Lu ailleurs / «La nouvelle unité du peuple israélien se fonde sur l’addiction à la haine et la soif de sang»
De nombreux Israéliens sont indifférents au sort des Palestiniens, voire se réjouissent de leur destruction. Pourtant, des voix indignées s’élèvent avec courage. Comme celle d’Orit Kamir, ancienne professeure de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem et activiste féministe impliquée dans les droits humains, dont nous publions ici l’article paru en hébreu dans le quotidien israélien Haaretz.
«Laissez l’armée israélienne les détruire complètement!», peut-on lire sur la devanture d’une boulangerie. En Israël, la violence sature désormais la vie quotidienne. Je n’ai jamais vu autant de mal; autant de gens désireux d’exprimer leur haine, parfois même en compétition les uns avec les autres pour démontrer leur manque d’empathie. Je ne pensais pas que les gens soient capables d’autant de méchanceté. Capables de se réjouir de la souffrance des autres, de se délecter de les voir mourir de faim, perdre tout ce qu’ils possèdent et périr. C’est pourquoi je n’ai jamais eu aussi peur. C’est comme si un puissant barrage avait cédé et que des masses d’Israéliens se débarrassaient, l’ego joyeux, de toutes les contraintes de l’humanité pour se vautrer ensemble dans une haine toxique, la déshumanisation et la violence. Comme s’ils n’avaient attendu que ce moment pour pouvoir se départir enfin des règles qui les obligeaient à maintenir un semblant de moralité. Avec des cris de rage, ils jettent au rebus les conventions et les normes que la société humaine a construites pendant des milliers d’années pour freiner le déchaînement de l’ego. Ils ont donné au mot liberté un nouveau sens: celui de se libérer des chaînes de la culture. L’égalité a été effacée de leur lexique, sans parler de la dignité humaine. La compassion, l’empathie, aimer son prochain comme soi-même: tout a été aboli. La nouvelle unité du peuple israélien se fonde sur l’addiction à la haine et à la soif de sang.
Un poison sciemment distillé par les élites au pouvoir
Rien de tout cela n’est arrivé en un instant, ni tout seul. Il y a des incitateurs qui, depuis des années, distillent délibérément leur poison grâce à un système bien rôdé… Dans la liste des crimes de Netanyahu contre l’humanité et contre la société israélienne, dépouiller nombre d’Israéliens de toutes inhibitions morales est l’un des plus graves. Le comble c’est qu’il a réussi à transformer son pire échec, le massacre du 7 octobre, en excuse pour justifier et encourager la diabolique nouvelle «israélité». Comme une réponse pavlovienne implantée par hypnose: il suffit que les gens se souviennent de ce jour pour désirer immédiatement la destruction des Palestiniens. Par la même occasion, ils sont aussi désireux de s’aliéner les otages et d’attaquer leurs familles. Netanyahu ne porte pas seul la responsabilité publique de l’effroyable désintégration morale qui se déroule sous nos yeux. Les membres de son gouvernement et les députés de la coalition dirigent tous ouvertement ce processus. Leur faute est totale. De même que celle des médias qui les servent avec une obéissance écœurante et participent à cette hypnose de masse. Quiconque occupe un poste à responsabilité qui ne fixe pas de limites éthiques et ne présente pas d’alternative porte aussi cette responsabilité.
