Vous aimez cet article <3
Média indocile – nouvelle formule

Actuel

Actuel / Covid-19: état de situation de la mortalité en Suisse

Fabien Balli-Frantz

17 décembre 2020

PARTAGER

Au cours de la seconde vague attribuée à l’épidémie du Covid-19, la Suisse a observé une mortalité exceptionnellement élevée. Les semaines les plus touchées de novembre ont vu une augmentation du taux de décès de 50%, par rapport aux cinq années précédentes. En comparaison, le taux de mortalité global relevé depuis le début de l’année et jusqu’en semaine 49 (7.81%) a peu varié par rapport à 2015 (7.69%). Il exprime tout de même un excédent de 110 décès par million d’habitants, mais se situe dans l’intervalle de valeurs observées au cours des 25 dernières années.



Le classement des cantons en fonction de leur mortalité toutes causes confondues révèle que trois cantons romands, dont Genève et Vaud, font partie des 10 cantons qui présentent un taux de mortalité inférieur à la moyenne helvétique. Cette observation réfute ainsi l’idée largement répandue que tous les cantons romands ont une surmortalité par rapport au reste du pays. Comme lors de la vague de printemps, aucune surmortalité n’a globalement été observée dans le pays chez les personnes âgées de 0 à 64 ans. 

Le mois de novembre 2020 marqué par une mortalité exceptionnelle

En novembre 2020, la Suisse a présenté une mortalité exceptionnelle. Elle s’élève à près d’un décès pour mille habitants au cours du mois, correspondant à un mois grippal très fort. Il faut remonter à l’année 1957 (grippe asiatique) pour trouver une mortalité aussi élevée en novembre, ou encore aux mois de janvier 1983, 1997 et 2000 (Source: OFS mortalité, OFS population).

Les semaines 45 à 47 témoignent d’une augmentation de l’ordre de 50% du nombre de décès hebdomadaires, par rapport à la moyenne des cinq années précédentes à la même période. 

Fig. 1: Taux de mortalité hebdomadaire en Suisse par million d’habitants, relevé jusqu’en semaine 49/2020 - Données de Office Fédéral des Statistiques (OFS) au 15.12.2020: lien mortalité et lien démographie

Le taux de mortalité en 2020 avoisine celui de 2015

Le taux de mortalité observé en 2020, incluant toutes les causes de décès, s’élève à environ 7.81 décès pour mille habitants durant les 49 premières semaines de l’année. Relativement, il surpasse de 1.6% le taux de mortalité de 2015 observé à la même période qui s’élevait à 7.54 décès pour mille habitants. 2015 était une année marquée par une forte grippe et par la canicule.

Ce taux de mortalité semble faible, dans le contexte de la pandémie, mais s’explique en partie par le fait qu’après la vague du printemps, la Suisse a connu une période de plusieurs mois de sous-mortalité, compensant la surmortalité de novembre. 

Fig. 2 : Taux de mortalité global en Suisse, relevé pour les 49 premières semaines des années 2010 à 2020Source: (OFS) au 15.12.2020 : mortalité 2020 , mortalité 2010-2019 , démographie 2020 et démographie 1950-2019

Taux de mortalité par canton

Le taux de mortalité toutes causes confondues, calculé depuis le début l’année 2020, indique que les cantons de Vaud, Fribourg et Genève ont globalement une mortalité inférieure à la moyenne helvétique. Le canton du Tessin témoigne d’un des plus hauts taux de décès en Suisse.

Fig. 3 : Taux de mortalité toutes causes confondues par canton Suisse, relevé pour les 49 premières semaines de l’année 2020Source: (OFS) au 15.12.2020: Décès par cantons, population par cantons

Les différences intercantonales du taux de mortalité sont fortement liées à l’âge moyen de la population. Ainsi, les cantons de FR, VD et GE ont en moyenne des populations plus jeunes que celle du pays, alors que le canton du Tessin a la population la plus âgée de Suisse.  

Fig. 4 : Âge moyen de la population résidente par canton en 2013. Données : RTS 16.10.2014 

Mortalité par classe d’âge

Comme lors de la vague de printemps, aucune surmortalité n’a été observée chez les personnes âgées de 0 à 64 ans, au cours de la seconde vague d’épidémie.

