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Le Conseil fédéral «déplore» la tragédie qui frappe la population palestinienne mais ne «condamne» pas l’opération de nettoyage ethnique menée par l’armée israélienne. Les contacts se poursuivent avec l’entreprise Elbit Systems qui fournit une grande part des armes de Tsahal. La BNS y a investi des fonds importants, en partie retirés aujourd’hui. D’autres banques suisses continuent de profiter du boom de ces actions. Comment ne pas voir là aussi une forme de complicité face à l’horreur?



Le 7 mai, Urs Loher, le chef d’Armasuisse, l’Office fédéral de l’armement, a rencontré son homologue israélien au Salon de l’armement à Athènes. Il a été question, avec l’entreprise Elbit Systems, d’un serpent de mer: les six drones d’observation commandés il y a dix ans qui ne sont toujours pas opérationnels. Et d’un autre projet mené avec cette entreprise israélienne: le système de communication de l’armée suisse qu’elle fournit prend aussi du retard. Business as usual. Au conseiller national Fabien Fivaz (NE) qui s’en inquiète, le gouvernement répond «que dans la situation géopolitique actuelle, il serait tout particulièrement contre-productif pour la sécurité de la Suisse de suspendre des acquisitions en cours et d’accepter, par conséquent, des reports ou des interruptions de projets». Ce serait pourtant possible de les geler pour donner un signe. Pas si grave au vu des retards fous qu’ont déjà pris ces commandes.

D’autres pays ont suspendu leurs importations et exportations d’armes. Entre autres, les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, la Belgique, le Japon et le Brésil (pour un appel d’offres précis) ont suspendu tout ou partie de leurs achats ou coopérations avec l’industrie de défense israélienne depuis 2023-2024.

Ce qui n’empêche pas les titres de Elbit Systems de flamber: plus 46 % (360 francs aujourd’hui) depuis le début de cette année. Plusieurs banques suisses, UBS en tête, s’en réjouissent. Elles ont fortement investi dans cette société. Plus troublant encore: la Banque nationale suisse a acheté 104 000 actions début 2023. Revendues en partie avec profit (28 000) en 2024, après le début de la guerre de Gaza. Impossible de savoir combien elle en a gardé.

Les «bonnes excuses» de la Suisse

Pour Sergio Rossi, professeur de macroéconomie à l'Université de Fribourg, cité dans un article de RTS-info non repris sur les ondes, ces principes n'exonèrent en rien la responsabilité de la BNS: «Etant donné qu'elle réplique les paniers d'actifs qui sont vendus à travers le marché financier global, la BNS pense ne pas avoir à culpabiliser si elle achète des actions d'une entreprise qui produit des armes, qui pollue l'environnement ou qui exploite le travail des mineurs. Elle dit: "si les autres acteurs financiers font ce type de choix, on ne fait que les suivre pour ne pas influencer les prix". Mais c'est, je dirais, une bonne excuse».

Au-delà de cette question, «pour des raisons légales» explique le DFAE, il est exclu que la Suisse prenne des sanctions à l’endroit d’Israël, envisagées par d’autres pays. La France par exemple a interdit d’entrée des colons particulièrement agressifs en Cisjordanie. Ou l’Irlande qui interdit le commerce avec les entreprises présentes dans le territoire occupé. Mesurettes sans effets mais signes politiques.

Démonstration contraire à Berne. Un développement notable est l’entrée en vigueur, au 1er janvier 2025, de la version modernisée de la Convention Paneuromed qui simplifie les règles d’origine préférentielle dont Israël et la Suisse font partie. Cette réforme vise à fluidifier les échanges et à offrir davantage de flexibilité aux entreprises suisses exportant vers Israël, notamment en matière de certification d’origine et de procédures douanières. Et réciproquement.

Que diront demain les historiens devant notre attitude face à ces tragédies?

Une centaine de personnalités, dont les ex-conseillères fédérales Micheline Calmy-Rey et Ruth Dreifuss, du monde de la culture et de la société civile, dont plusieurs signataires sont juives, viennent d’envoyer un «appel urgent» fustigeant la retenue de notre gouvernement. Celui-ci répond en brandissant les malheureux vingt millions accordés à l’aide humanitaire, d’ailleurs dans le flou de leur répartition. Ou rappelle, sans guère convaincre, quelques timides déclarations ici et là.