Tous regardent ailleurs
Lorsqu’une société perd son épine dorsale morale, comme cela nous arrive maintenant, un leadership positif est nécessaire. Quelqu’un dont la boussole morale est claire, qui n’a pas peur d’appeler un mal le mal et d’exiger un comportement adéquat. Quelqu’un qui ne s’adapte pas à l’humeur trouble du public mais prône davantage d’humanité et appelle à un «après». Sans un tel leadership, il est difficile de croire que notre société puisse se sortir du bourbier dans lequel elle s’est enfoncée… Je ne parle pas des Gantz et des Lapidim (ndlr. du nom des deux chefs des partis d’opposition), qui sont incapables de bégayer un mot de leadership moral. Il n’y a rien à attendre de leur part, leur vide déontologique est évident. Même les Eisenkot, vers lesquels les Israéliens désespérés jettent leur dévolu, se remplissent la bouche d’eau. Sans parler de Yaïr Golan qui avait correctement identifié ce mécanisme il y a dix ans déjà et qui, aujourd’hui, refuse de le condamner… Pour des raisons politiques? Même les juges, les militaires et les anciens gardiens de la morale, qui remplissaient les plateformes et les forums et s’opposaient fermement au coup d’Etat du gouvernement, restent silencieux face à la terrifiante désagrégation morale de la société israélienne. Eux aussi ferment les yeux devant les deux millions de Gazaouis que nous expulsons, affamons et massacrons sans cesse; face aux pogroms organisés et soutenus par les autorités et sous les auspices des forces de sécurité en Cisjordanie. Seul Yehudit Karp, l’ancienne procureure général adjointe, proteste contre cette horreur et est l’exception qui confirme la règle. Et il en va de même pour les leaders des manifestations [contre Netanyahu], dont nous espérions qu’ils émergeraient une opinion alternative… Malgré le bruit de la société israélienne qui s’effondre, je suis sûre que nombreux d’entre nous désirent la vie et la paix; que nous n’avons pas renoncé à l’humanité. Nous avons été réduits au silence face à la violence et à la laideur, mais nous sommes toujours là.»
Orit Kamir, l'autrice de ce texte
Orit Kamir (1961) est née et a grandi à Jérusalem où elle vit toujours. Elle a d’abord été greffière à la Cour suprême et au ministère de la Justice d'Israël. Elle a ensuite travaillé comme assistante du conseiller juridique du Parlement israélien, comme conseillère juridique de l'Autorité antidrogue d'Israël et comme chef du département juridique de la plus grande organisation féministe israélienne.
En parallèle à ses activités de professeure de droit et de genre à l’Université hébraïque de Jérusalem, elle a participé à la rédaction de la loi israélienne pour la prévention de la violence domestique et proposé, en 1997, le projet de législation adopté par le parlement israélien sur la prévention du harcèlement sexuel, lequel lui a valu le ressentiment de ses collègues de l’université. Craignant qu'elle n'aide des étudiants à porter plainte contre eux, plusieurs d’entre eux ont exigé l’annulation de sa titularisation et obtenu son licenciement. La procédure de recours lancée alors par Orit Kamir a fait l'objet d'une large couverture médiatique et d'une grande attention de la part du public. Bien que rétablie dans ses fonctions suite à une médiation avec l’Université hébraïque, Orit Kamir a par la suite été boycottée par les universités israéliennes pour avoir osé poursuivre une institution académique. Auteure de nombreux articles sur la prévention du harcèlement sexuel, elle n’en fait pas moins figure d'autorité publique sur le sujet. C'est principalement pour cette activité qu'elle a reçu le prix 2013 du New Israel Fund pour sa contribution au droit, à la justice sociale et aux droits de l'homme.
Activiste féministe et impliquée dans la défense des droits humains, Orit Kamir fonde en 2004 le Centre israélien pour la dignité humaine. Cette organisation à but non lucratif applique la théorie de la dignité et de l'honneur et a travaillé avec les forces de défense israéliennes, le ministère de l'éducation et de nombreuses autres organisations publiques et privées.
En 2015, Orit Kamir a rédigé un projet de loi visant à prévenir les brimades sur le lieu de travail. Bien qu’adopté par le parlement à une écrasante majorité, le projet a été bloqué par le gouvernement mais les tribunaux du travail utilisent leurs pouvoirs généraux pour l'appliquer aux affaires dont ils sont saisis.
Orit Kamir a par ailleurs donné des cours sur le droit et le genre dans de nombreuses institutions. Elle a été membre de l'Institut Hartman d'études judaïques à Jérusalem, professeure de droit invitée à l’Université du Michigan et chercheuse invitée à l'Institut européen d'études de Florence.
BPLT
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Apropos 30.05.2025 | 08h17
«Merci de partager cet article. J’aimerais ajouter en lien un documentaire visible sur Arte : https://www.arte.tv/fr/videos/115065-000-A/israel-les-ministres-du-chaos/
Je le trouve éloquent sur l’articulation de cette guerre et je regrette que pas ou peu de journalistes reprennent l’impact affirmé de ces ministres qui pourtant manœuvrent en pleine lumière.»