Fig. 5 : Nombre de décès hebdomadaires par classe d’âge entre la 1ère semaine de 2015 et la semaine 49 de 2020. Source: (OFS) au 15.12.2020: lien mortalité

L’âge médian des personnes décédés et positives au Covid-19 est de 86 ans, soit 84 ans pour les hommes et 88 ans pour les femmes (OFSP). Il se situe en dessus de l’espérance de vie relevée en Suisse en 2019 (hommes 81.9 ans et femmes 85.6 ans).

Garder le sens des proportions et ouvrir la discussion

Dans quelques semaines, les données de l’OFS et de l’OFSP permettront de tirer un bilan complet de la mortalité en Suisse pour cette année particulière 2020. Le spectre d’une épidémie aussi mortelle que la grippe espagnole s’est effacé au fil des mois passés. La description de l’OFS résume parfaitement la violence de la pandémie de grippe Espagnole: «Au cours des années précédant 1918, les taux de mortalité annuels étaient très stables. Ils se situaient en moyenne pour les hommes à 14 pour mille et pour les femmes à 13 pour mille. En 1918, ils augmentaient jusqu’à 21 pour mille pour les hommes et à 18 pour mille pour les femmes» (Source: OFS).

Ainsi, la proportion de décès observée en 2020 dans le pays n’a rien à voir avec celle de la grippe espagnole, mais s’inscrit dans un intervalle de valeurs déjà observées au cours des 25 dernières années.

Fig. 6: Taux de mortalité observé en Suisse à partir de 1950. Source: (OFS) au 29.09.2020, Données démographiques 1950-2019 

Des aspects encore peu discutés au cours de la crise mériteraient d’être intégrés dans les prochains thèmes traités par nos politiques et médias. Il s’agit en premier lieu des conséquences du vieillissement de la population sur la mortalité globale dans le pays. Au cours des années à venir, la dynamique de mortalité risque d’être fortement bousculée, car les «baby-boomers» dominent la pyramide des âges du pays.

Les plus âgés de cette génération ont environ 75 ans et atteindront l’âge de l’espérance de vie actuelle dans le courant de cette décennie. La potentialité d’un excédent du nombre de décès au sein de cette génération se dessine pour les années à venir, du fait notamment de la grandeur inhabituelle de ce groupe d’âge.

Fig. 7: Pyramide des âges de la Suisse: (a) situation en 2019 superposée à celle de l’an 2000; (b) prévision faite par l’OFS pour l’an 2050 selon un modèle de référence et comparaison à la situation de l’an 2000. Source: OFS, 15.12.2020

Le second aspect est le bilan de la gestion de cette crise. Bien qu’il soit encore tôt pour que nos autorités ou encore des instances de contrôle s’y attèlent, il faut reconnaître que nous vivons la première situation de crise sanitaire depuis la révision de la loi sur les épidémies qui a été acceptée par vote populaire en septembre 2013. Dans ce nouveau cadre, on trouve notamment les situations particulières et extraordinaires au sens de la loi d’épidémie, la compétence de l’OMS pour déclarer la situation particulière, un transfert de compétences des cantons vers le conseil fédéral pour déclarer des vaccinations obligatoires,… L’apparition de moyens de lutte qui n’avaient encore jamais été utilisés auparavant, tel le confinement, laissent beaucoup de traces au sein de la population. Le réel gain justifiant une mesure aussi drastique devra être confirmé et les potentiels effets collatéraux devront être mis sur la table de discussion.


Remarques

Afin de tenir compte des variations démographiques, la mortalité été présentée sous forme de «taux de mortalité brute». Pour une période d’observation donnée, ce taux est calculé en rapportant le nombre de décès par rapport à la population moyenne. 

La population moyenne utilisée pour l’année 2020 correspond aux effectifs de la population résidente permanente et non permanente, relevés par l’OFS au second trimestre. Pour les années antérieures à 2020, la population moyenne a été déterminée par une moyenne arithmétique des effectifs considérés au 31 décembre de l’année considérée et de l’année précédente.

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts. 