Outre la tragédie de Gaza, la Suisse n’a pas un mot fort pour condamner, au nom du droit international, la poursuite d’une colonisation violente en Cisjordanie, les interventions armées en Syrie et les bombardements quotidiens sur le Liban que personne ne rappelle. Cette façon hypocrite de détourner le regard, cela vire à la complicité. D’autant plus choquante que d’autres gouvernements européens, qui furent longtemps des soutiens systématiques d’Israël, s’expriment maintenant en des termes durs et clairs à son endroit. Même l’Allemagne, traumatisée par son passé coupable, en vient à critiquer résolument l’Etat juif. Un tournant majeur. 

Que diront demain les historiens devant notre attitude face à ces tragédies qui marqueront le siècle? Ils ont été critiques de notre comportement avec le Reich pendant la Seconde guerre mondiale. Ils le seront devant notre politique d’aujourd’hui.

L’un d’eux, ex-ambassadeur d’Israël en France, Elie Barnavi, livre sa pensée. En substance: «On se demandait comment il était possible d’avoir longtemps sous-estimé ou ignoré l’horreur des génocides du 20e siècle. Aujourd’hui on le sait, on prend la mesure de ce que peuvent être l’indifférence et la passivité. Face à des pratiques génocidaires, je me résous à utiliser ce terme, des crimes contre l’humanité commis au vu de tous, revendiqués même par leurs auteurs.»

VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET

8 Commentaires

@Yanacha 30.05.2025 | 04h14

«merci de cette contribution. je ne connaissais pas le volet Elbit Sytems et les financements.
C’est un paramètre important, et à ma connaissance (modestej, vous êtes le seul à en parler.
(Sauf erreur de ma part bien sûr).»


@Bob28 30.05.2025 | 08h11

«Le plus dur c'est de savoir sans pouvoir changer les choses. C'est comme les cris d'un enfant enfermé dans ma cave que je devrais ignorer faute d'avoir le droit d'utliser la clé. Voilà ce qui finit par rendre indifférent. Et à poursuivre la course en avant dans le néant.
Merci d'y croire encore de votre côté Monsieur Pilet.»


@Foenix 30.05.2025 | 09h26

«Merci ! Grace à vous j'ai le sentiment que mon message de la semaine passée a été entendu et j'espère qu'il ira encore plus loin !»


@RAS 31.05.2025 | 18h06

«En fait nous allons gentiment vers une triste vérité, les agissements de notre gouvernement étaient avant tout dirigés par les intérêts de l'État profond américain, pour rappel les affaires Crypto AG, Elbit, la révélation sur un laboratoire en Suisse travaillant sur des produits de recherches (GoF), un statut diplomatique donné à GAVI de Bill Gate, les différents versements effectués par ce personnage a des hôpitaux, à l’EPFZ ET EPFL ainsi qu’à Swissmedic.
De plus, avec un élu du conseil fédéral en séances du groupe Bilderberg en compagnie d'Albert Bourla, il ne faut pas s'attendre à avoir des informations réelles sur la situation actuelle.
Le tremblement de terre actuel aux USA pourrait bien faire ressortir pas mal de spécialité de nos tristes élus.
»


@von 03.06.2025 | 15h08

«Sans sa neutralité, la Suisse ne serait qu'une minuscule crotte sur la carte du monde. C'est grâce à elle que ce petit pays peut dialoguer avec les plus grands, en leur proposant un cadre bienveillant où reprendre des dialogues perdus.

On l'oublie souvent, mais c'est aussi grâce à sa neutralité, que la Suisse existe encore, malgré les quatre ethnies dont elle se compose, chacune parlant sa propre langue. Si nos sages ancêtres n'avaient pas cultivé le "vivre ensemble" fait de consensus et de dialogue, il y a belle lurette que le röstigraben nous aurait séparé.

Alors que peut faire un petit pays qui entend rester neutre? Se boucher les yeux et les oreilles et attendre que ça passe? Ou alors crier (sélectivement) avec les loups et sanctionner (sélectivement) à tout va?

Finalement c'est assez simple: la Suisse pourrait rappeler le droit à ceux qui ne le respectent pas et, si rien n'y fait, couper toute relation commerciale, culturelle et sportive avec ce pays-là. La neutralité n'en serait pas entachée puisque la Suisse "met au coin" celui qui ne respecte pas les règles communes, c'est tout. Et puis il y a des gradations dans la réprobation.

