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Culture

Culture / Le nègre gauchiste de Simone Veil

Marlène Belilos

8 juillet 2017

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Tout a été dit sur le grande dame disparue. Mais peu savent qu’elle s’est longtemps appuyée sur un collaborateur hors du commun. Ecrivain, dirigeant de médias, Européen engagé. Histoire d’une complicité. Et d’un douloureux incident.



Il faut entrer dans les arcanes ministériels français pour comprendre comment Patrick Imhaus, jeune diplomate du quai d'Orsay, aux convictions de gauche s'est retrouvé à rédiger les discours de Simone Veil durant l’année 1988. Patrick Imhaus plus connu aujourd'hui comme ancien président de TV5 et dont le dernier poste fut ambassadeur de France à Stockholm, auteur de nombreux livres, dont «La Dernière Conférence», couronnée par le Grand prix du roman de l'Académie française en 2008. Il fut un moment placardisé par la suite des changements de gouvernement, et après avoir démissionné de son poste de directeur de cabinet de Georges Fillioud, ministre de la Communication de Mitterrand, pour protester contre l'octroi de deux chaînes à des milliardaires supposés de gauche, Maxwell pour la 6 et Berlusconi pour la 5.  

La rencontre avec Simone Veil eut lieu du temps où Rippa di Meana dirigeait les destinées européennes de la culture. Venant tout juste de quitter la présidence du Parlement européen, Simone Veil avait accepté de présider aux destinées d’une Année européenne du cinéma et de la télévision. Une vraie récréation pour cette grande dame qui venait de vivre des années difficiles à imposer l’existence d’un Parlement européen enfin élu au suffrage universel, après avoir bataillé dans son pays pour faire passer la fameuse loi sur l’IVG.

Rencontre entre une canne et un parapluie

A la rencontre entre une canne et un parapluie, Patrick Imhaus ne cacha pas ses convictions de gauche, Simone Veil n'en eut cure. Projetée un peu par hasard dans ce monde du cinéma et de la télévision qui l’intéressait fort, elle n’avait pas eu l’occasion d’en fréquenter les coulisses, ni de se pencher sur le monde des nouvelles technologies qui se profilait soudain et s’apprêtait à tout bouleverser. Elle trouva en Patrick Imhaus celui qui en possédait les clés. Il avait notamment monté l’ancêtre de TV5, une chaîne francophone au Québec, fréquenté le monde émergent du câble et des satellites, travaillé sur la révolution en cours des droits d'auteur.

Le duo participa avec beaucoup de sérieux à moult colloques: cinéma et télévision, les femmes et le cinéma, télévision et prolétariat, chaque fois dans des villes de rêve, de Delphes à Capri, aussi en Europe de l’Est où le Mur n’était pas encore tombé, et jusqu’en Afrique sur le thème de l’échange inégal des images entre Nord et Sud. C'est ainsi qu'Antoine, le mari de Simone Veil, lors de ces colloques, appelait sa femme à heures fixes, tombait systématiquement sur Patrick Imhaus et manifestait son agacement: «Encore vous!»

Et ressurgit le passé

Pas trop mécontente de son assistant, Simone Veil ne regardait plus trop les projets de discours qu’il lui soumettait. Elle lançait les débats avec son enthousiasme communicatif, puis elle demandait à son assistant de l’emmener visiter les lieux qui la fascinaient, les musées, les expositions, curieuse de tout. Jusqu'à ce jour de novembre 1988, où elle inaugure le Festival de cinéma de Berlin-Ouest. 

Simone Veil, l'intrépide, décide alors de franchir le Mur avec son fidèle collaborateur pour aller visiter notamment le célèbre Pergamon, et aussi sentir l’atmosphère de la ville. Au retour, à Charlie Checkpoint, deux files pour franchir la frontière d'est en ouest. Patrick Imhaus suit le couloir des hommes et attend, longtemps, très longtemps. Sort enfin une Simone Veil en larmes. On avait découvert sur elle quelques marks de l'Est, une monnaie formellement interdite à l’exportation par la RDA. Son passé, à travers les femmes kapos qui lui avaient ordonné de se déshabiller et l’avaient agoni d’insultes parce qu’elle s‘y refusait, avait ressurgi. Simone Veil, la femme politique à poigne reconnue par tous, la passionnée d’art et de culture, était redevenue la petite fille arrêtée à 16 ans.


Le dernier livre de Patrick Imhaus: «Un si petit territoire» sous le pseudonyme de Marc Bressant, une fiction historique et malicieuse (Ed. de Fallois, 2017)


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