Chronique / Higelin: Paris-Lausanne, Lausanne-Paris
Les manifs de Lôzane Bouge ont commencé en juin 1980 en pleine fête des caisses à savon. Les jeunes souhaitaient, à l’égal de Zurich et Berne, un centre autonome pour y développer des activités musicales, de nombreuses autres revendications se joindront pour exprimer un malaise qu’avait résumé le célèbre slogan «Rasez les Alpes qu’on voie la mer».
Mais les autorités prises de court, réagissent violemment et intentent un procès aux «meneurs», prévu en octobre 1982.
Se pose la question: comment s’acquitter des frais d’avocat?
Mardi 20 avril 1982, à Bellerive, Higelin chante sous une grande tente. Il faudrait, me dit-on, que je lui demande de nous aider par des concerts. Que la musique soit partie intégrante du mouvement, je le sais, en revanche je suis étonnée que les jeunes connaissent Higelin, pour moi Higelin c’était Areski et Fontaine, son passage au rock m’avait échappé.
Il n’y a pas un instant à perdre, l’enthousiasme des jeunes, je ne le sais pas encore, va faire rencontre avec le chanteur.
Poussée par eux, j’essaie de tergiverser, je demande à son frère Paulo, de servir de médiateur, mais non, il faut que ce soit moi qui lui demande, me voilà dans sa roulotte. Je raconte notre projet en quelques phrases. Il n’hésite pas une seconde et c’est oui.
Totalement sidérée
Ainsi, me, nous, voilà propulsés organisateur de concerts.
Nous, car il y a Bernard Balet et toute la joyeuse bande des actifs du mouvement.
L’été se passera à trouver une salle, personne ne veut assurer un mouvement si bougeant, et c’est grâce à un ancien camarade de sciences politiques, devenu directeur du Palais de Beaulieu, que le lieu est choisi: ce sera le théâtre du Palais de Beaulieu.
Quelques jours avant le premier concert, mon ami se ravise. Y a-t-il eu une pression du conseil d’administration? On nous demande une caution de 40'000 francs suisses et le délai est de 24 heures pour les déposer. Une course effrénée nous mène à recueillir l’argent provenant de la vente des billets de tous les points de vente de Lausanne à Genève, en passant par les villes de la Côte. Higelin se propose de faire une conférence de presse, pour préciser que ses concerts ne provoquent pas de dégâts.
L’argent est mis dans des sacs poubelles puis déposé peu avant l’heure fatidique à l’UBS, et c’est le banquier qui appelle Beaulieu pour annoncer la nouvelle.
Le dernier rebondissement est qu’il fallait que les 40'000 francs soient déposés à l’UBS Lausanne et non Genève.
Magie: le banquier, en un coup de fil, envoie l’argent à Lausanne dans la minute qui suit.
Délai respecté
En attendant et après la première réponse rapide d’Higelin, nous n’avons toujours aucun contrat.
Nous décidons d’aller à Paris, car Higelin est un artiste génial, mais un artiste tout de même.
Nous lui amenons les affiches, lui expliquons que les places sont vendues, il a l’air de découvrir tout cela, et nous tremblons. Il confirme ce sera oui, et cette fois c’est sûr.
La caution bloquée et débloquée
Il nous fallait nous assurer que nous pourrions récupérer la caution, car si Higelin avait proposé de venir gratuitement et offrait sa prestation, les musiciens devaient être payés et les frais de transport et de location réglés.
L’assureur de Michel Bühler nous aida à faire un état des lieux de la salle, fauteuils avec brûlures de cigarettes, tâches sur le velours etc.
Un tract serait distribué à l’entrée expliquant la situation et la nécessité de récupérer la caution. Le service d’ordre fut assuré par des jeunes du mouvement et non par des gros bras.
Les concerts eux furent un pur moment de magie.
Aucun dégât ne fut commis et quand nous proposâmes au responsable de la salle de faire l’inventaire à 1h du matin, il renonça.
Jacques Higelin, interviewé à la radio, défendit les revendications du mouvement et – nous ne le sûmes que plus tard – refusa de faire toute promotion pour le disque qu’il venait de sortir: Champagne.
VOS RÉACTIONS SUR LE SUJET
1 Commentaire
@Marianne W. 10.04.2018 | 00h09
«Belle page d'histoire: la route du tant attendu "Lôzane bouge" croisant celle du grand baladin Jacques ! Merci pour ce formidable récit, Marlène Bélilos !»