J'ai dit "La Suisse", mais j'aurais tout autant pu dire "L'ONU"...

Dans le cas de l'ONU, c'est encore plus simple. Car un pays qui viole sciemment les accords internationaux et qui ignore systématiquement les condamnations de l'ONU, n'a plus le droit d'en faire partie. En violant les règles communes (qu'il a pourtant signées), il se met "hors-la-loi" et doit en toute logique être exclu du "club".

Dans le cas d'Israël, il y a un paradoxe dont personne ne parle. Ce pays viole systématiquement les règles du droit humanitaire et de la guerre (et pas rien qu'un peu), et pourtant il garde sa voix à l'ONU. Ainsi, ce pays est-il amené à juger d'autres pays en fonction de lois que lui-même ne respecte pas. Il y a comme une contradiction non?

Militairement, la Suisse ne fait pas le poids face aux mastodontes. Son salut se trouve donc dans le droit international, dont le but est justement de faire obstacle à la force brute. Tout en restant neutre, elle a tout-à-fait la légitimité de refuser de "jouer" avec un "gros lourd qui tabasse tout le monde à la récré". C'est son droit le plus strict.

A condition, bien-sûr, d'appliquer la même méthode à tous, sans discrimination, c'est ça la neutralité, tout en admettant une proportionnalité dans le "refus de jouer". C'est en montrant cet exemple-là que la petite Suisse pourrait être bénéfique pour l'humanité. Avoir une règle éthique utile à tous et s'y tenir est le meilleur moyen de prouver sa fiabilité et de se faire respecter.

L'ONU n'a pas été créée pour conduire l'humanité au paradis, mais pour la sauver de l'enfer
(Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l'ONU)
»


@Maryvon 04.06.2025 | 13h05

«Malheureusement notre Ministre, Monsieur Ignazio Cassis nous a prouvé une fois de plus, hier lors du 19h30 que la Suisse ne se joindrait pas aux 22 pays qui exigent qu'Israël laisse entrer l'aide humanitaire à Gaza. On peut regretter que le journaliste n'ait pas vraiment posé les questions qui fâchent, par exemple, il aurait pu demander à M. Cassis ce qu'il pensait du Gouvernement Netanyahou et de la politique que ce dernier pratique depuis de nombreuses années. Il aurait pu aussi lui demander si il approuvait le comportement des colons israéliens qui s'installent sans autorisation en Cisjordanie. Dommage cette interview ne nous a rien appris !»


@von 05.06.2025 | 11h11

«Se joindre aux "22 pays qui exigent..." ne servirait à rien. Ces gentilles gesticulations ne donnent aucun résultat. Le gouvernement israélien reste sourd aux appels au respect du droit international.
C'est terrible à dire, d'autant plus qu'Israël est un pays ami.

Si vraiment la Suisse, pays neutre par excellence, voulait vraiment influer sur la violence en Palestine, elle pourrait, dans un premier temps, geler un de ses achats d'armes à Israël (drones, système de communication militaire).

Car ces achats d'armes posent tout de même un problème à notre neutralité.

Afin de la respecter, la Suisse ne vend pas d'armes aux pays en guerre. Soit ! Mais elle ne devrait pas non plus en acheter à ces pays-là. Sinon elle alimente les efforts de guerre du pays vendeur et, de ce fait, affaiblit son adversaire. Ce n'est pas ce qu'on peut appeler "être neutre"..

»


@markefrem 07.06.2025 | 18h38

«Quelle serait votre réaction si votre voisin vous harcelait quotidiennement depuis des décennies avec des projectiles mortels, dans le but avoué de vous rayer de la carte ? Avec point culminant l'ignominie du 7 octobre ! Le drame : il n'y a pas un méchant et un gentil mais bien deux méchants, cruels, bornés, incapables de moindre concession ou compromis (nous parlons des autorités de part et d'autre, pas des populations). Triste à dire, mais impossible dès lors d'envisager l'avenir autrement que par le départ de l'un des deux conjoints, qui pourtant avaient tout pour collaborer harmonieusemeent, hormis la bonne volonté et l'ouverture d'esprit qui les feraient écouter les avis de pays bienveillants et sagaces.»