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

13 Commentaires

@smon 17.12.2020 | 07h35

«Ces statistiques peuvent éventuellement être utilisées pour estimer l’efficacité des mesures (moyens de lutte) qui ont été prises. Mais on ne devrait pas les utiliser pour suggérer que les mesures sont disproportionnées (comparaison avec la grippe espagnole). Pour affirmer une disproportion, il faut comparer l’ampleur des mesures et l’ampleur de ce qui se serait passé sans ces mesures, ce qu’on ne peut pas connaître précisément, mais uniquement supposer sur la base de modèles scientifiques. La comparaison avec la grippe espagnole n’est pertinente que pour se faire une idée de ce qui pourrait éventuellement se passer en renonçant d’adopter des mesures contraignantes. On doit se résoudre à décider de mesures sans disposer de la preuve rétrospective qu’elles sont proportionnées. Le seul moyen de prouver que des mesures sont proportionnées est de ne pas les prendre, voir ce qui se passe, en subir les conséquences, et condamner ensuite ceux qui auraient eu la responsabilité de les prendre... L’impossibilité de prouver ce qui se serait passé sans adopter certaines mesures ne doit pas conduire à affirmer qu’il n’existe pas de vérité à ce sujet. On ne peut connaître précisément cette vérité, mais nous disposons de suffisamment de connaissances pour pouvoir nous en faire une idée.
Dans le même ordre d’idée, si avec des mesures extrêmement strictes, le réchauffement climatique se limitait à 1 degré, doit on suggérer que ces mesures ont été disproportionnées ? Non, on doit les comparer à ce qui se serait passé sans elles.»


@Cath 28 17.12.2020 | 09h06

«Bravo pour cet article qui permet de remettre l'église au milieu du village, loin de la dramatisation ambiante !!! Sans minimiser la gravité de l'épidémie, il permet de prendre un peu de recul bienvenu.
On le sait la panique inhibe nos capacités de réflexion et donc de prise de décisions appropriées .
Inquiétant quand ce phénomène s'applique au niveau du pays ou du monde !!!
Merci encore de cet éclairage!»


@Paulcs 17.12.2020 | 13h55

«Il serait aussi interessant de comparer ces données avec celles des pays avoisinants et le reste du monde. Il serait bon d'avoir une image globale des effets de cette pandemie. »


@moretet53 17.12.2020 | 15h15

«Un des éléments qui permet de freiner la mortalité est la possibilité de soigner au mieux toutes les personnes atteintes du COVID. D'ailleurs, les appels à intensifier les mesures prise visent à éviter une surcharge des hôpitaux.
Selon une estimation très grossière, une absence de mesures pourrait multiplier la mortalité par 3 pour atteindre un immunité collective et par 3 pour ceux qui ne pourraient pas être soignés. Sur la base de 5000 morts du COVID, on arrive à 40000 morts supplémentaire, soit 4,6 pour mille. On retrouverait le taux de mortalité de 1950.
Une question qui se pose, c'est: "Quel est le prix d'une vie humaine?".»


@Fabien77 17.12.2020 | 20h31

«Chers lecteurs,
Merci pour vos remarques et critiques, faites dans le respect d’opinion.
Une comparaison du « Taux de mortalité » toutes causes confondues au niveau international est un projet d’envergure qui demande de nombreuses heures d’analyse. Un projet à proposer à la rédaction.
Pour le moment, j’invite les lecteurs intéressés à lire un article paru il y a une semaine dans un média allemand. Il présente le taux de mortalité observé en Suède jusqu’en semaine 47, pour les des dix dernières années. Ainsi, on apprend que le taux de mortalité observé en 2020 est le 3ème taux le plus faible observé dans le pays depuis 2010. Je n’ai personnellement pas contrôlé ces chiffres, mais leur ordre de grandeur est réaliste.
La seconde information essentielle est liée au fait que la Suède, également frappée par l’épidémie Covid-19, n’a pas appliqué de confinement et n’observe pas de surmortalité globale en 2020. Est-ce un réel échec, comme le déclare en ce jour le roi de Suède ?
Source : https://www.heise.de/tp/features/Der-schwedische-Corona-Weg-Erfolg-oder-Misserfolg-4984494.html

Difficile de prévoir comment la mortalité aurait évoluée en Suisse sans confinement. Les prédictions faites par simulation ont été dramatiques, atteignent effectivement les 40'000 décès. Heureusement, ces prédictions ne se sont pas réalisées. Selon un média d’analyse helvétique, il y aurait eu des erreurs dans les modèles de simulation.
Source : https://corona-transition.org/modellrechnung-der-eth-lausanne-fur-eine-zweite-welle-in-der-schweiz-enthalt

Avant même de devoir soigner ou d’imposer des mesures de restriction, la prophylaxie devrait être envisagée. Malheureusement, selon Swiss Policy Research, la Suisse ne disposerait toujours pas d’un concept de prophylaxie et de traitement précoce permettant de réduire le nombre d’hospitalisations et de décès liés au Covid. Des études internationales font mention d’une réduction allant jusqu’à 80%.

