-vous l’engouement qu’il suscite depuis quelques années?

François Morisod: Le cor des Alpes est régulièrement joué depuis 50-60 ans, mais il est vrai que ces dernières années il y a un véritable effet de mode. A la Fête des Vignerons de 1955, les organisateurs avaient beaucoup de peine à trouver des joueurs, mais depuis des professeurs se sont formés, notamment en Suisse alémanique, et ont diffusé leur savoir. Je pense que ce regain d’intérêt est à la fois dû à une montée du patriotisme et au besoin de retour à la nature. C’est un instrument qui permet tantôt de s’isoler face à la montagne et son écho, tantôt de profiter des échanges sociaux lors des répétitions ou sorties de groupe. Après, les tendances sont souvent compliquées à expliquer. 

Est-ce que les techniques de fabrication de cet instrument de musique ancestrale ont évolué au fil des ans?

Tout à fait. A l’époque, il fallait choisir un arbre qui avait une forme courbée. Il s’agissait souvent de troncs couchés par la neige en hiver, qui gardaient cette forme arrondie en se redressant au printemps. Aujourd’hui, des toupilles, des fonceuses et autres machines ont aplani cette difficulté. Grâce à la technologie, l’instrument a également pu s’affiner, devenant moins grossier et donc plus facile à jouer. Initialement, le cor des Alpes était fait en une seule pièce, ce qui est très encombrant pour le transport, puis il s’est divisé en deux et enfin en trois: le tube, la rallonge centrale et le pavillon. Cela dit, certains ont même quatre ou cinq parties. 

Comment est-il produit aujourd’hui?

Généralement, le cor des Alpes est fait en épicéa, comme les violons ou les guitares, pour une question de résonance et d’efficacité dans la transmission du son. Je travaille donc avec des scieurs, qui me connaissent et qui savent la qualité du bois que je recherche, avec des cernes réguliers et sans nœuds. Ensuite, je le récupère pour le laisser sécher plusieurs années avant de lancer la fabrication. En principe, la même bille est utilisée sur un instrument. Il faut compter environ deux semaines pour toutes les étapes de façonnage, polissage et d’assemblage. J’en débute toujours plusieurs à la fois, ce qui me permet de fabriquer une vingtaine de pièces par an.

Vous êtes l’un des seuls facteurs de cor des Alpes en Suisse qui vit de cette activité. Comment avez-vous débuté? 

Ebéniste, je faisais de la restauration de meubles et quelques sculptures en bois. Durant l’une de mes expositions, j’ai rencontré par hasard un fabricant de cor des Alpes. Comme j’ai toujours eu envie d’en faire un pour essayer, je l’ai aidé dans sa production. Petit à petit, j’ai entièrement repris le flambeau, porté justement par cet engouement autour de cet instrument. Les premiers clients sont naturellement venus par le bouche-à-oreille et aujourd’hui il y a surtout beaucoup de joueurs de fanfare et ceux qui connaissent déjà un peu la musique.

Est-ce qu’avant de les produire vous saviez déjà en jouer?

Pas du tout, j'ai dû m’y mettre. C'est ma passion pour le bois qui m’a fait découvrir la musique.

Quelles sont les contraintes liées à l’ergonomie de l’instrument pour les souffleurs?

Le cor des Alpes émet des sons naturels, ce qui signifie qu’il ne peut pas produire toutes les notes de la gamme chromatique. Les souffleurs jouent sur trois-quatre octaves et sont limités dans le nombre de notes possibles, contrairement à une trompette sur laquelle la longueur de la colonne d’air se modifie à l’aide de pistons. Les partitions doivent donc être spécialement pensées pour le cor des Alpes.

Vous faites ce métier depuis plus de 20 ans maintenant. Quelles sont les difficultés que vous rencontrez?

Principalement la routine. Pour me changer les idées, je fais parfois des modèles un peu différents, comme des pièces en forme de sousaphone, qui trouvent également leur public. Physiquement, il y a beaucoup de finitions et de ponçage, ce qui, avec les années, devient difficile pour mon dos.

Vous avez fait toutes les éditions du «Valais Drink Pure Festival de cor des Alpes». Est-ce que vous avez remarqué une évolution depuis 20 ans?

Le public a largement augmenté, plus de personnes s’intéressent aujourd’hui à cet instrument folklorique. La qualité musicale est également devenue plus pointue avec une plus grande concurrence parmi les candidats!

Valais Drink Pure Festival International de cor des Alpes 

Le site de François Morisod 

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