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Culture

Culture / Du Platzspitz à la Riponne

Sabine Dormond

12 février 2020

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Guillaume Favre a 10 ans quand les frères ainés de ses camarades de classe sombrent dans la toxicomanie. Cette réalité entre en résonnance avec les images de la scène ouverte de la drogue diffusées à la télévision. Elle le marque au point qu’il décide, 30 ans plus tard, de consacrer un roman à ce phénomène de société. Paru aux éditions Cousu mouche sous le titre Presque vivants, ce livre retrace la descente aux enfers de Thierry et l’impact qu’elle aura, des décennies plus tard, sur son frère Maxime.



BPLT: Pourquoi cette thématique s’est-elle imposée à vous?

Guillaume Favre: J’avais des parents médecins qui se sont beaucoup engagés pour aider les jeunes dans la région de Saint-Maurice. Ce livre est un hommage à toutes les victimes de la drogue d’hier et d’aujourd’hui, mais aussi à tous ceux qui se sont battus pour plus de soutien et moins de répression, comme le Tremplin à Fribourg.

Comment vous êtes-vous documenté? Avez-vous recueilli des témoignages auprès de toxicos? Vous êtes-vous immergé dans ce milieu?

J’ai beaucoup lu sur le sujet, de la littérature, ainsi que des ouvrages scientifiques et des témoignages. Il y en avait énormément à la radio et à la télé. Je voulais laisser une part de fiction plutôt que de m’attacher à une personne, pour éviter de me sentir légataire de son récit.
J’ai trouvé notamment un livre de Marco Schnyder intitulé Scène ouverte qui a été très éclairant sur les réalités du Plaztspitz (le parc zurichois où la vente et la consommation de drogues était autorisée entre 1987 et 1992). L’auteur travaillait dans la prévention et a basculé dans les drogues. J’ai intégré ce personnage à mon roman.

Comment votre héros met-il le doigt dans l’engrenage de la toxicomanie?

En l’occurrence, ça se passe dans le cadre d’une fête. Thierry rencontre deux jeunes qui vont lui apprendre à chasser le dragon, c’est-à-dire à fumer de l’héro. Consommée ainsi, elle paraît plus anodine. Les parcours sont multiples et variés, mais l’effet de groupe joue un rôle important comme dans Moi Christiane F..
Plus tard, Thierry va rencontrer une fille qui va l’initier à l’injection. C’est un rituel qui se pratique rarement seul la première fois.

Comment expliquez-vous que ce soit le frère qui a le plus de succès, le plus d’aisance, celui qui semble le mieux dans sa peau, qui sombre dans la drogue?

Thierry plaît aux filles, mais il est habité par un vide très profond, rongé par le doute, déstabilisé, en difficulté scolaire et il ne sait pas ce qu’il veut faire dans la vie. Il a une famille éclatée, des parents divorcés et de la peine à trouver sa place. Il entretient une relation assez conflictuelle avec son père. Il comble cette détresse par un excès de vie, trouve dans la drogue une illusion de bien-être, l’impression d’être davantage lui-même. L’ami qui lui prête son appartement vient d’une famille unie, ce qui ne l’empêche pas de sombrer. Je trouvais intéressant d’avoir des représentants de deux milieux sociaux différents pour montrer que n’importe qui peut basculer dans la toxicomanie.

Qu’est-ce qui peut inciter des jeunes à s’engager dans cette voie?

Marco Schnyder avait une approche de curiosité, une envie d’explorer. Il voulait jouer avec le feu, se mettre en danger, vivre de nouvelles expériences, selon une culture qui vient des années 70. Beaucoup de figures littéraires comme Cocteau, Henri Michaux, Baudelaire ont essayé d’appréhender le monde par la prise de drogue. Ils ont pu servir de modèles.

C’est même lui qui vivra, plus tard, un mauvais trip par procuration?

Pendant longtemps, Maxime essaie de nier sa souffrance. Mais la rencontre avec le personnage de Steve va faire remonter, par effet miroir, le souvenir refoulé de son frère et amener Maxime à décompenser. Par le deuil ou la souffrance, il plonge dans un état d’entre-deux mondes caractérisé par une perte de repères telle que son frère l’a vécue. Les deux figures de frères se retrouvent ainsi dans cet état de presque vivants. Presque vivants aussi, parce que ça reste de la fiction, ce ne sont que des êtres de papier.

A travers Maxime, vous évoquez d’autres formes de dépendances que celles liées aux produits psychotropes. Est-ce que la trajectoire, le profil psychologique, sont les mêmes pour les personnes sujettes par exemple à la dépendance au jeu, à la dépendance affective et sexuelle, aux troubles alimentaires, etc...?

L’addiction prend effectivement plusieurs formes, y compris notre rapport aux technologies. Maxime est aussi work-addict, il va faire un burnout. Ce personnage incarne une forme d’excès, une quête de pouvoir. Il tente de remplir un vide par une obsession d’ascension sociale. Maxime incarne aussi une promesse néolibérale non tenue. Il veut venger ses origines, mais se rend compte que le système n’enrichit que les plus riches.

La drogue conduit-elle fatalement à la délinquance? A quelles extrémités le besoin d’argent amène-t-il votre héros?

Pas forcément si on a assez de moyens à disposition, mais dès que la dépendance s’installe, il y a une nécessité absolue à trouver de l’argent pour se soulager du manque et c’est là que la délinquance apparaît souvent comme l’unique solution. Ce besoin d’argent était très visible sur le Platzspitz à travers un marché d’objets volés ou récupérés que les toxicos essayaient de vendre pour s’acheter leur dose. Thierry va cambrioler le cabinet médical du père de sa copine pour avoir des médicaments et des bouteilles de méthadone à revendre.

Votre héros y laisse la vie. Est-ce une fatalité ou connaissez-vous des moyens d’échapper à l’emprise de la drogue?

Aujourd’hui le nombre d’overdoses a largement baissé. Quand une autre scène ouverte s’est formée au Letten suite à la brutale évacuation du Platzspitz, les autorités zurichoises ont cédé à la pression du public. Elles ont été obligées de revoir leur politique très répressive. C’est de là qu’est née la politique des quatre piliers (prévention, thérapie, réduction des risques, répression). A Genève et à Lausanne, des locaux d’injection permettent de consommer dans des conditions d’hygiène acceptables.
Les cures de désintoxication ont également contribué à cette amélioration, alors que les mesures répressives ont prouvé leur inefficacité. Enfin, les proches jouent un rôle essentiel.

Pensez-vous qu’une génération toute entière puisse éprouver un mal-être?

Chaque génération a ses souffrances, j’ignore si celle-ci avait plus de souffrance et d’inquiétudes que celle d’aujourd’hui avec les désillusions du monde libéral, du changement climatique. Mais l’arrivée du sida à la fin des années 80 a créé un enjeu d’urgence de sauver les jeunes. Les toxicos ont été les premiers fragilisés par le sida.

Guillaume Favre, Presque Vivants. Éditions Cousu Mouche, 2019.

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

1 Commentaire

@Gio 17.02.2020 | 11h57

«Merci pour cet article qui, je l’espère, sera lu surtout par la jeune génération car pour ma part je n’apprends rien, ça réveille surtout de tristes souvenirs ; aujourd’hui encore je pense à de nombreux camarades qui ne sont plus de ce monde, partis trop tôt, emportés par la drogue ou/et le sida. Je ne lirai pas « Presque vivants », je n’ai pas envie de revivre le vécu .»