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Chronique

Chronique / De l'envie à l'ennui


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Éric Zemmour a du flair pour les essais qu’il chronique chaque jeudi dans Le Figaro avec une virtuosité que je lui envie. Et c’est précisément de l’envie qu’il nous entretenait récemment à travers le livre désormais classique - en Allemagne tout au moins - du sociologue allemand Helmut Schoeck publié en 1966 sous le titre L’Envie, une histoire du Mal.
La Rochefoucauld avait bien marqué la différence entre l’envie et la jalousie: «La jalousie est conforme à la raison, car elle veille sur un objet que nous possédons, mais craignons de perdre. L’envie, elle, est une rage qui rend insupportable la pensée de tout bien arrivant à autrui.»
Sans remonter à Caïn et à Abel, sans disserter sur l’envie du pauvre pour le riche, du laid sur le beau - l’un des principaux ressorts de la psychologie féminine, soit dit en passant -, on peut se demander si le principe d’égalité n’est pas en premier lieu l’expression de l’envie de tous contre tous, le produit du ressentiment qui nous fait ânonner que l’injustice sociale est le pire des maux. Citons Helmut Schoeck: «Si l’égalité devant la loi est l’élément vital de la démocratie, elle en est aussi l’écueil. Car elle favorise l’éclosion de ce fanatisme et de ce sentiment d’envie qui exige que tous les hommes soient traités de la même façon dans tous les domaines de l’existence.»
Immanquablement, on en vient à se poser la question: vouloir aider son prochain, n’est-ce pas aussitôt susciter son envie? À l’heure où avec une naïveté consternante des milliers de migrants sont accueillis en Europe - la culpabilité n’est jamais bonne conseillère - il est peut-être encore temps (même si j’en doute) de rappeler cette prophétie de Nietzsche: «Les peuples à qui on fait du bien nous détestent et n’ont plus qu’une idée en tête: nous anéantir.» Il en est de même des individus, surtout s’ils nous sont proches. Ils ne manqueront jamais de se venger du bien que nous leur avons fait. Mais sans l’envie, ce moteur de l’Histoire, nous sombrerions dans l’ennui qui est sans doute pire encore.



Helmut Schoeck, L’Envie, une histoire du Mal, traduction de Georges Pauline, Les Belles Lettres, 1995.

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