Cordialement et meilleurs vœux
Fabien BALLI-FRANTZ
»


@Qovadis 17.12.2020 | 21h53

«Merci pour ce recadrage très instructif.
Il serait aussi intéressant de comparer l’évolution de la mortalité en 2020 selon les régions linguistiques de la Suisse.»


@Debali 20.12.2020 | 13h12

«En cette période de fin d’année il me semble intéressant de prendre un peu de recul et de ne pas s’arrêter qu’aux chiffres de l’impact sanitaire de cette crise Covid-19 qui sont certes très importants et où il faut bien le reconnaître notre pays ne brille pas par ses résultats.
Mais une fois que cette crise sera dernière nous, viendra alors le temps de l’analyse et de la comparaison. Et je ne serai pas étonné qu’en prenant non pas uniquement les chiffres sanitaires mais également les chiffres économiques en particulier ceux des faillites, de l’augmentation du chômage et de la dette des états; la Suisse s’en sorte mieux que ses pays voisins. En effet, il me semble que ce que certains appelle une cacophonie dans la communication et les décisions entre la Confédération et les Cantons soit finalement une protection contre des mesures centralisées qui ne tiennent pas compte des particularités régionales ( chez nous cantonales). Le fait pour un canton de pouvoir laisser ses établissements publics ouverts voire ses domaines skiables permet de réduire l’impact économique de cette crise tant sur l’économie privée ( en évitant des faillites) que la dette publique ( en réduisant les soutiens que les cantons et la confédération vont devoir verser).
Donc nous ferons les comptes à la fin en tenant compte non seulement des chiffres sanitaires mais également de ceux de l’économie privée et publique ...

Gérald Balimann»


@clm 20.12.2020 | 13h54

«Merci pour votre article et les commentaires intéressants. Je serais aussi curieuse de savoir combien de personnes ont pris des mesures de prophylaxie sans attendre une intervention ou des conseils officiels manquants. Il y a une grande partie de la population qui se soigne par les plantes et autre moyens non-allopatiques qui prend sa responsabilité pour sa santé au sérieux.»


@simone 20.12.2020 | 16h42

«Extrêmement intéressant. Merci d'avoir opéré ces recherches et comparaisons qui prennent toujours du temps.
Suzette Sandoz»


@jfrere 20.12.2020 | 21h34

«Merci pour cette remise en perspective nécessaire. Un point important, lors de la première vague en Suisse, il y a eu utilisation de l’hydroxychloroquine pour soigner les malades du Covid, alors que lors de cette deuxième vague, son utilisation a été découragée voire interdite. Vous confirmez ?»


@Akinorev 21.12.2020 | 04h37

«Merci à @smon 17.12.2020 | 07h35, votre regard permet un éclairage qui peut éviter d'alimenter les théories du complot! je vous en suis très reconnaissante. Nous savons aussi qu'il n'y a rien de plus aisé que la manipulation des chiffres...»


@marc1789 23.12.2020 | 09h29

«Il y a 125 décès dans la tranche d'age 0 à 60 ans pour 6633 décès dus au covid depuis mars. Chiffre de la confédération de cette semaine. Par conséquent protégeons les ainés et inutile de vacciner les personnes de moins de 60 ans.»


@naturalista 25.01.2021 | 20h26

«Merci pour votre article. Si je comprends bien le premier graphique, dans les deux cas, le (semi-)confinement n'a eu aucun effet sur la mortalité puisqu'ils n'ont pas lissé la courbe comme c'était annoncé au confinement de mars 2020.
Je ne crois pas à l'incompétence de nos gouvernants : si on se rend compte des effets collatéraux négatifs du confinement de mars - solitude, dépression, suicide, mal être, etc, alors que cela n'a pas d'effet bénéfique sur la mortalité, le simple bon sens voudrait qu'on évite de refaire la même erreur! Or, on l'a refait à l'automne, et on la refait ce début d'année, avec des conséquences encore pire. "Errare humanum est, perseverare diabolicum! L'erreur est humaine, persévérer est diabolique!". Quand est-ce que nos autorités vont admettre leurs erreurs et changer de cap?»